Judo : Riner l’immortel

De l’allumage de la vasque à la conquête de ses quatrième et cinquième médailles d’or olympiques, le champion a vécu une semaine inoubliable. Et le pays avec lui.
Hier, Teddy Riner a battu le Japonais Tatsuru Saito et offert la victoire à l’équipe de France.
Hier, Teddy Riner a battu le Japonais Tatsuru Saito et offert la victoire à l’équipe de France. (Crédits : © LTD / Marijan Murat/DPA/ABACAPRESS)

Teddy Riner a illuminé la première moitié des Jeux olympiques. D'abord en enflammant la vasque lors de la cérémonie d'ouverture, vendredi 26 juillet, aux côtés de Marie-José Pérec. Puis en gagnant son pari insensé de conquérir une troisième médaille d'or individuelle, douze ans après la première. Et même seize après son premier podium, aux Jeux de Pékin (bronze). Il totalise désormais sept médailles olympiques, et si l'Académie française voulait bien nous souffler de nouveaux superlatifs pour décrire ses prochains exploits, on ne dirait pas non. Ce serait même un beau geste, entre immortels. Beaucoup a été dit sur la préparation du colosse : son tour du monde et ses incursions dans d'autres arts martiaux, pour chasser la lassitude ; les changements opérés dans son entourage le plus proche, parfois surprenants. Il avait aussi un ressort plus intime : égaler son idole, le poids léger japonais Tadahiro Nomura, seul judoka médaillé d'or lors de trois olympiades consécutives, entre 1996 et 2004. « Dans la tête de Teddy, il y avait ce triplé de légende réussi par un technicien extraordinaire, une référence pour nous tous », confie Frédérique Jossinet, vice-présidente de la fédération et médaillée d'argent aux Jeux d'Athènes.

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Cultiver « l'art du geste parfait »

Dans la vie comme sur le tatami, ses 2,04 mètres ne s'inclinent devant personne ou presque. Nomura est une exception. Il y a trois ans, dans le Grand Palais éphémère qui allait accueillir les épreuves de judo, le Guadeloupéen nous avait dit son admiration pour ces combattants japonais qui cultivent « l'art du geste parfait ». Une olympiade parfaite ne pouvait s'achever que par le « Clásico » du judo, en finale de la compétition par équipes mixtes. Une répétition de l'apothéose de 2021. Mais en deviner le scénario relevait de l'impossible.

Dès l'instant où il a incrusté Kim Minjong dans le tatami, Teddy « Winner » a cessé de s'appartenir

Humiliés par leur défaite au Nippon Budokan, les artistes japonais avaient fait d'une revanche olympique le point de mire de trois années d'un travail acharné. Dans cette finale, ils ont mené trois victoires à une. Puis est entré en scène Joan-Benjamin Gaba, qui avait créé la surprise en passant une médaille de bronze autour de son cou en moins de 73 kilos. Survolté dans le golden score, il a fait tomber le double champion olympique Hifumi Abe et déclenché la remontada française. Clarisse Agbégnénou a égalisé avant qu'un tirage au sort désigne la catégorie chargée d'apporter le point décisif : c'est évidemment celle de Riner qui s'est affichée sur les écrans géants, suscitant une clameur de bonheur. Qui d'autre que le capitaine de route de ces jeunes Bleus pour écrire les dernières lignes de ce récit déjà légendaire ?

Et la fin de l'histoire fut belle. Comme s'il ne pouvait en être autrement. Pas ici, à Paris. Pour autant, on n'aimerait pas être dans les sandales de Tatsuru Saito, le poids lourd vaincu deux fois par Riner dans cette finale si symbolique aux yeux des Japonais. Surtout après avoir quitté le tableau individuel dès les demi-finales, ce qui, pour un lourd nippon, constitue un affront. Le voilà promis, de retour au pays, à une probable relégation malgré son talent et ses 22 ans. Au même âge, Riner était un triple champion du monde, et l'impossible comparaison avec le Français a brisé d'autres destins avant le sien.

Des nuits de cauchemars attendent Saito. Riner et ses partenaires, eux, avaient à peine dormi et quitté le village olympique à 5h30 pour un premier tour dès potron-minet où les Bleus ont balayé Israël sans que leur aîné ait à combattre. Après un rab de sommeil, peut-être, il s'est mis en chauffe à 12h07, pour conclure le quart de finale contre la Corée du Sud. Ces jours-ci, les réveils matinaux sont porteurs des meilleures nouvelles : Tony Estanguet lui avait passé un coup de fil de bonne heure pour lui apprendre qu'il serait le dernier relayeur de la flamme olympique. « Une joie extrême » pour le Parisien. Le président du Comité d'organisation (Cojop) a d'ailleurs fait une légère entorse au protocole pour venir lui taper dans la main, vendredi soir, après son sacre en finale des plus de 100 kilos. Les deux anciens porte-drapeaux, l'un en 2008, l'autre en 2016, avaient été réunis pour un long échange ici même à la veille des JO de Tokyo. Tous deux auront contribué à rendre ceux de Paris inoubliables.

« C'est un bon moment pour notre pays », s'est réjoui le champion olympique. Un moment d'union nationale après avoir craint, entre la dissolution de l'Assemblée nationale et le second tour des élections législatives, de respirer un air vicié. Vendredi soir, au cours de son marathon médiatique, Riner a rappelé que « tous les athlètes rêvent d'une journée parfaite comme celle-ci ». Avant d'ajouter qu'avoir mis le feu à la vasque avait ajouté à sa « fierté ».

