Hugo Roellinger : le jeune chef et la mer

Près de Cancale, le cuisinier déploie une gastronomie, issue de sa passion pour l’océan. Il couche son travail dans un livre original.
Charlotte Langrand
Le trentenaire aime « émerveiller les gens, les éveiller à la nature par la sensation ». À droite, Le Coquillage, table étoilée du Château Richeux.
Le trentenaire aime « émerveiller les gens, les éveiller à la nature par la sensation ». À droite, Le Coquillage, table étoilée du Château Richeux. (Crédits : © LTD / ANNE CLAIRE HÉRAUD ; ROMAIN BASSENNE)

Ici plus que nulle part ailleurs, la mer attire l'œil d'emblée par sa beauté presque effrontée et son immensité, omniprésente. Ses lignes se confondent avec celles du ciel dans un facétieux jeu de miroirs. Chaque jour, une marée colossale entre et sort de cet estran breton où le Mont-Saint-Michel, au loin, s'amuse à jouer les mirages, tantôt caché dans la brume, tantôt clair et fier. À Saint-Méloir-des-Ondes (Ille-et-Vilaine), village situé à quelques encâblures de Cancale, le Château Richeux surplombe ce spectacle vertigineux.

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Dans cette belle bâtisse de 1920, une des plus précieuses familles de cuisiniers de France, les Roellinger, a choisi de vivre en harmonie avec cette nature puissante : d'abord, en 2008, le chef Olivier et sa femme, Jane, ont rendu leurs trois étoiles au Michelin et fermé leur restaurant de Cancale pour vivre plus sereinement, loin des concours gastronomiques et plus près des... fées : « Elles naissent ici, nous avait déjà confié l'ancien chef, engagé contre "l'agrochimie dans nos assiettes" ou pour la préservation des semences paysannes et des ressources de la mer. Je discute souvent avec elles et elles me le rendent largement. »

Depuis plus de dix ans, c'est à son fils Hugo et la femme de celui-ci, Marine, que ces magiciennes ont offert l'hospitalité. Cet enfant du pays a choisi en 2012 d'abandonner sa carrière d'officier de marine marchande pour devenir cuisinier et poursuivre ce que ses parents ont construit. Quoi de plus naturel que de cuisiner ici, le nez planté dans l'horizon, pour ce trentenaire passionné de voile qui ne quitte ses fourneaux que pour aller surfer, nager, naviguer et s'occuper de ses filles ? À voir ses yeux scintiller quand il parle de l'océan, on se dit que cet homme a dû être un poisson dans une autre vie ! Il respire au diapason des saisons, de la mer et des esprits. « C'est naturel pour moi : mes parents me parlaient des fées, de druides, de la force tellurique des choses, raconte-t-il. J'ai donc une spiritualité assez large et, en cuisine, j'essaie aussi d'éloigner les gens de leur côté cartésien pour les emmener dans une sensibilité, dans la beauté de cet endroit, que je veux mettre en lumière à travers mes plats. »

« Je recherche une forme de pureté »

Au Coquillage, le restaurant du château, sa partition est organique et fait corps avec l'estran : une cuisine d'épices, celles que son père - puis sa sœur Mathilde - a magnifiées pendant des années ; de liquides, avec une vraie science des vinaigres, des bouillons, des infusions ; écologique, avec les produits d'une agriculture raisonnée et locale ; humaine, par sa relation quasi affective avec ses petits producteurs ; marine, par la magie des algues, sa grande passion : « C'est la colonne vertébrale de ma cuisine, elles sont la mémoire de la mer et de la lune, explique-t-il. J'en fais des bouillons, des vinaigrettes, des huiles, et je les fais aussi sécher, car elles s'affinent comme un vin. » Cette cuisine instinctive et engagée, le chef l'a couchée pour la première fois dans un livre, à paraître à la rentrée (lire ci-contre).

D'aucuns pourraient penser que le propos est attendu tant certains chefs usent et abusent de la mise en avant d'une néocuisine en circuit court pour séduire le consommateur : avec Hugo, ils auront tout faux. Dans son menu surprise servi en treize services, aucun fléchage de sourcing ni aucune tirade du personnel en salle ne vient souligner l'engagement écologique du chef : Hugo Roellinger ne « pense » pas la nature, il en restitue la quintessence sans jamais le crier sur les toits. « Pour moi, faire une cuisine militante, ce n'est pas dire que j'ai utilisé des produits locaux, c'est émerveiller les gens, les éveiller à la nature par la sensation, précise-t-il. Je recherche une forme de pureté, je regarde comment la lumière traverse le liquide pour obtenir une limpidité qui aboutit à des goûts presque cristallins. »

