L'annonce d'une dissolution de l'Assemblée nationale a provoqué une violente onde de choc dans les milieux économiques et financiers. Au lendemain des élections européennes, la France entre dans une zone de fortes incertitudes. Après le score écrasant du Rassemblement national (RN) au Parlement européen, Emmanuel Macron a convoqué de nouvelles élections législatives les 30 juin et 7 juillet prochains.
À la grande surprise de nombreux observateurs, le président de la République a précipité la France dans un profond brouillard économique et budgétaire. « C'est l'élection législative qui aura les conséquences les plus lourdes pour la France, pour les Français, de l'histoire de la Ve République », a déclaré Bruno Le Maire sur la radio RTL. « C'est pour cela que j'appelle la majorité à définir un projet qui soit le plus clair possible, axé autour de trois axes: l'autorité, l'indépendance économique et financière avec le rétablissement des comptes publics et la défense de la culture nationale ». Sur les marchés, l'écart de taux (« le spread ») à 10 ans entre la France (OAT) et l'Allemagne (Bund) a déjà commencé à s'écarter de 50 points de base ce lundi 10 juin. Et la volatilité devrait se poursuivre dans les semaines à venir.
Recul de l'extrême droite, le pari raté d'Emmanuel Macron
Promettant de faire reculer l'extrême droite lors de son élection en 2017, le président de la République a complètement raté son pari. Les partis nationalistes (RN, Reconquête) ont gagné 8 points par rapport aux dernières élections européennes de 2019. Outre les catégories populaires, le Rassemblement national (RN) a fait des percées spectaculaires dans les classes moyennes (+10 points chez les professions intermédiaires) et les cadres (+ 7 points) selon une enquête sociologique de l'institut de sondages Ipsos.
Et le vote RN a également largement gagné l'électorat féminin (20% des bulletins en 2019 contre 30% en 2024). Le parti de Jordan Bardella a donc élargi son socle électoral aux catégories intermédiaires et supérieures. Mais la France est loin d'être isolée. En Europe, la montée de l'extrême droite a également provoqué de la stupéfaction après une campagne de six mois. De l'autre côté du Rhin, l'AFD a terminé en seconde position devant les sociaux-démocrates d'Olaf Scholz, à la tête de la coalition au pouvoir.
Le grand brouillard budgétaire
Le coup d'envoi de la campagne des nouvelles élections législatives chamboule l'agenda et le programme des réformes économiques d'Emmanuel Macron. Au ministère des Finances, les agents sont en plein flou budgétaire. Le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave a annoncé ce lundi 10 juin sa candidature à la députation dans la première circonscription de Bordeaux. Il y a une semaine, le ministre du Budget avait entamé la traditionnelle période de tractations budgétaires estivale avec les autres ministères. Objectif : couper drastiquement dans les dépenses d'Etat pour tenir la promesse macroniste de parvenir aux 3% de déficit d'ici 2027.
Pour rappel, le ministre du Budget avait annoncé une cure de rigueur de 20 milliards d'euros à trouver pour 2024 et au moins 20 milliards d'euros pour 2025. Le gouvernement avait prévu aussi de s'attaquer aux dépenses de santé et aux budgets des collectivités locales. Force est de constater que cet agenda budgétaire est complètement percuté par la stratégie macroniste. Au lendemain de la dégradation de la note de crédit par l'agence Standard and Poor's, le gouvernement s'était pourtant engagé à redresser les comptes publics de la France. Au palais Bourbon, le député et président de la Commission des finances (LFI) Eric Coquerel devait lancer les dialogues de l'Assemblée nationale sur la fiscalité après les élections européennes mais là encore, la dissolution met un coup d'arrêt à toute initiative parlementaire.
La menace d'une sanction pour déficit excessif plane sur la France
Les mauvaises nouvelles risquent de ne pas s'arrêter là pour le gouvernement. Le 18 juin prochain, la Commission européenne doit rendre son verdict sur les procédures de déficit excessif. Dans le viseur de Bruxelles, figure sans surprise la France d'Emmanuel Macron. Suspendues pendant la période de la pandémie, les règles budgétaires de l'Union européenne mettent de nouveau les Etats sous pression.
