Du battement de cœur au battement d’ailes

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — Les vice-présidents américains ont rarement succédé à leurs colistiers à la fin de leur mandat. C’est tout le pari de Kamala Harris que d’y parvenir. Ce qui pourrait peut-être infléchir en partie la politique étrangère américaine.
François Clemenceau
François Clemenceau
François Clemenceau (Crédits : © DR)

La vice-présidence des États-Unis est « à un battement de cœur du Bureau ovale ». Cette expression d'Adlai Stevenson, ambassadeur de John Kennedy aux Nations unies, mais surtout petit-fils de l'ancien vice-président de Grover Cleveland, n'a jamais quitté les livres d'histoire. Elle était même le titre d'une exposition organisée l'an dernier par la Fondation Gerald R. Ford, ancien vice-président et successeur non élu de Richard Nixon. Cela signifie que le numéro deux n'a qu'une double fonction : aider son colistier à gagner la présidentielle avec toute sa complémentarité et, si la victoire est acquise, le remplacer en cas de démission, d'assassinat ou d'opération chirurgicale avec anesthésie générale. Autrement dit, un énorme investissement pour gagner puis quatre ou huit années dans l'ombre. Sans autres perspectives que de suppléer son chef après sa mort ou de lui succéder par les urnes.

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Au XXème siècle, à part Lyndon B. Johnson qui a succédé à JFK pour finir son mandat puis s'est fait élire pour quatre années de plus, seul le vice-président George H.W. Bush a remporté une présidentielle dans la foulée du double mandat de Ronald Reagan. D'autres vice-présidents ont essayé d'incarner la rupture dans la continuité mais sans y parvenir. C'est le cas d'Al Gore, plombé en partie par l'affaire Monica Lewinsky qui avait pollué la fin du deuxième mandat de Bill Clinton. Certains bras droits sont revenus à la Maison-Blanche mais plus tard, comme Richard Nixon ou Joe Biden. Mais cet exercice de la transmission du flambeau auquel le président vient de se livrer en adoubant sa vice-présidente Kamala Harris pour aller à la bataille à sa place est inédit. Les plus pessimistes ont estimé cette semaine que c'était trop tard. Les plus lucides que c'était extrêmement risqué vu l'impopularité de la vice-présidente dans les États clés du Midwest et de l'Ouest. Les plus optimistes continuent de considérer que c'est jouable. En admettant qu'elle finisse par renverser les scores qui lui sont promis jusqu'à présent dans le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie, fasse jeu égal dans l'Arizona ou le Nevada et remporte la Géorgie, alors elle pourra s'installer à la place de Joe Biden dans le Bureau ovale.

Comme Obama et Biden, Harris ne transigera pas sur la sécurité d'Israël

Y commandera-t-elle une politique étrangère qui s'émanciperait de celle menée par Joe Biden ces dernières années ? Il y a ici et là comme des indices. D'abord, la présence à ses côtés d'un conseiller à la sécurité nationale que nous connaissons bien en France depuis les années Clinton. Phil Gordon est un diplomate parfaitement francophone, spécialiste des affaires européennes et eurasiatiques et traducteur des œuvres de Nicolas Sarkozy et d'Hubert Védrine aux États-Unis. S'il reste aux côtés de Kamala Harris, nul doute que son influence sera préservée et tiendra compte, même au-delà des nombreux désaccords transatlantiques, des positions européennes, notamment de la France et de l'Allemagne. Sur l'Ukraine et la Russie, il suffit de relire le discours que Kamala Harris a prononcé l'hiver dernier à la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité pour y voir la patte, entre autres contributeurs, de Gordon. Non à l'isolationnisme, oui à la culture du partenariat entre alliés, non aux dictatures qui ensauvagent le monde, oui à la défense des valeurs que nous partageons entre démocraties occidentales et au-delà. « Nous ne suivons pas cette politique par charité mais parce que c'est notre intérêt stratégique », disait-elle.

Même chose, bien que le terrain soit encore plus délicat, sur Israël et la Palestine. Benyamin Netanyahou n'a pas apprécié le commentaire que Kamala Harris a exprimé après leur rencontre en privé de ce jeudi. « Il est temps que cette guerre se termine pour permettre à Israël de vivre en sécurité, aux otages d'être libérés, mettre un terme à la souffrance des Palestiniens de Gaza et faire en sorte que les Palestiniens puissent exercer leurs droits à la liberté, la dignité et l'autodétermination. » Kamala Harris sait qu'à l'image de Barack Obama et de Joe Biden elle ne transigera pas sur la sécurité d'Israël. Mais elle sait aussi combien les dizaines de milliers de morts parmi les civils de Gaza ont choqué les consciences de la jeunesse aux États-Unis, dans la communauté arabo-américaine et jusqu'au sein de l'électorat afro-américain qu'elle se doit de réveiller et de mobiliser d'ici au mois de novembre. Humilié par Netanyahou à de nombreuses reprises ces trente dernières années, Biden vient de transmettre à Kamala Harris ce dossier aussi empoisonné qu'existentiel. Taïwan sera évidemment un autre sujet majeur, un test en quelque sorte, face au simplisme mercantile de Donald Trump, pour découvrir les capacités de diplomatie et d'autorité de la potentielle première femme présidente des États-Unis.

François Clemenceau
Commentaire 1
à écrit le 28/07/2024 à 9:42
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Monsieur Clémenceau,(avec tout le respect pour vos compétences que je vous dois) pensez vous sérieusement que la philosophie progressiste incarnée par Madame Harris qui met le curseur encore plus à gauche soit majoritaire aux états-unis, comme ma per...

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