JOUR DE GLOIRE (4/7) - Guy Drut : « Je souhaite à tous d'avoir ce shoot de bonheur »

L’ancien athlète confie, sans fard, les questionnements qui ont accompagné sa trajectoire des Jeux olympiques de Munich (1972) à ceux de Montréal (1976).
En mai, à Paris, l’ancien athlète pose avec ses médailles d’or et d’argent.
En mai, à Paris, l’ancien athlète pose avec ses médailles d’or et d’argent. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI pour La Tribune Dimanche)

Quand il s'impose en 1976 à Montréal, Guy Drut est le premier Européen champion olympique dans sa discipline et premier non-Américain à l'emporter depuis 1928. À 25 ans, après avoir songé à simuler une blessure après sa performance décevante en demi-finale, son ego reprend le dessus et l'athlète réalise la plus belle course de sa vie.

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Je fais partie de la délégation française qui voyage en Concorde le 14 juillet 1976 pour Montréal. C'est déjà un événement pour moi. Je me sens plutôt serein jusqu'à cette réception à l'ambassade de France le 26 juillet, soit deux jours avant la compétition. Ce soir-là, je ne comprends pas ce qui m'arrive. On me tape sur le dos, me serre la main : « On compte sur toi ! Il n'y a pas de problème, tu vas gagner ! » Je réalise qu'il y a danger. Pire, je ressens une peur incontrôlable. Je n'arrive même pas à fumer mes 15 cigarettes quotidiennes. On attend de moi ce que je n'imaginais pas : j'étais pourtant le mec sans médaille olympique, celui qui ne trouve pas suffisamment l'équilibre pour se qualifier, mais qui doit rafler la médaille d'or.

Arrive la demi-finale. Je suis devancé par deux hommes, le Cubain Alejandro Casañas et l'Américain Willie Davenport. J'accélère pour me retrouver à leur niveau. Eux aussi. Je termine en 13"40 alors que mon record est de 13"28. C'est évident, le podium n'est pas pour moi. Autant l'année précédente, en 1975, j'avais survolé le 110 mètres sans aucun problème, autant ce jour-là, je ne trouve pas cette spontanéité, cette fraîcheur. « Tu es perdu, mon garçon, tu ne seras jamais champion olympique. »

Pour être plus direct, je jette le maillot. Je cherche à inventer n'importe quel prétexte à ma défaite tout en me rhabillant dans les vestiaires. Et si je simulais une blessure ? Je retourne vers la tribune des athlètes. Je ressens la détresse de mon entraîneur, de mes proches. Mon orgueil me sauvera de cette torpeur. Je n'ai pas le droit de me comporter comme un lâche, de chercher des excuses à ma défaite. Grâce à eux, je retrouve mon moral de vainqueur. Je m'assieds en face de mes adversaires. On se regarde de haut en bas. Je sens bien que je redeviens l'homme à abattre. Même si je ne suis pas très superstitieux, il y a un signe du destin : le starter de la course est le même que lors de celle des championnats des États-Unis que j'avais remportée six mois auparavant. Et puis me revient à cet instant une phrase que m'avait confiée Jean-Claude Killy : « Ça n'empêchera pas dès le lendemain le facteur de distribuer des lettres. » Pour être plus précis, cela signifiait que ce qui allait se passer n'allait pas changer le monde pour autant.

Grâce à ces quelques mots qui peuvent vous paraître insignifiants, je réalise la prestation la plus performante, prêt à l'heure H et à la seconde S. La course ne durera que 13 secondes et des poussières, mais techniquement, je fais la course parfaite. Je n'ai plus aucun souvenir une fois sur la ligne d'arrivée. Mon corps et mon cerveau ne sont plus connectés. Il y a comme un mouvement de flottement, de perte de conscience jusqu'au moment où je vois mon visage sur l'écran. C'est alors davantage un soulagement qu'une satisfaction. Lors de la Marseillaise, sur la première marche du podium, je ne montre aucune émotion, car tout se passe à l'intérieur. Je pense à tous ceux qui ont cru en moi car cette course, elle était pour eux et c'était le plus beau cadeau que je pouvais leur offrir.

