Yvon Lambert, le montreur d'art

La collection du marchand et éditeur est exposée dans le musée qui porte son nom à Avignon. Le Mucem à Marseille l’honore également. La fraîcheur même à… 88 ans.
Yvon Lambert à Avignon (Vaucluse) devant l’entrée de l’hôtel de Caumont, qui abrite sa collection.
Yvon Lambert à Avignon (Vaucluse) devant l’entrée de l’hôtel de Caumont, qui abrite sa collection. (Crédits : © LTD / COLLECTION YVON LAMBERT)

Impensable ! Qui aurait pu imaginer qu'Yvon Lambert, môme de Vence, fils de chauffeur de taxi et d'une mère complice, deviendrait, en un demi-siècle, un marchand d'art contemporain précurseur et un collectionneur légendaire ? « Mon métier, ma passion, le sens de ma vie depuis la fin de mon adolescence est simple, c'est montreur d'art. »

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En 1950, Yvon Lambert a 14 ans. Avec ses économies gagnées dans une boulangerie, il achète une croûte, un joli paysage provençal. Le cadre du tableau devient celui de sa vie. Dans sa chambre, l'ado est incroyablement heureux de posséder une œuvre. L'art et le gamin ne se quitteront plus. À 14 ans, le très jeune homme est indépendant, rebelle sans être révolté. Il divorce de l'école de la République pour l'école buissonnière, les petits boulots.

Saint-Paul-de-Vence a capturé Chagall, Dufy, Dubuffet, et Arman, mais celui dont le passage a marqué la petite ville des Alpes-Maritimes s'appelle Matisse. Il y enfanta une chapelle au toit zigzagué de bleu avec des vitraux aux couleurs brûlantes. Le père d'Yvon Lambert fréquente le maître, le transportant dans son taxi. C'est tout. Ce qui est tout pour Yvon, ce sont ses parents. Le père achète avec ses pourboires des livres consacrés à la Provence. Yvon apprend à regarder grâce aux mots des livres de papa. La richesse des Lambert est leur petite bibliothèque. Quant à la mère, elle avance les premiers mois de loyer de la première galerie qu'Yvon ouvre à Vence. Il a 23 ans.

Aujourd'hui, Yvon Lambert habite un immense et élégant appartement parisien dans le Marais avec vue sur jardin. « Regardez comme les arbres sont beaux ! » Le premier mot de la rencontre est donc « regarder ». Il résume la vie d'Yvon Lambert. Il s'est appris à regarder, à ne pas regarder ce qu'il aime déjà, à faire découvrir ce qu'il aime regarder. Aujourd'hui Y.L. ne voit quasiment plus. Il devine mais sa curiosité le porte, l'enthousiasme le guide, le partage l'anime.

art lambert

Au Mucem, des œuvres de Robert Combas, Basquiat et Rémi Blanchard (de gauche à droite. (© LTD / COLLECTION YVON LAMBERT)

« Regardez au-dessus de la cheminée, ces petites taches blanches savamment dispersées et posées sur un support transparent, c'est une œuvre de Niele Toroni. Il est une figure de l'art abstrait et un ami. Je l'ai fait découvrir il y a un demi-siècle, comme Buren... Je m'intéresse aux œuvres autant qu'à l'histoire de leurs créateurs. Anselm Kiefer est né en Allemagne en 1945 d'un père engagé dans la monstrueuse Wehrmacht. Ce qu'il fait de cela dans son œuvre me passionne. » En citant ses amis plasticiens, Y.L. ne crâne pas. Sol LeWitt, Daniel Buren, Cy Twombly, Christo ou Robert Combas, il les aime et aime les vendre. Pour Y.L., vendre veut dire pouvoir acheter d'autres œuvres. Son incroyable et éclectique collection est fille de son œil, de son flair, de son savoir-vendre autant que de son savoir-acheter.