Épuisé mais rayonnant, le détenteur de 11 titres mondiaux a pensé à remercier tous ceux qui l'ont soutenu pendant ces trois dernières années. Dès l'instant où il a incrusté le Sud-Coréen Kim Min-jong dans le tatami au bout d'une finale très maîtrisée, Teddy « Winner » a cessé de s'appartenir. Happé de toutes parts, il a saisi le premier drapeau tendu. Pas un bleu-blanc-rouge. Le président de la fédération, Stéphane Nomis, a vite réagi en réclamant un drapeau tricolore dans le public et l'a déposé sur les épaules de son champion. On ne peut pas distribuer des pains à longueur de journée sans risquer parfois un incident diplomatique.

Des tee-shirts « Clan Riner »

Une centaine de proches l'ont accompagné toute la journée de vendredi. Ils s'étaient réunis près du Champ-de-Mars pour une distribution de tee-shirts confectionnés pour l'occasion et estampillés « Clan Riner ». Éparpillés parmi les spectateurs, ils ont créé une caisse de résonance qui a gêné tous ses adversaires, et même fait disjoncter le Géorgien Guram Tushishvili, querelleur au terme de son quart de finale perdu contre un Riner, il est vrai, un brin provocateur.

Le gotha de la société française n'en a rien manqué. Outre les responsables politiques, décidés à partager tous les coups de projecteur et à figurer sur les photos, des plus ou moins proches ont défilé : David Douillet, Lilian Thuram, le chef Thierry Marx, le journaliste Harry Roselmack. Assis un peu plus loin, les amis Tony Parker et Omar Sy, compagnons de virées mémorables aux États-Unis. Le quatrième larron, Thierry Henry, l'a forcément regardé au lendemain du quart de finale victorieux des Bleus du football. Invité à frapper les trois coups, comme au théâtre, pour ouvrir la session, Sy s'est mué en chauffeur de salle pour celui qui devrait le rejoindre à Los Angeles dans quatre ans. Au moins le temps d'un ultime tour d'anneaux.

Trop discret pour rester assis au premier rang des VIP, Moïse Riner a pris de la hauteur au fil de la journée et des tours passés. De ces moments où le monde entier réclame un petit bout de son fils, le père du héros confie pudiquement : « Ça se vit. » Vingt ans qu'il assiste aux compétitions de Teddy, mais le papa discret finit toujours étourdi par l'émotion et l'agitation. « Le cœur bat très vite dans ces moments. Quand on est parent, on est sur le qui-vive même si votre enfant a 35 ans. »

Teddy Riner est le plus grand mais il a eu besoin de jouer des coudes pour s'approcher de sa famille. Au milieu des photographes et des agents de sécurité, il a soulevé sa fille, Ysis, embrassé sa compagne, Luthna. L'intimité sera pour plus tard. « Il était déjà au sommet du sommet du sommet de l'Olympe », s'amuse l'élue de son cœur, vêtue du tee-shirt noir frappé du slogan « I love Teddy and fightart ». Le couple partage l'expérience des très grands rendez-vous. Pas forcément « sereine », Luthna avait cette fois décidé de « ne pas vivre cette journée dans la douleur ». La jeune femme se rassoit, réfléchit un instant sans quitter des yeux ses enfants, et souffle : « Après tout, qu'est-ce qui pouvait lui arriver ? »

Le cœur bat très vite dans ces moments. Quand on est parent, on est sur le qui-vive même si votre enfant a 35 ans

Moïse Riner, le père de Teddy

De ne pas sauver le judo français d'une déception, éventuellement. Après l'élimination en demi-finale de Romane Dicko, ultime chance de titre féminin, Teddy Riner portait un poids très lourd sur ses épaules très larges. Stéphane Nomis avait fixé un objectif de 4 médailles d'or. Si le total espéré de 10 médailles a bien été atteint, le bilan global est très en deçà de ses attentes. Notamment chez les filles, « les meilleures du monde » d'après le dirigeant, qui s'apprête à faire tomber quelques têtes dans l'encadrement. Riner le grand frère a pris soin de consoler Dicko, comme il avait réconforté Shirine Boukli, Amandine Buchard, Clarisse Agbégnénou et Sarah-Léonie Cysique, toutes battues en demi-finale (mais toutes médaillées de bronze). Hier, entre les tours du tournoi par équipes mixtes, il a encore eu quelques mots pour l'une, une tape dans le dos pour l'autre. Et c'est ensemble qu'ils ont creusé une mine d'or. Être capable de ne pas penser qu'à soi quand tout le monde ne pense qu'à vous : encore une prouesse dans une semaine gravée dans des millions de mémoires.

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Commentaires 3
à écrit le 04/08/2024 à 10:08
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J.O. 2024 ? Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile comment la Chine utilise tous les moyens pour que ses athlètes triomphent au niveau mondial....

à écrit le 04/08/2024 à 9:37
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Teddy Riner est un roi de l'olympe sportive pour l'éternité; un superhomme, un winner. Il a réussi ces Jeux à Paris a répondu au défi physique de ses adversaires : un vrai champion olympique tel Leon Marchand le plus jeune du groupe 4 fois médaillés...

à écrit le 04/08/2024 à 7:51
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Un immense champion, une légende même bravo à lui. Mais c'est quoi le petit truc qu'on voit gesticuler derrière lui !? Ah c'est notre président... ^^

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