« Le vin est toute ma vie » (Philippe Guigal, vigneron)

ENTRETIEN - Établie au cœur du vignoble de côte-rôtie, la célèbre famille rhodanienne a inauguré jeudi le chantier pharaonique du Château de Nalys, à Châteauneuf-du-Pape.
Philippe Guigal en 2009 à Ampuis.
Philippe Guigal en 2009 à Ampuis. (Crédits : © LTD / E. GUIGAL)

Il représente la troisième génération de Guigal à la tête d'un domaine historique et d'une maison mondialement connue pour ses vins. Plus que jamais attaché à faire rayonner la vallée du Rhône, Philippe Guigal se confie sur les projets qui animent l'entreprise familiale.

LA TRIBUNE DIMANCHE - À travers le chantier de Nalys, la Maison Guigal entend-elle marquer un peu plus de son empreinte l'appellation châteauneuf-du-pape?

PHILIPPE GUIGAL - Avoir un pied dans le Sud et s'établir sur la zone méridionale des côtes-du-rhône a toujours été un souhait très clair de notre part. Une vingtaine d'années se sont écoulées avant de trouver le Château de Nalys, en 2017. Nous avons eu un véritable coup de cœur pour ses terroirs, son patrimoine viticole absolument hors norme et son exceptionnelle potentialité qualitative: une propriété d'exception où se faire plaisir en tant que vigneron, à travers une approche culturale. Au moment de la reprise, les gens ont compris que la famille Guigal, en tant que négociant, sélectionnait des grands vins de châteauneuf-du-pape depuis le millésime 1942; nous n'étions donc pas « nouveaux » sur l'appellation! Certes, nous sommes davantage reconnus en zone septentrionale pour les vignobles où nous travaillons plus largement (côte-rôtie, condrieu, hermitage...), mais j'ose espérer que Nalys se positionnera comme vaisseau mère de la région en tant que propriété. Ce chantier de grande ampleur s'inscrit, pour nous, d'abord dans une dynamique locale, avec et pour châteauneuf-du-pape, dans le respect absolu de son identité. Aussi, si nous pouvons aider au développement comme au rayonnement de cette appellation iconique, alors nous serons très contents de le faire.

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Ce futur chai est-il la promesse de tous les possibles ?

Les 75 hectares et 13 cépages que nous cultivons en bio à Nalys regroupent des entités de sols différentes. Très vite, nous avons identifié que l'ancien outil de production serait
la limite qualitative pour pouvoir progresser et entrer dans la spécificité de chaque terroir. Aujourd'hui, nous sommes capables d'isoler une cinquantaine d'unités parcellaires
reflétant la complexité du vignoble, qui méritent toutes d'être vinifiées séparément. D'où la nécessité de notre démarche, destinée non pas à faire du vin mais - j'ose le dire - des grands vins.

En quoi vous sentez-vous l'âme d'un bâtisseur?

Ce penchant est intimement lié à l'ADN de la famille: comme tous les vignerons du nord de la vallée du Rhône, il faut aussi être maçon! Les fortes pluies endommagent les vignobles en terrasses et de nombreux murs - dont  certains datent de l'époque romaine - s'effondrent.      Il faut, à chaque fois, être capable de reconstruire ou, en tout cas, de préserver sur des kilomètres de pierre notre patrimoine bâti, qui est également notre patrimoine viticole.          À Châteauneuf-du-Pape, pour Nalys, cela se traduit par la préservation des caves voûtées du XVIIe siècle et d'un corps de ferme datant du XVIe siècle, mais aussi la restauration de maisons plus modestes, voire de cahutes. Nous aimons restaurer, ne pas laisser en ruine, faire en sorte que les éléments du passé trouvent une résonance aujourd'hui. Le Caveau du Château, à Ampuis, a lui aussi vu le jour après la restauration d'une bâtisse du XIXe siècle. Nous ne sommes à l'aise que dans nos racines.

Notre démarche est destinée non pas à faire du vin mais - j'ose le dire - des grands vins

Quel est l'héritage moral le plus important que l'on se transmet chez les Guigal ?

La passion. Cela peut paraître une évidence, mais c'est le sens que nous donnons à notre travail. À tous ceux qui me demandent si mes fils jumeaux de 13 ans prendront un
jour la suite, je réponds qu'il est beaucoup plus facile de transmettre une passion qu'un métier. Moi, le vin est toute ma vie. À l'âge de mes enfants, reprendre le flambeau
familial était déjà pour moi une évidence.

Vous avez racheté, il y a deux ans, le Château d'Aqueria. Quelles sont vos ambitions pour ce domaine?