La Commission a certes adopté une réforme en fin d'année 2023 prenant plus spécifiquement la situation budgétaire de chaque Etat. Mais le retour des objectifs du Traité de Maastricht de ramener la situation budgétaire à 3% de déficit et 60% de dette va obliger le prochain gouvernement à présenter une trajectoire des finances publiques périlleuse. Pressé par l'accélération du réchauffement climatique et l'enlisement de la guerre en Ukraine, la France va devoir investir plusieurs dizaines de milliards d'euros dans un contexte budgétaire particulièrement maussade.
La politique budgétaire suspendue au scénario de l'après législative
La politique budgétaire de la France va évidemment dépendre des résultats des élections législatives. Face à une gauche éclatée en satellites et une droite émiettée, Emmanuel Macron veut refaire le duel entre sa majorité et l'extrême droite. Mais le pari d'obtenir une nouvelle majorité est très risqué compte tenu du dernier score des forces nationalistes aux élections européennes. Sur le plan budgétaire, « le groupe Renaissance est désormais discrédité par l'agence de notation Standard and Poor's », déclare Anne Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO France.
Quant au Rassemblement national (RN), « son programme semble très difficile à financer », ajoute-t-elle. Le RN « parle de revenir sur la réforme des retraites. C'est un point de vigilance pour les marchés [...] Le fait d'arrêter l'assurance chômage est aussi très regardé par les marchés », affirme l'économiste. Le programme du RN « propose pas mal de dépenses et des sources de financement pas très robustes avec un refus d'augmenter les impôts ». Au final, « les économies espérées restent très limitées». Peu optimiste, l'économiste et directeur de la recherche chez Natixis Jean-François Robin estime « qu'un scénario de dégradation de la trajectoire des finances publiques est le plus probable, hormis celui d'une coalition d'union nationale ». Comme les agences et le FMI demandent plusieurs dizaines de milliards d'euros d'économies, « l'équation budgétaire va être très compliquée».
Plateforme de gauche : impôt en vue sur les entreprises
Du côté de la gauche, les incertitudes sont très élevées au vu des nombreuses divisions entre la France insoumise, le Parti socialiste, Europe Ecologies les Verts et le Parti communiste. La campagne éclair avant le scrutin des législatives laisse peu de temps pour bâtir une plateforme commune. « Dans l'hypothèse d'une plateforme de gauche, le levier le plus simple est la hausse des impôts », explique Anne-Sophie Alsif.
Cela pourrait passer par « une hausse de la fiscalité sur les entreprises et la suppression de niches fiscales ». Ce qui inquiète vivement les milieux dirigeants. Quant aux ménages, l'une des propositions de la gauche aux élections européennes est de mettre en place une fiscalité plus élevée sur les grandes fortunes. Mais il est encore difficile à ce stade de savoir si cette proposition doit se faire à l'échelle européenne ou nationale.
Des perspectives économiques bien sombres
Au vu des incertitudes pesant sur la France, l'horizon économique est loin d'être dégagé. La croissance (+0,2%) et l'emploi (+0,3%) ont fait légèrement mieux que prévu au premier trimestre 2024 mais l'activité tricolore tourne toujours au ralenti. La baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) annoncée la semaine dernière devrait redonner du souffle aux ménages et aux entreprises au second semestre Mais de nombreux nuages continuent de planer au-dessus de l'économie tricolore.
D'abord, les dernières hausses de taux de la BCE décidées en 2023 continuent d'avoir des effets négatifs sur la demande compte tenu du délai de transmission à l'économie. A cela s'ajoutent, les effets d'une politique budgétaire restrictive sur les carnets de commande des entreprises et la consommation des ménages. Autant dire que l'été sera très chaud pour l'économie française.