![À l'étranger, l'image de la France serait brutalement dégradée si l'extrême droite arrive à Matignon.](https://static.latribune.fr/full_width/2403271/tour-eiffel.jpg)
Tic tac, tic tac, tic tac....À la veille du scrutin des législatives, la France est plongée dans une profonde torpeur. En tête dans les sondages, le Rassemblement national (RN) pourrait remporter un record de sièges au Palais Bourbon devant le Nouveau Front Populaire (NFP) et Renaissance après sa victoire écrasante aux Européennes. Promettant une « grande clarification » après la décision fracassante de la dissolution, le président Emmanuel Macron a raté son pari. Contesté dans son propre camp, le chef de l'Etat va devoir se résoudre à gouverner le pays dans une configuration sans doute inédite depuis le début de la Vème République.
Législatives : inquiétudes en cascade sur le risque d'instabilité
Le « barrage républicain » et les désistements de l'entre deux tours devraient certes empêcher l'extrême droite d'avoir une majorité absolue à l'Assemblée nationale mais le risque d'instabilité est toujours bien présent. « Il y a de sérieuses incertitudes sur le choix du Premier ministre, son gouvernement, sa politique, le vote du budget, le risque de censure, et même sur le maintien en fonction du Président Macron », explique l'économiste en chef d'ODDO-BHF, Bruno Cavalier. Au Parlement, le risque de blocage sans véritable majorité est aussi très prégnant.
La France « va se diriger vers l'absence de majorité absolue. La coalition qui se met en place pourrait avoir 263 sièges au maximum. Ce qui risque d'entraîner un apprentissage compliqué au Parlement», souligne Christopher Dembick, économiste chez Pictet Asset Management. Face au scénario noir de paralysie, l'autre option serait un «gouvernement technique ». Secouée par les crises, l'Italie a connu cette situation sous Mario Monti (2011-2013) et Mario Draghi (2021-2022). Une situation qui ne résoudrait que provisoirement la grave crise que traverse la France. En effet, la place prépondérante que pourrait occuper l'extrême droite à l'Assemblée nationale devrait incontestablement provoquer des débats électriques dans une chambre sans majorité absolue.
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Législatives : grandes craintes sur la croissance
L'économie française s'apprête à rentrer dans une zone de fortes turbulences. « On a déjà perdu un trimestre de croissance », a déclaré le patron de la CPME, François Asselin, cette semaine. Provoquant une onde de choc dans les milieux financiers, l'annonce de la dissolution a plongé un grand nombre d'entreprises et de ménages dans un épais brouillard. Face aux différents types de scénarios, les investisseurs sont dans l'attentisme. Jusqu'à maintenant, « les investisseurs étrangers avec qui je suis en contact disent qu'ils ne sont pas affolés », affirme Christopher Dembick. Mais les résultats de dimanche prochain pourraient changer brutalement la donne.
L'objectif de 1% de croissance pour 2024 est « loin d'être certain », poursuit l'économiste. Au lendemain des élections européennes, la Banque de France avait déjà révisé à la baisse ses prévisions de croissance du produit intérieur brut (PIB) pour 2025 à 1,2% contre 1,5% précédemment, en raison notamment de la rigueur budgétaire et du contexte géopolitique. Mardi prochain, la projection de croissance de l'Insee pour 2024 sera particulièrement scrutée.
Au printemps, le gouvernement comptait sur l'assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) pour redonner du souffle à la consommation des ménages. Mais ce pari semble désormais perdu compte tenu de la crise politique en cours. Les ménages modestes ayant la plus forte propension à consommer pourraient reporter leurs dépenses dans ce climat particulièrement anxiogène. Dans les entreprises, les dirigeants, en particulier les TPE et PME, ont fait part de leurs inquiétudes face au manque de clarté quant à l'avenir politique de l'Hexagone.
Budget : un calendrier largement chamboulé
La dissolution a incontestablement chamboulé le calendrier budgétaire de la France. Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, avait entamé au mois de juin les traditionnelles tractations avec les autres ministères pour arrêter les dépenses et les recettes de chacune des missions de l'Etat. Mais tout ce travail risque de passer à la trappe. A Bercy, les hauts fonctionnaires ont mis sur pause la préparation du projet de loi de finances 2025.
Pendant la campagne, le Rassemblement national et le Nouveau Front Populaire ont déjà fait savoir qu'ils feraient passer un budget rectificatif durant l'été pour mettre en œuvre des mesures d'urgence. Cette enveloppe pourrait largement bousculer la trajectoire budgétaire de l'Hexagone déjà contestée par la Commission européenne au printemps. En tenant compte de ce budget rectificatif, les experts de Bercy savent que les marges de manœuvre à l'automne seront particulièrement étroites pour bâtir le budget 2025 habituellement présenté fin septembre. « La contrainte qui va s'imposer est le déficit et la dette publique, peu importe la couleur politique », souligne Christopher Dembick.
Déficit excessif :la France dans le viseur de la Commission
Sous surveillance de la Commission européenne, la France s'est fait taper sur les doigts fin juin pour ses déficits jugés excessifs. Officiellement, la procédure n'est pas encore ouverte. Mais celle-ci doit intervenir le 16 juillet prochain dans le cadre d'un conseil des ministres des finances (Ecofin), soit une semaine après le second tour des élections législatives.
Dans l'hypothèse où le Rassemblement National serait à la tête du gouvernement, les négociations promettent d'être très périlleuses avec les instances bruxelloises compte tenu de la position hostile du parti nationaliste à l'égard de Bruxelles. Au plus tard le 20 septembre, le gouvernement devra soumettre à la Commission européenne « un plan fiscal et structurel de moyen terme ». « Aujourd'hui, le problème est que la France est le mauvais élève. Initialement, le gouvernement avait prévu 4,4% de déficit en 2024 puis revu sa prévision à 5,1%. Le prochain gouvernement devrait présenter un budget rectificatif en juillet et devra trouver 10 à 15 milliards d'euros minimum en novembre», souligne Christopher Dembick. Une gageure pour le nouvel exécutif.
Législatives : faut-il craindre une hausse du « spread » ? A ce stade, il est difficile de prévoir quelle sera la réaction du « spread », c'est-à dire l'écart de taux à 10 ans entre l'OAT française et le Bund allemand lundi prochain. Le « spread » est actuellement autour de 70 points de base. Après la dissolution, « il y a eu beaucoup de remous sur le taux à 10 ans. L'écartement du spread est allé jusqu'à 30 points mais cela est aussi dû à la baisse du Bund allemand », rappelle Christopher Dembick. « Pour l'instant, nous ne sommes pas sur des niveaux inquiétants ». Même si cette hausse de l'écartement demeure modérée, elle « reflète les inquiétudes sur la situation du déficit ». « C'est une situation qu'il faudra résoudre rapidement », juge l'économiste. En Italie, la configuration politique instable en 2018 avait fait bondir le spread sans provoquer de crise de la dette souveraine.