JOUR DE GLOIRE (2/7) - Laura Flessel : « Une fois sur la piste, je n'ai qu’une seule envie : bouffer tout le monde »

La double médaillée d’or olympique d’épée revient sur son parcours et son premier titre aux JO d'Atlanta, le 21 juillet 1996.
Laura Flessel avec sa médaile, à l’hôtel Majestic à Paris en mai.
Laura Flessel avec sa médaile, à l’hôtel Majestic à Paris en mai. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI pour La Tribune Dimanche)

Pour la Guadeloupéenne, l'important n'était pas de participer, mais de gagner. Elle n'était pourtant pas attendue malgré son classement de troisième mondiale. Mais peu importe, la Guêpe a su piquer dare-dare et par surprise ses adversaires. En ce mois de juillet 1996, sous le cagnard d'Atlanta, Laura Flessel entre dans l'histoire des Jeux olympiques avec un doublé en or. À 24 ans, elle devient alors la première championne olympique d'épée dame et championne olympique par équipe. Elle remportera trois autres médailles aux JO de Sidney et d'Athènes avant de devenir en 2017 la première ministre des Sports du gouvernement Macron.

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Comme c'est ma première apparition aux Jeux, personne ne m'attend. La pression, je me l'impose toute seule. Quand je découvre le village olympique, je ressens une forte adrénaline, une excitation inexplicable. Puis c'est le retour à la réalité car ici, il n'y a pas de place pour les sentiments : je suis là pour la compétition. Et comme à chaque épreuve, je cherche à minimiser les surprises, à anticiper. J'ai toujours un cahier avec moi dans lequel je mets des mots sur mes doutes, mes angoisses, mes appréhensions. Écrire m'aide surtout à me contrôler car j'ai le syndrome de la bonne élève. À force de vouloir être la première en tout, je deviens mécanique et ça peut me porter préjudice. Je suis une sanguine, une épicurienne, une passionnée. Je suis tellement focalisée sur la stratégie que j'en oublie la peur. Je n'ose pas le dire de crainte d'être perçue comme quelqu'un de prétentieux. Je reconnais que j'ai une personnalité très structurée, du genre bête et méchante. J'ai véritablement besoin d'un cadre pour aménager mon temps. Celui pour la compétition, celui pour moi et celui destiné aux autres. Je sens bien que ma singularité fait mouche auprès de mes concurrentes.

La veille de la compétition, je dors très mal, évidemment. Je tourne en rond toute la nuit dans ma chambre, cherchant désespérément à chasser le stress qui a envahi mon esprit. Alors je lis, chante, danse, mange. Malgré mes deux heures de sommeil, je me réveille au top de ma forme. Je m'assois dans la salle d'attente, avec les autres joueuses s'apprêtant toutes au combat. Je m'y suis habituée car il y a eu des moments dans ma carrière où j'étais dans l'inconfort et où il ne fallait pas montrer à mes adversaires que j'avais mal. Ne surtout pas montrer mes faiblesses aux ennemis. Je pense à mes épées bichonnées par l'armurier, aux mots rassurants de mon kiné. « Tout va bien, Laura. Tu n'as mal nulle part, sois confiante. » Daniel Levavasseur, mon entraîneur hyper strict et surtout très avare en compliments, est loin d'imaginer que nos derniers échanges avant le match seront déterminants pour mon mental :  « Maître, si jamais je gagne, aurai-je droit à vos félicitations ? » « On verra, on verra, Laura. »

Laura Flessel aux Jeux d’Atlanta de 1996.

Laura Flessel aux Jeux d'Atlanta de 1996.  (Crédits : ©LTD /ANDREAS ALTWEIN/PICTUREALLIANCE/CON SPORT)

Maintenant que je maîtrise la situation, je m'accorde un peu d'« émotion ». Je suis heureuse d'être là. Et surtout dans le jeu et non dans l'enjeu, parce qu'on ne me connaissait pas. En 1996, je n'étais personne. Mon cœur passe de 60 pulsations à 120 à l'annonce de mon nom pour monter dans l'arène. Une fois sur la piste, je n'ai qu'une seule envie : bouffer tout le monde. Ma stratégie n'est pas d'être spectatrice du match, mais actrice de mon destin. Le contrat avec moi-même est de ramener la médaille. Et puis je veux surtout recevoir les félicitations de mon entraîneur. Le match est très compliqué car je suis face à la Française Valérie Barlois, numéro deux mondiale. Elle est vraiment forte, Valérie. Accroche-toi, Laura, accroche-toi. Surtout ne t'énerve pas. Puis je gagne avec 15 touches contre 12. J'exulte. J'ai le regard de la conquérante sans excès de joie car je suis déjà focus sur le prochain match par équipe.

