Les Indiens du Queens, ne succombent pas à la kamalamania

La vice-présidente, fille d’une émigrée du Tamil Nadu, peine à séduire cette communauté de plus en plus influente. Reportage dans le « Little India » de New York.
Le quartier de Jackson Heights, surnommé « Little India » par les New-Yorkais.
Le quartier de Jackson Heights, surnommé « Little India » par les New-Yorkais. (Crédits : © LTD / Kike Calvo via ZUMA Wire/REA)

Lipi aime rêver que les États-Unis auront une présidente en novembre. « Kamala Harris est bien éduquée et elle se bat contre les injustices », affirme la vendeuse de saris, bindi sur le front. Éclairée par un néon qui illumine crûment le sous-sol dans lequel sont suspendus ses tissus, la quadragénaire virevolte d'une allée à l'autre. Elle apprécie la probable future candidate démocrate. Pas davantage. Les origines indiennes de la vice-présidente ne semblent pas jouer en sa faveur. « Elle connaît notre culture mais elle reste une Américaine », tranche la commerçante.

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À côté d'elle, son collègue Mohd Robi, lunettes rectangulaires et chemise lie-de-vin, replie en vitesse des robes de mariage. S'il se montre un peu plus enthousiaste au sujet de l'ancienne procureure de Californie, c'est parce qu'elle permet « de mettre un terme à ce boys' club politique » que représentait jusqu'alors la course à la Maison-Blanche. Mais il ne se montre pas non plus galvanisé. La Kamalamania qui a gagné les États-Unis ces derniers jours n'a pas encore atteint les Indiens de Jackson Heights.

Dans ce quartier du Queens que les New-Yorkais surnomment « Little India », on bavarde en tamoul ou en hindi, on flâne entre les échoppes fumantes et les bijouteries. Quelques grands-pères, arrivés dans les années 1980, regardent passer les badauds. « La population indienne s'est beaucoup développée aux États-Unis ces dernières décennies », explique Karthick Ramakrishnan, fondateur du centre de recherche AAPI Data, qui mène des enquêtes sociologiques sur la communauté depuis 2008. Il y a vingt ans, elle comptait 1,6 million d'individus. Ils sont le triple aujourd'hui.

Historiquement, le cœur des Indiens bat plutôt à gauche : ils constituent l'un des groupes d'Américains-Asiatiques les plus progressistes. 68 % d'entre eux sont favorables au Parti démocrate « pour ses positions plus souples sur la politique migratoire, sa défense de la sécurité sociale et de l'éducation », explique Pawan Dhingra, spécialiste d'études sur les Américains d'origine asiatique à l'Amherst College. « La diaspora indienne est également plus libérale sur les questions de l'avortement et de l'environnement », assure-t-il.

Pourtant, depuis quelques années, le soutien aux Bleus est moins fervent. Kamala Harris ne bénéficie d'aucun traitement de faveur : sa cote de popularité parmi les Indiens est passée de 62 % à 56 % entre 2022 et 2023, selon des données fournies par AAPI Data. « Cela ne bénéficie pas pour autant à Donald Trump », tempère Karthick Ramakrishnan. Les déçus du Parti démocrate ont plutôt rejoint la nébuleuse insaisissable des indépendants. « Reste à savoir si la nomination de Harris à la tête du ticket les ramènera vers le parti », ajoute le chercheur.

Une diaspora bien intégrée

Si l'on écoute Roop Sajnani, ce ne sera pas le cas. Ce grand-père originaire de Bombay hausse les épaules à la mention de la candidate. « Personne d'autre ne peut battre Trump », assure-t-il. L'octogénaire est arrivé à New York il y a cinquante ans et a ouvert un premier commerce dans la foulée. « Ce qui m'inquiète, c'est de voir nos frontières grandes ouvertes, s'agace-t-il. Même quand on les ferme, les illégaux arrivent à passer. »

Quand on leur demande ce qu'ils pensent de Kamala Harris, ses clients sont dubitatifs. Au mieux, ils esquissent un timide sourire ; au pire, ils tapent son nom sur un moteur de recherche pour savoir de qui il s'agit. Née d'un père jamaïcain et d'une mère indienne, Kamala Harris oscille entre les

deux communautés sans qu'aucune ne la considère vraiment comme l'une des leurs. S'ils ne représentent que 1,35 % de la population américaine, le poids des Indiens est de plus en plus important dans la société américaine. « C'est l'un des groupes ethniques qui réussissent le mieux économiquement », détaille Karthick Ramakrishnan. Certains, comme Sundar Pichai, directeur général de Google, sont devenus les têtes d'affiche de prestigieuses compagnies. « C'est le signe que la communauté se développe et s'intègre de plus en plus au tissu national », se félicite Pawan Dhingra. D'autres membres de la diaspora occupent une place de choix dans l'arène politique. Ils sont cinq à siéger au Congrès et deux furent candidats à la primaire républicaine cette année : Nikki Haley et Vivek Ramaswamy. Usha Vance, l'épouse de J.D. Vance, le colistier de Donald Trump, est également d'origine indienne. Il était d'ailleurs assez troublant de la voir saluer avec gourmandise une foule décidée à fermer les frontières, lors de la convention du parti conservateur la semaine dernière.

« Un groupe ethnique est vraiment en plein essor aux États-Unis quand il commence à produire des xénophobes et des racistes de premier plan », relevait le magazine The Nation en février. Quel que soit le camp qui remporte l'élection, les Indiens seront (très) partiellement représentés à la Maison-Blanche en novembre. Par une présidente ou par une « seconde dame ».

L'enfant prodigue célébrée en pays tamoul

Si Kamala Harris n'a pas remis les pieds en Inde depuis plusieurs années, elle n'en demeure pas moins une fierté locale. Depuis le retrait de Joe Biden il y a une semaine, les quelque 400 habitants de Thulasendrapuram multiplient les prières pour celle qu'ils considèrent comme l'enfant du village. Des banderoles à la gloire de la vice-présidente ont aussi été déployées à l'entrée de la commune. C'est dans ce hameau du Tamil Nadu, dans le sud du pays, qu'est née sa mère, Shyamala Gopalan. Partie aux États-Unis où elle est devenue spécialiste dans la recherche sur le cancer du sein et militante des droits civiques, elle a tenu à maintenir le lien entre sa fille et son pays d'origine. Pendant une partie de sa jeunesse, la démocrate s'y est donc rendue chaque année. « Cela fait partie de mon parcours et a incontestablement eu une grande influence sur ce que je fais aujourd'hui et sur ce que je suis »,confiait-elle à CNN, il y a quelques années.

Commentaire 1
à écrit le 31/07/2024 à 21:09
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Justement pour renforcer cette kamalamania auprès des communautés minoritaires , ce serait le ticket parfait si Mme Kamala HARRIS nommait à sa vice-présidence une femme de couleur comme elle : par exemple Mme Alexandria OCASIO ORTEZ , femme démocrate...

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