Clarisse Agbegnenou : « Je fais bouger les lignes »

ENTRETIEN - Les opinions de la double championne olympique de judo ne plaisent pas à tout le monde. Elle assume tout.
Clarisse Agbegnenou tenant la flamme olympique sur la tour Eiffel, le 15 Juillet.
Clarisse Agbegnenou tenant la flamme olympique sur la tour Eiffel, le 15 Juillet. (Crédits : © LTD / LIONEL HAHN/PARIS 2024/AFP)

Clarisse Agbegnenou parle autant qu'elle gagne. Et elle gagne beaucoup : deux médailles d'or olympiques (2021) et huit titres de championne du monde (six en individuel, deux par équipes). La Rennaise de 31 ans, qui entrera en lice le mardi 30 juillet en moins de 63 kilos, a des convictions affirmées et pas de retenue pour les exprimer. Si on l'a moins vue depuis la naissance de sa fille Athéna en juin 2022, on ne l'a pas moins entendue. « J'ai davantage utilisé ma parole, admet-elle. J'étais déjà une ambassadrice du judo grâce à mon palmarès. Avec la perspective des Jeux à la maison, on m'a demandé beaucoup de conseils, souvent interrogée sur mes opinions. Compte tenu de l'événement et de mon statut, c'est assez logique. »

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LA TRIBUNE DIMANCHE -  Vous avez longuement lutté pour être autorisée à passer les nuits auprès de votre fille, mais cela se fera à l'extérieur du village olympique. Une avancée satisfaisante ?

CLARISSE AGBEGNENOU - J'ai pris cette question à bras-le-corps car d'autres mères, athlètes olympiques ou paralympiques, ont proposé de me suivre si je prenais position publiquement. Il faut des porte-parole que l'on entend. J'ai choisi de mener ce combat mais je ne l'ai pas fait seulement pour moi. Donner aux mères la possibilité de rester avec leur enfant pendant la compétition, c'est un bon début. Je pense que je fais bouger les lignes.

Votre fédération a refusé que vous portiez le kimono de votre sponsor personnel alors que Teddy Riner y est autorisé. Avez-vous digéré ce conflit ?

Le combat n'est pas fini. Quand une sportive a gagné autant de médailles qu'un sportif,
l'égalité devrait aller de soi. Je suis montée au créneau à propos du kimono car, d'après moi, ça relevait de la logique. Je n'ai pas été entendue. L'histoire reste dans un coin de ma tête. De cette question comme d'autres, on reparlera après les Jeux. Il reste du chemin pour obtenir un traitement égal entre les femmes et les hommes. Gagner une médaille d'or à Paris serait un moyen supplémentaire d'y parvenir.

Êtes-vous allée trop loin en jugeant « discriminantes » les nouvelles règles de désignation des porte-drapeaux, qui vous ont empêchée de postuler une deuxième fois après l'avoir été en 2021 ?

Je suis une sportive, je respecte les décisions une fois qu'elles sont prises. Je suis passée à autre chose et j'ai laissé la place à d'autres.

Vous n'avez pas l'impression d'être devenue clivante ?

Je m'efforce de promouvoir mon sport et mes valeurs. Il y aura toujours des personnes pour penser que j'en fais trop, mais je ne recherche pas la polémique. Vous savez, si je répondais à toutes les sollicitations, je pourrais être une porte-parole à plein temps. Ça viendra, quand j'aurai la quarantaine et que la pratique sportive sera derrière moi. Je compte faire entendre ma voix pour toutes les causes qui me tiennent à cœur. Il y en a beaucoup. Mon conjoint me dit que je ne sais pas me poser. Il a raison, personne ne m'a appris. Il n'y a que pendant ma grossesse que j'ai été très fatiguée et que mes proches me demandaient : « Pourquoi tu es comme ça ? » En fait, ils me préfèrent dynamique plutôt que calme.

Depuis votre retour à la compétition, vous avez remporté un sixième titre mondial avant d'échouer en quart de finale des championnats d'Europe puis des Mondiaux en mai. Quel bilan faites-vous ?

Après un an et demi loin des tatamis, j'ai ressenti le besoin de reprendre ma place. En 2023, j'ai tapé du poing sur la table et montré que j'étais encore présente. Je voulais refaire peur à mes adversaires. Quand on y pense, il était peu probable que je sois aussi performante onze mois après l'accouchement, en n'ayant pas fait une nuit complète depuis des mois. Les deux compétitions suivantes ont été plus délicates, même si j'ai fini les derniers Mondiaux avec une médaille de bronze à l'issue des repêchages. Revenir à ce niveau était déjà une grande victoire.

Mon conjoint me dit que je ne sais pas me poser. Il a raison, personne ne m'a appris

Y a-t-il eu de la défiance à votre égard?

Après les championnats d'Europe, j'ai senti moins de bienveillance, plus d'interrogations. On a pointé du doigt les décisions que j'ai prises pour élever ma fille, mon choix d'allaiter. Alors qu'il n'y avait pas matière à en discuter. J'ai senti, en tant que femme, que j'avais encore des comptes à rendre sur mon corps ; et, en tant que sportive, que je n'avais pas le droit à l'échec. C'est pourtant dans cette période plus difficile que j'avais besoin de soutien. Dans la victoire, tout est rose. Mais il faut bien comprendre que mes résultats jusque-là ont été hors norme. Je ne sais pas comment j'ai fait pour gagner autant. Je suis humaine.

Mais vous n'avez jamais donné l'impression d'en baver.

Du coup, il faut que j'en bave à fond pour que tout le monde s'en rende compte ? J'utilise mes réseaux sociaux pour montrer l'envers du décor et mes difficultés bien réelles. J'ai eu besoin de temps et l'olympiade n'a vraiment pas été simple.

Après votre défaite en finale des Jeux de Rio, vous aviez promis : « Plus jamais ça. » C'est toujours votre état d'esprit ?

Avec mon équipe, nous avons planifié afin de répondre aux sollicitations en amont de
la compétition et de consacrer les derniers mois de préparation au seul objectif sportif.
Je trouve que nous avons bien géré. Le jour J, je serai prête.

Pour une fin de carrière en apothéose ?

J'avais parlé d'arrêter après les JO de Rio, je l'ai redit au retour de Tokyo... La naissance
de ma fille m'a donné envie de continuer pour qu'elle me voie combattre. Quand elle me glisse « allez maman » et me soutient, ma force décuple. Quoi qu'il arrive, je ne finirai pas sur un tournoi olympique, peut- être plus sur un Grand Slam à Paris. Et puis, je me verrais bien avec dix titres de championne du monde, un nombre rond [huit à ce jour]. Il y a encore quelques petits objectifs qui me font envie.

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Commentaire 1
à écrit le 21/07/2024 à 7:38
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"Du pain et des jeux" Il est bien évident que les JO osnt hautement instrumentalisées comme dans tous les sports les politiciens préfèrent parler, enfin s'écouter parler plutôt que laisser ceux qui savent. "En fait, ils me préfèrent dynamique plutôt ...

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