Deux étoiles Michelin

Dans le menu, cette cuisine bonne pour le corps et la planète arrive par vagues successives, sous des noms pleins de symboles : on commence par une « eau-de-vie », un kéfir à la cerise et algues dulce ; on plonge dans l'« angélique », une huître raidie avec chou-rave, radis, asperges crues et fleurs de myosotis ; on se régale du « refuge des fées », des févettes au caviar, jaune d'œuf confit aux cidres et aux épices et fleurs de sureau, dans un bouillon de cosses de petits pois-shiso... Les langoustines s'accommodent d'épinards et d'oseille sauvage à la muscade, et le homard d'une sauce cacao avec des pinces grillées au feu de bois, au girofle et au cumin... « J'utilise souvent les aromatiques du jardin et je joue avec le "floral" : pour étoffer le spectre du goût et créer des nuances, on peut associer un vinaigre de rose à une huile de rose brûlée, de lilas ou de pivoines, détaille-t-il. On peut jouer ainsi avec tout, c'est infini ! Ce qui est intéressant, c'est que, comme un parfum avec la peau, un bouillon ou une infusion ne va pas "répondre" à la chair d'une langoustine ou d'un homard de la même façon. »

Pas étonnant que le cuisinier ait pris dans ses filets deux étoiles Michelin. Pourtant, celui qui a appris son métier dans les prestigieuses maisons Bras, Troisgros, Guérard ou
Gagnaire n'a jamais renié ses principes pour plaire à tout le monde. « Ma cuisine n'est pas très technique, estime-t-il. Mais je veux amener dans l'assiette un produit le plus frais et vivant possible : ma cuisine est immédiate, elle ne "voit pas les frigos" : le soir, je ne fais aucun stock afin de préserver le "vivant" et l'énergie. C'est une organisation compliquée, mais pour moi, la technique, c'est travailler sans frigo ou réaliser un assaisonnement ou un bouillon parfaits. »

« J'ai un peu chamboulé les clients »

Les clients ont dû s'adapter à cet engagement tranché, cette sacrée révolution en cuisine qu'Hugo a menée, après son père : « J'ai un peu chamboulé les clients et mes équipes, c'est vrai. J'ai d'abord supprimé la viande, puis certains plats "institutionnels" de mon père, ensuite le chariot de desserts, et je suis passé au menu unique ! Mais j'ai expliqué ma démarche, qui n'est pas celle de "provoquer pour provoquer". La très grande majorité a compris et a été conquise ! » Le chef sait aussi donner dans le « classique » de bord de mer : dans son bistrot, ouvert l'année dernière à Cancale, le cuisinier envoie des soles meunières, du turbot cuit sur arêtes, des langoustines mayonnaise et même quelques pièces de viande !

Cette philosophie de vie se retrouve aussi à la Ferme du Vent, bâtie au milieu du champ
mitoyen : un luxe jamais ostentatoire, où les chambres sont face à la mer, avec pour compagnie juste le bruit du vent dans les herbes hautes, le spectacle de la marée et de leurs trois belles vaches écossaises. Le mois dernier, Hugo Roellinger a quitté ce paradis pour une expérience qui l'a profondément marqué : escorter la flamme olympique jusqu'en Guadeloupe. Une transatlantique comme il en a toujours rêvé, sur le trimaran d'Armel Le Cléac'h, en compagnie de Marie-José Pérec et d'Alexis Michalik... « On est partis de Brest devant des milliers de personnes, 300 bateaux, l'hélicoptère de l'armée, les canons à eau et une belle lumière rasante, se souvient-il. On avait tous les larmes aux yeux. Un quart d'heure après, on était tout seuls, à 30 nœuds, on volait sur l'eau. C'était super fort : peu de sommeil, les bruits du bateau et, pendant quatre jours, pas de dauphins ni d'oiseaux... rien que l'immensité liquide et nous. » La mer, encore et toujours.

UN CRÉATEUR À PART PREMIER LIVRE

« Au début de tout, un liquide, c'est mon ingrédient premier. Le liquide est un capteur. Non seulement il peut saisir une saveur et un parfum, mais aussi la fugacité d'un moment, d'une saison, d'un lieu. » Avec ce premier livre, Hugo Roellinger évite tous les écueils du livre « classique » de chef et expose sa vision à part de la cuisine, celle d'un vrai créateur de sensations, engagé pour la nature et la mer. À travers un dialogue avec l'autrice Ryoko Sekiguchi, 70 recettes de plats sont « contées », comme dans l'ancien temps, et 50 recettes de « liquides » (vinaigres, huiles, bouillons...) sont, elles, détaillées. À la fois manuel de chimie, collection de reportages dans l'artisanat local et roman graphique (il est accompagné des photos argentiques d'Anne-Claire Héraud), c'est une plongée dans cette cuisine comme dans la tête d'un des chefs les plus engagés et créatifs, qui invente une véritable « cuisine du vivant ».

Correspondances, en précommande dès maintenant sur maisons-de-bricourt.com 
Sortie fin septembre dans les librairies agréées à Paris, Cancale et Saint-Malo.

Charlotte Langrand

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