UN ÉTÉ FRANÇAIS (5/8) - « Le moral des Français est indexé sur l’or » (par Philippe Ridet, écrivain)

Le journaliste et romancier clame son amour pour le champion olympique Léon Marchand, auquel il adresse une lettre écrite depuis son refuge de Tourouvre-au-Perche.
Léon Marchand après avoir remporté l’épreuve masculine de 200 mètres brasse mercredi.
Léon Marchand après avoir remporté l’épreuve masculine de 200 mètres brasse mercredi. (Crédits : © LTD / Kyodo/MAXPPP)

Mon très cher Léon...

La semaine dernière encore, dans les colonnes de La Tribune Dimanche, je t'imaginais déjà avec une médaille d'or autour du cou à l'issue de la finale du 400 mètres 4 nages dans la piscine de La Défense Arena. Il est vrai que je prenais peu de risques, connaissant ta domination dans cette spécialité. J'avais poussé l'identification (cette manie des écrivains, des journalistes sportifs et des anciens nageurs) jusqu'à m'approprier un peu de ta gloire. « Moi aussi, je serai champion olympique ! » avais-je claironné, au prétexte que, il y a un demi-siècle, j'alignais des longueurs de bassin dans l'eau bleutée d'une piscine municipale.

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Mais tu as dépassé les bornes. Je ne te demandais pas non plus de vider les réserves de la Banque de France. Avec quatre médailles d'or, tu m'as complètement largué. Même au prix d'un intense effort de concentration, comment te rejoindre sur les sommets où tu t'es perché ? « Chaque épopée a besoin d'un héros, un surhumain qui vient d'un autre monde, avec des capacités que nous ne pouvons pas vraiment comprendre », reconnaît le New York Times. De son côté, sur Instagram, l'écrivain Nicolas Mathieu se noie dans ses métaphores : « Les nageurs, les nageuses dans leur coulée fluide, leur ondulation de particule, leur élancement balistique [...], ces anatomies devenues comme des épées ou des avions, pures démonstrations des lois physiques, les nageurs ou les nageuses nous émeuvent plus que quiconque. » Si un Prix Goncourt ne sait à quel mot se vouer, comment veux-tu que je trouve les miens ? Plus tu repousses tes limites, plus je touche aux miennes.

De Mexico (1968) à Tokyo (2021), j'ai toujours regardé les Jeux olympiques à la télévision depuis que mes parents en ont acheté une (« un téléviseur », comme on disait alors, avec un coffrage de palissandre verni) aux alentours de 1965. Avec plus ou moins d'assiduité selon l'ampleur du décalage horaire. Avec plus ou moins de passion selon les ambitions de la délégation française. Cette position de téléspectateur m'allait à ravir : assez loin de l'événement pour garder la tête froide et assez près pour m'émouvoir.

Macron

Emmanuel Macron félicite Teddy Riner pour sa médaille d'or, vendredi.(Crédit : © LTD / LAURENT VI/SIPA)

À chaque édition s'accroche un souvenir comme une bernique à son rocher. Je me souviens de Colette Besson, de Guy Drut, de Thierry Rey, et de Pierre Quinon, des Bleus d'Henri Michel. Je me souviens de Pierre Durand et son cheval Jappeloup, de Marie-José Pérec, de David Douillet, des Manaudou frère et sœur. Je me souviens d'Alain Bernard, des handballeurs, de Renaud Lavillenie et de Teddy Riner. Passée du noir et blanc à la couleur, du tube cathodique à l'écran plat, ma mémoire est peuplée de ces madeleines pixélisées, sortes de repères quadriennaux disposés sur le cours du temps. Mais ces médailles étaient parfois miraculeuses.

J'aurais volontiers quitté mon confortable canapé trois places pour partager les hurlements des spectateurs

Avec toi, mon cher Léon, tout a changé. Tes victoires sont des promesses tenues. J'en suis venu à détester l'incertitude du sport. Depuis une semaine, je ne supporte plus ce suspense épuisant au bout duquel tel judoka trébuche au seuil de la finale, telle escrimeuse échoue au pied du podium, tel pongiste se fait barrer la route des quarts. Une journée sans toi me trouve à la fois fébrile comme au lendemain d'une cuite et mou comme une serpillière, « en proie aux longs ennuis ». Comme celui des Français, mon moral est indexé sur ton or. Les deux sont en hausse. Pendant une semaine, j'ai fait de ton exception l'ordinaire de ma vie de téléspectateur et de l'hyperbole ma figure de style préférée. Pour une fois, j'aurais volontiers quitté mon confortable canapé trois places à Tourouvre-au-Perche, mon village, pour partager les hurlements les spectateurs de La Défense Arena qui, pour le reste de leurs jours, pourront dire « j'y étais ». Vu ma consommation d'électricité, j'aurais gagné au change. Allergique aux foules, même sentimentales, j'aurais aimé être un atome de celle-ci comme s'il fallait s'y mettre à 15 000 pour te rejoindre. J'aurais hurlé ton prénom à chaque fois que tu sortais la tête de l'eau, j'aurais exulté au moment de la touche finale. J'aurais embrassé mes voisins. J'aurais fait des selfies avec des inconnus. J'aurais chanté Que je t'aime de Johnny Hallyday. À nouveau, j'aurais cru au père Noël quand il nous apportait le jouet désiré. Léon, tu m'as rendu à la crédulité de l'enfance, à sa bienheureuse idiotie.