« Je m'intéresse aux œuvres autant qu'à l'histoire de leurs créateurs »

LeWitt, Kiefer, Toroni, Combas sont des amis aujourd'hui mais furent des chocs hier. Y.L. arrive à la capitale en 1966. Il a 30 ans et ouvre sa première galerie parisienne. Il expose des artistes modernes (1930-1960) puis ceux de l'avant-garde de l'époque (fin des années 1960), ceux qui dérangent, indisposent les acheteurs conventionnels ou les critiques conservateurs. L'œil de Lambert, son coup de génie est là. Il va vers ces artistes qui entreront dans l'histoire de l'art. Il les rencontre, les séduit, convaincu qu'ils marqueront leur époque. Ces derniers préfèrent les formes abstraites, inventent des personnages ou des paysages qui n'existent pas. Y.L. adhère. Lambert ose les présenter dans sa galerie. C'est un combat et un risque audacieux. L'intuition, la détermination, la patience, le sens des affaires d'Yvon Lambert lui donneront raison. Assez vite, dès les années 1970, tout acheteur branché passe par la case départ de l'art contemporain, la galerie Yvon Lambert. Celle-ci fonctionna cinquante ans, jusqu'en 2004.

Toujours dans son appartement. « Regardez, j'aime beaucoup ces têtes antiques trouvées au fond des mers, vigies mystérieuses d'un temps révolu. Je fréquente aussi souvent ce livre, rempli par les artistes venus chez moi. Il est achevé complet. » Toujours ce « regardez » enthousiaste. D'autres œuvres chez Yvon Lambert ? Oui, des centaines de livres non classés sur les étagères de gigantesques bibliothèques. Sur les tables, des livres récents. Yvon Lambert les a davantage entendus que lus. Une lectrice vient régulièrement chez lui. Les livres sont l'autre vie d'Y.L., née de la passion qu'avait son père pour eux. Lorsqu'il ferme sa galerie en 2004, c'est pour ouvrir une librairie confiée à sa fille. Lambert est aussi un éditeur de livres-œuvres, tirés à quelques exemplaires imaginés avec les plus grands artistes. Y.L. travaille en ce moment avec Giuseppe Penone, artiste indissociable de l'arte povera. Y.L. édite aussi des petits livres, de la poésie, des livres pas chers, pour le plus grand nombre. Le montreur d'art poursuit ainsi sa passion.

Yvon Lambert n'est pas un héros. Le redoutable marchand s'est fait plumer, par amour. Il le regrette ? « Pas du tout ! » Il s'en doutait, pardonnait jusqu'à certaines limites. Elles ont mis fin à l'amour et à certaines aventures professionnelles comme l'ouverture éphémère d'une galerie à New York. Le transmetteur-montreur d'art est, a été un grand marchand mais aujourd'hui l'homme s'est calmé. Impossible de lui acheter l'œuvre au-dessus de la cheminée, mais à la proposition de lui offrir un petit Monet, l'acceptation est franche... pour le revendre et acheter de nouvelles œuvres. Nul ne changera Yvon Lambert. Quant au marché de l'art, il a tellement changé. « Aucun collectionneur ne veut perdre de l'argent, il espère toujours en gagner un jour, bien entendu, mais aujourd'hui un grand nombre de collectionneurs sont des financiers. Certains artistes, surtout américains, le sont aussi. Il y a des impostures mais je ne vous donnerai pas de nom. » Zut !

Les œuvres de la collection d'Yvon Lambert dessinent son portrait le plus juste et permettent de comprendre son audace et son érudition. À Avignon, les deux élégants hôtels particuliers de la collection Lambert sont la caverne d'Ali Baba historique des œuvres accumulées par Y.L. L'expo actuelle est idéale pour apprendre, aiguiser le regard. L'immense porte est toujours ouverte, même pas la peine de la pousser. À Marseille, au si réussi Mucem, des œuvres de la collection d'Y.L. sont associées à des objets artisanaux provençaux, terre encore brûlante d'Yvon Lambert. Parmi les phares de Marseille, ne pas manquer Yvon Lambert, repère incontesté de l'art contemporain.

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