Profession « shaper », l’art et la matière

Préparer une planche de surf, c’est un métier rare qui exige un savoir- faire très particulier. Rencontre avec une nouvelle vague d’artisans.
L’atelier d’UWL Surfboards produit 1000 planches chaque année.
L’atelier d’UWL Surfboards produit 1000 planches chaque année. (Crédits : © LTD / Elsa Girault/dustrydarkroom)

Un bruit métallique et assourdissant accompagne les mouvements de va-et-vient de la scie circulaire sur le pain de mousse polyuréthane. « Avant de donner forme à des rêves, on fabrique d'abord de la poussière », observe Renaud Cardinal, casquette à visière plate et bermuda large, derrière l'ordinateur qui commande la prédécoupe de ses futures planches de surf.

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De la poussière, il y en a effectivement du sol au plafond dans ce hangar d'UWL, l'une des marques françaises les plus importantes, établie à La Rochelle. Ça fait maintenant plus de trente ans que Renaud Cardinal « shape » avec son frère Thomas. N'ayez pas peur des anglicismes, dans le milieu on « shape » le « longboard » dans une « shaping room ». On parle de « nose » pour désigner l'avant de la planche, de « tail » pour l'arrière. Et le tout se mesure en pouces ou en pieds.

Car si le surf trouve ses origines à Hawaii, les États-Unis se sont réapproprié cette pratique après avoir annexé l'archipel à la fin du XIXe siècle - elle arrivera ensuite à Biarritz en 1956. « Les premiers shapers sont des gens qui ont vu arriver quelqu'un avec sa planche et qui se sont dit "je veux faire pareil", raconte Thomas Cardinal, dont la société est reconnue entreprise du patrimoine vivant, un label de l'État mis en place pour distinguer des entreprises françaises artisanales aux savoir-faire rares et d'exception. Il n'y a pas d'école : on apprend seul ou par transmission. »

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(Crédits : © ELSA GIRAULT)

Les ouvrages des deux frères coûtent entre 700 et 2 000 euros pièce, 10 000 pour les produits réalisés pour des marques de luxe. Louis Vuitton, Dior, Yves Saint Laurent, Hermès mais aussi de grandes marques d'alcool ou de voitures passent commande chez eux, séduits par l'image d'exotisme et de grands espaces qu'on associe souvent au surf. Sur 1 000 planches produites chaque année par UWL, 200 sont à destination du secteur du luxe, soit 40 % de son chiffre d'affaires. « Nous restons cependant un métier de niche, constate Thomas Cardinal. Beaucoup de shapers français fabriquent une poignée de planches chaque année pour les copains mais gardent un autre métier à côté. »

Les premiers shapers sont des gens qui ont vu arriver quelqu'un avec sa planche et qui se sont dit "je veux faire pareil"

Thomas Cardinal, cogérant d'UWL Surfboards

Ce qui rend cet artisanat si particulier, c'est qu'il existe autant de planches que de types de vagues ou de morphologies humaines. Les formes sont définies selon le poids de la personne, son âge, la fréquence de sa pratique mais aussi où elle compte surfer. Pour une vague tubulaire, comme celle de Teahupo'o, à Tahiti, qui accueillera les premières épreuves de surf aux Jeux olympiques cet été, Vahine Fierro, l'un des espoirs de médaille français, a opté pour un équipement long et assez plat, pensé pour générer de la vitesse. « L'essentiel c'est d'avoir confiance en sa planche, confie la sportive en marge de sa dernière conférence de presse à Paris. Et pour une vague redoutable comme Teahupo'o, où les rouleaux s'écrasent avec violence sur un récif peu profond, c'est elle qui t'aide à surmonter ta peur. »

Celle de l'athlète Céline Rouillard réalisée par Notox, qui fabrique des planches éco-conçues à Anglet dans le Pays basque, n'a rien à voir avec celle de Vahine Fierro. Sa carène est incurvée, presque bombée. « C'est un peu comme si on avait shapé sa planche à l'envers », remarque Pierre Pomiers, le cofondateur de l'entreprise, en manipulant sa création. « La difficulté, aussi, c'était qu'on devait faire une planche pour deux. » Atteinte d'une sclérose en plaques, cette championne de l'équipe de France de para surf s'allonge pour surfer, accompagnée d'un binôme présent dans l'eau qui l'aide à se stabiliser et à la pousser dans la vague. L'arrière de l'objet est donc plat pour faciliter la propulsion. Des cales, des poignées et des coussins ont aussi été ajoutés pour qu'elle puisse se maintenir sur la planche.