Castet

Lucie Castets, candidate pour Matignon, en déplacement à Lille, le 27 juillet. (Crédit : © LTD / ISA HARSIN/SIPA)

La Léonmania fait des ravages. Les hommes et les femmes politiques qui ont saturé l'espace médiatique pendant les trois derniers mois se contentent de se couler dans ta vague. C'est la théorie du ruissellement appliquée à la notoriété. À ce jeu, Emmanuel Macron est un cador. On le croyait à Brégançon à parfaire le casting d'un futur gouvernement, façon Rubik's Cube, on le retrouve à Paris à sillonner les pistes aux étoiles du sport français. Au Champ-de-Mars, pour le triomphe de Teddy Riner, à Saint-Quentin-en-Yvelines, pour le triplé « historix » du BMX, et bien sûr à la Défense pour ta quatrième médaille. L'or, c'est l'or. Pas question d'attendre. Récupération ? C'est possible. Admiration ? C'est certain. Ses adversaires se contentent de messages enflammés sur les réseaux sociaux. Olivier Faure y va de son « Léon Marchand, il ne nage pas, il vole ». Peut mieux faire... Fabien Roussel dans la même veine : « Léon Marchand supersonique de la natation ! » Seul Jean-Luc Mélenchon ne s'est pas prononcé sur tes exploits. Peut-être ne sait-il pas nager...

Léon, tu m'as rendu à la crédulité de l'enfance, à sa bienheureuse idiotie

Te rends-tu compte, mon cher Léon ? Tes victoires ont presque éteint (je dis bien « presque ») les polémiques sur la cérémonie d'ouverture. De temps en temps, un historien de l'art, un politiste, un sociologue se risque à une analyse, mais le filon s'épuise. Trop woke ? Trop inclusive ? Trop tendance ? Trop anticléricale ? Je ne sais pas si tu étais à bord du bateau transportant la délégation française sur la Seine, mais même dans ta bulle olympique, tu en as sûrement entendu parler. Faut-il avoir raison avec Thomas Jolly, le metteur en scène, et ses zélateurs, ou tort avec le duc d'Anjou, Marion Maréchal et CNews, ses contempteurs ? Chacun s'est réfugié dans ses certitudes comme dans une tranchée. On est sommé de se prononcer. Personnellement, je m'en remets toujours à une phrase de Roland Barthes à propos du langage, mais ça marche aussi lorsqu'on doit prendre position : « Le fascisme n'est pas d'empêcher de dire, mais d'obliger à dire. »

Les biographies des grands sportifs sont souvent des revanches sur le sort. Tel gringalet est devenu haltérophile ; tel enfant difficile, un modèle de volonté ; tel solitaire, un chef d'équipe. Il y a toujours un obstacle à franchir, fût-il mental. Prenons le cas de Lucie Castets, énarque et conseillère aux finances et au budget de la mairie de Paris. Venue tard à la compète, elle vise la qualif pour Matignon. Depuis trois semaines que son nom est apparu sur les tablettes, elle multiplie les séances d'entraînement. Suivant les conseils d'Émilie Andéol, la consultante judo de France Télévisions - « Du mouvement, du mouvement, du mouvement ! » -, elle sillonne la France sous le cagnard d'août enfin revenu, un jour à Lille, un autre à Orléans. Cornaquée par ses coachs du Nouveau Front populaire, elle travaille son foncier et avale des fiches et des chiffres. Elle y croit. Elle monte en puissance. Tu le sais bien, mon cher Léon : il n'y a pas de victoire sans travail.

Pour le reste, il ne se passe pas grand-chose. La vraie vie reprendra quand tu auras fait sécher ton maillot. Les « marronniers » de l'été attendront la fin des Jeux dans les frigos des rédactions : incendies de forêt, allergies à la crème solaire, alerte aux moustiques tigres. Pour l'heure, les Français veulent regarder l'Olympe le plus longtemps possible, comme on va voir la vasque enflammée aux Tuileries.

Au village, les résidents secondaires sont revenus. On les repère facilement le vendredi matin sur le marché. « Ils portent des mocassins et des chemises », m'a dit un jour ma voisine sur le ton docte de Claude Lévi-Strauss découvrant les Indiens Guaranis. Elle pourrait ajouter qu'ils préfèrent le panier d'osier à la charrette à roulettes et ne dédaignent pas le chapeau de paille et les lunettes de soleil au premier rayon. Les moissons sont presque terminées et les maïs déjà hauts le long des routes. Un magasin éphémère a ouvert pour la durée du mois d'août à la place d'une ancienne épicerie bio. On y vend de la petite brocante, de la déco, du miel et des vêtements. Ça sent les vacances. J'espère que les tiennes seront bonnes... On se verra peut-être à la pistache ?

La bise !

Un été français
La semaine prochaine, retrouvez le sixième épisode de notre série.

Commentaire 1
à écrit le 04/08/2024 à 7:58
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Qu'est-ce que je dis... -_-

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