Le plus dur, c'est quand les lumières s'éteignent brutalement

En descendant du podium, je reçois un appel du Premier ministre Chirac. Je suis alors son chargé de sport. Il est en pleine réception officielle au Japon, mais a quand même trouvé le temps - entre deux Corona - pour me féliciter. Il a les mots pour me transmettre toute la satisfaction que je viens d'offrir aux Français. Je l'écoute, mais je suis tellement en dehors de toute réalité que je ne sais pas quoi lui répondre.

Le président Giscard, quant à lui, n'a jamais décroché son téléphone. Le seul contact que j'aurai avec lui sera avec ses inspecteurs des impôts... No comment.

Le retour en France est très - trop - festif grâce au bar à l'étage présent dans les Boeing 747 à l'époque. Inutile de vous détailler ces cinq heures de vol. C'était du grand n'importe quoi et nous en avions tous besoin. Je débarque à Paris avec le statut de star. On m'arrête dans la rue, me dépose des mots doux sur mon pare-brise. Je n'y comprends plus rien. Je ne maîtrise plus ma vie et entre dans un monde qui m'avait toujours fait rêver. Je suis aveuglé par cette notoriété soudaine. Le plus dur, c'est quand les lumières s'éteignent brutalement. Il faut avoir un entourage solide pour ne pas perdre la tête. Quelques années plus tard, je traverse une lourde période de dépression. Deux personnalités, et non des moindres, me tendent alors la main : Chirac et Tapie. C'est l'époque de Gym Tonic avec Véronique et Davina. J'ai l'idée de monter un club de sport et de proposer à Tapie d'en faire partie. Mais entre-temps, Chirac m'offre la possibilité d'entrer officiellement en politique. Je suis élu conseiller de Paris dans le 12ᵉ arrondissement en 1983. Tapie ne m'en a jamais voulu et nous avons vécu des instants exceptionnels ensemble jusqu'au dernier moment.

Guy drut

Le 28 juillet 1976 à Montréal, Guy Drut s'apprête à remporter le titre de champion olympique du 110 mètres haies. (Crédit : © LTD / PRESSE SPORTS)

Je continue ma vie entre politique et sportif retraité, mais je n'oublierai jamais ce coup de fil de Marie-Jo Pérec après sa double victoire aux JO d'Atlanta en 1996 sur 200 mètres et 400 mètres. « Guy, si j'ai gagné l'or aux JO de Barcelone en 1992, c'est en partie grâce à toi. J'ai croisé ton regard et j'ai revu ta course à Montréal en 1976. » Elle poursuit en me disant que, grâce à un signe de ma part, elle aurait ressenti comme une mission de gagner. Encore aujourd'hui, j'ignore quel était ce signe... mais son témoignage fait partie de l'une de mes plus belles satisfactions, car j'aurai au moins inspiré notre gazelle olympique. Aujourd'hui, je suis dans un âge où l'on transmet. J'ai commis des erreurs, connu des moments de faiblesse, voire très négatifs. Mais j'en tire profit pour témoigner auprès de tous ces athlètes olympiques en devenir.

Je pense vous avoir tout dit. Retenez juste que l'athlétisme, c'est l'histoire de ma vie. Et je vous souhaite à tous un jour d'avoir la chance de sentir ce shoot de bonheur que je n'ai jamais pu retrouver par la suite.

Jour de gloire
La semaine prochaine, pour le cinquième épisode de notre série, retrouvez l'ancien judoka Thierry Rey.

Le champion en bref

Naissance 6 décembre 1950 à Oignies (Pas-de-Calais)

Son palmarès

Jeux olympiques : médaille d'argent à Munich en 1972 et médaille d'or à Montréal en 1976

Jeux méditerranéens : médaille d'or à Izmir en 1971

Championnats d'Europe : médaille d'or à Rome en 1974

Championnats de France : treize médailles d'or entre 1970 et 1980 Membre du Comité international olympique depuis 1996

Sa vie en politique

1985 à 1989 : chargé des sports à la mairie de Paris

1986 à 1995 : député RPR de la 5ᵉ circonscription de Seine-et-Marne

1997 à 2007 : même fonction sous l'étiquette UMP

1992 à 2008 : maire de Coulommiers

1995-1997 : ministre de la Jeunesse et des Sports

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Commentaire 1
à écrit le 04/08/2024 à 10:09
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