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(Crédits : © ELSA GIRAULT)

« Elle me permet de tourner plus rapidement que le modèle que j'utilisais avant, détaille la médaillée de bronze aux championnats du monde de novembre dernier. Je peux donc faire de nouvelles figures pour prétendre à d'autres médailles. » Depuis son entrée dans l'équipe de France il y a deux ans, Céline Rouillard s'entraîne sans relâche. « Carbone, 1 ; Céline, 0 », lance-t-elle en riant, le doigt pointant une plaie qui lui balafre le visage. L'objectif : les JO. Sauf que ceux de cette année n'incluent finalement pas le para surf. Et mi-juin, il a été annoncé que les prochains Jeux, Los Angeles 2028, ne le programmeraient pas non plus. « On nous rétorque qu'il n'y a pas assez d'athlètes. Mais si on ne nous laisse pas briller, alors personne ne nous voit. »

La nouvelle vague écolo

Un surfeur se doit de comprendre l'océan, de l'observer patiemment, d'en analyser les périodicités. Il entre en « communion » avec la nature. « On amalgame souvent ce terme avec la conscience écologique, mais ça n'a rien à voir, souligne Jérémy Lemarié, docteur en sociologie et passionné de glisse. Et pour un surfeur, ce qui compte c'est de sauvegarder la vague, pas la planète. »

Cette réalité se retrouve dans son équipement, constitué en grande majorité de dérivés du pétrole dont les particules se répandent dans l'océan à chaque session. Les combinaisons sont fabriquées en Néoprène, et la wax utilisée sur les planches comme antidérapant est principalement composée de paraffine. « Aucune étude ne démontre la dangerosité de ce produit pour les océans, mais si la crème solaire contribue à des pollutions chimiques invisibles, lentes et sournoises qui se logent dans les graisses des mammifères marins et perturbent les écosystèmes océaniques, pourquoi n'en serait-il pas de même de la wax ? » s'interroge Damien Houques.

Surfeur depuis l'adolescence, « shaper » à ses heures perdues, il a créé GreenFix il y a quinze ans, pour proposer la première wax naturelle française composée de cire d'abeille ou végétale, d'huile végétale et d'un dérivé de la résine de pin, pour remplacer la colle. Depuis, d'autres productions du même genre ont vu le jour, comme Maison Rivages.

Remplacer la fibre de verre par du lin

La planche non plus ne fait pas exception. La première fois que Pierre Pomiers, cofondateur de la marque Notox en 2009, s'est rendu dans l'atelier d'un ami shaper, il dit s'être « pris une claque ». Deux tiers des matériaux utilisés partent en déchets et les composants des produits s'avèrent neurotoxiques quand ils ne sont pas cancérigènes. Il se met alors en tête de trouver des matériaux de substitution. Se tourne vers des pains en polystyrène - une matière recyclable quand elle est propre. Remplace la fibre de verre par du lin ou du carbone périmé récupéré chez Airbus et teste des résines biosourcées.

Depuis dix-huit mois, Pierre Pomiers élargit son combat et, avec d'autres marques comme UWL, tente d'instaurer un Éco-score pour noter à l'aide de lettres l'impact environnemental de chaque fabrication. Une démarche de nature à donner au surf la conscience écologique qui lui fait souvent défaut.

Un lieu de vie dédié au surf

Le 6 juillet, UWL a inauguré son nouveau Shapers Club, un atelier et un lieu de vie de 1 800 mètres carrés à Marennes (Charente-Maritime), où l'on peut prendre un verre en découvrant en direct le processus de fabrication des planches de surf.

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Commentaire 1
à écrit le 28/07/2024 à 8:42
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J'ai vu le surf hier à Taîti et c'est vraiment très sympa l'endroit dans lequel ils évoluent ils doivent y être vraiment bien loin de la folie parisienne.

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