Cela fait beaucoup sourire, car nous avons investi dans les deux AOC les moins à la mode de la vallée du Rhône: tavel et lirac. Je considère pourtant que si les gens font du vin à Aqueria depuis 1595, ce n'est peut-être pas totalement par hasard... La qualité existe mais a sans doute souffert du très fort poids de la coopération. Mon père aime à rappeler qu'en 1961 une bouteille de tavel coûtait le même prix qu'une bouteille de châteauneuf-du-pape. Il n'y a donc pas de raison pour que tavel, avec ses terroirs magnifiques, ne retrouve pas ses lettres de noblesse passées. À nous de redistribuer les cartes et de relever le défi, pour faire en sorte que les grands rosés de cette appellation microscopique deviennent des vins de niche.

Guigal est désormais partout en vallée du Rhône. Envisagez-vous, un jour, d'en franchir les frontières ?

Je suis très chauvin et continue de penser que nous sommes dans une région de production diverse absolument magnifique. Nous avons encore beaucoup de choses à y faire, toujours en gardant une vision haut de gamme de nos vins, quelle que soit l'appellation. Je n'ai aucun problème avec l'ouverture à l'international, mais nos priorités sont aujourd'hui rhodaniennes, sans plan destiné à investir en dehors de la France. Maintenant, il ne faut jamais dire jamais et savoir évoluer avec son temps. Si la génération suivante est désireuse de procéder autrement, alors je serai heureux de le faire avec elle.

Un défi monumental

«Statutaire et raffiné, mais sans ostentation»: c'est ainsi que l'architecte corse Amelia Tavella définit l'esprit du chai qui verra le jour au Château de Nalys, dont le coût est estimé à 20 millions d'euros. Lauréate d'un concours auquel ont participé pas moins de 165 agences dont celle de Christian de Portzamparc -, la jeune femme croit beaucoup aux matières nobles et naturelles. Aussi le bâtiment écoresponsable utilisera t-il pour
sa construction quantité de pierres massives régionales, rappelant la géologie du terroir et majoritairement issue des travaux d'excavation. Pilastres, baies vitrées monumentales, coursives et lignes pures dessinent ce futur temple de la vinification selon Guigal, opérationnel pour les vendanges 2026.

Mise en bouteille

La grande année 2015, un bollinger d'anthologie

Qui va là ? Un champagne dont on pensait qu'il n'existait plus; une émotion effervescente au dosage millimétrique, ardente à en rougir. De notoriété publique, le millésime 2015 fut solaire; en verre, il surgit nimbé d'une fraîcheur de silex, comme les
prémices d'une délicieuse addiction.


Empreintes digitales. Exit le hasard, place au savoir-faire consciencieux : 11 crus assemblés, une fermentation en tonneaux de chêne issus de la forêt familiale de Cuis, une vinification sous bois et - toujours - ce patient remuage à la main. Un vin chiadé ? Le mot est faible.

De face et de profil. Du jaune et de l'or, finement mouchetés de bulles que rien n'arrête. Le pinot noir (60%) prend les devants avec la puissance qu'on lui connaît, laissant le soin au chardonnay (40%) d'enrober le tout sur la longueur. Le palais, crémeux, s'incline sous les arômes de mirabelle.

En quête de proximité. Un cénacle averti, qui ne boudera pas son plaisir
et criera « encore! ». Heure du délice. Quand vous voulez. Mais le bonheur n'attend pas.
Meilleurs complices. Alors là... Vaisselle des grands soirs, canard à l'orange et corbeille de fruits rouges. Si le flacon s'annonce en préambule, le confronter à des mets « droit au but », rappelant la forêt.

Garde à vue. Sachant qu'il a déjà patienté près d'une décennie dans les crayères, la voie est libre.

Règlement de comptes. 225 euros. Le juste prix d'un pur bijou.

Maison Bollinger, Aÿ (Marne). champagne-bollinger.com

Vinocolor, premier nuancier du vin

Il fallait oser. Décortiquer 120 cuvées - du « blanc des Marches » (pour ce 100% verdicchio) au « nuit noire » (d'un vin castillan non filtré et sans sulfites) - pour composer cet inédit recueil chromatique des vins qui nous passent entre les mains. Sous la plume de Victor Coutard et Matthieu LeGoff, l'objectif de Paul Lehr et l'œil de Gala Colette, toute une palette de nuances prend vie comme on tremperait ses lèvres à la lisière d'un verre tulipe. À travers cette mosaïque, on devine tout à la fois la diversité d'un encépagement méconnu, les différentes méthodes de vinification, et même la philosophie de celles et ceux qui se cachent derrière la cuve. «Voir le vin, c'est commencer à le boire », disent les auteurs. D'où la nécessité de garder à portée de regard cet indispensable précis viticole qui, en plus d'être chic, confère à chaque vin un indicible supplément d'âme.

Vinocolor, nuancier des couleurs du vin Keribus, 272 pages, 24 euros.

« L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. »

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