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C'est comme si j'avais signé un contrat moral sur deux compétitions. Je passe une bien meilleure nuit que la veille et me réveille avec la trace de la médaille sur ma joue. C'est seulement dans mon lit que je me félicite. Je suis fière de cette petite Guadeloupéenne qui a décidé de pratiquer un sport de Blanc, fière de cette petite Guadeloupéenne qui a mis longtemps à s'intégrer à cause de quelques racistes. Puis fière de cette adolescente qui a eu la chance d'être au contact de cette équipe de France plus âgée et qui m'a tout appris. Pendant cinq ans, j'étais l'éternelle remplaçante parce que je n'avais pas le niveau. C'est avec elle que j'ai découvert les compétitions internationales. Trois jours plus tard, avec Valérie Barlois, mon adversaire de la finale épée dame, et Sophie Moressée-Pichot, nous décrochons l'or dans l'épreuve par équipe face à l'Italie. Première participation aux Jeux et double championne olympique à 24 ans. C'est assez vertigineux car ma vie vient de basculer. Tout le monde me salue, me congratule.

Je suis une sanguine, une épicurienne, une passionnée

Ma famille est à côté mais j'ai l'impression de ne plus leur appartenir. Je suis foncièrement timide, ne réalise pas ce qui est en train de se passer. Mais à l'intérieur de moi, c'est un volcan en ébullition. Avant de rentrer en métropole, je passe par la Guadeloupe. En deux heures de vol, j'atterris à Pointe-à-Pitre. Une voiture ancienne décapotable rouge (ma couleur préférée) m'attend à la sortie de l'aéroport. Je suis debout, telle une princesse. On m'applaudit au bord de la route. J'ai l'impression d'être un coureur cycliste du Tour de France. C'est complètement surréaliste d'apporter autant de joie aux Antillais alors que l'on nous répétait sans cesse que l'escrime n'était pas un sport pour nous, jugé bien trop élitiste, contrairement au foot ou à l'athlétisme. Ne jamais sous-estimer les Outre-mer ! [Rires.] Et surtout, ne jamais oublier d'où l'on vient.

Presque trente ans plus tard, je fais toujours rêver les gens. Récemment, j'attendais mon mari à une terrasse de café. Je sens le regard d'une vieille dame en face de moi. En partant, elle entre chez le fleuriste à côté. Cinq minutes plus tard, une femme s'avance vers moi une rose à la main. « C'est de la part de la dame qui était assise à côté de vous. Sa petite-fille pratique l'escrime et vous êtes son modèle. » Je n'oublierai jamais son élégance et sa pudeur. Aujourd'hui, je ne suis plus dans la compétition, j'aime trans- mettre et je me nourris de tous vos regards. Votre bienveillance et votre reconnaissance sont les plus beaux cadeaux pour l'ancienne sportive professionnelle que je suis.

La championne en bref

Naissance

Le 6 novembre 1971 à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe.

Son gabarit

1,70 mètre pour 60 kilos

Son palmarès

La gauchère est l'escrimeuse française la plus décorée de l'Histoire.
Jeux olympiques :
deux médailles d'or à Atlanta, une d'argent et deux de bronze à Sydney et à Athènes.
Championnats du monde :
six médailles d'or, trois d'argent, quatre de bronze.
Championnat d'Europe :
une médaille d'or, cinq de bronze. Six fois championne de France en épée individuelle, neuf fois en épée par équipe.

Sa vie en politique

2017-2018 :
ministre des Sports

Jour de gloire
La semaine prochaine, pour le troisième épisode de notre série, retrouvez l'ancien athlète Guy Drut.

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Commentaire 1
à écrit le 21/07/2024 à 11:43
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Mauvais entrainement donc, puisque la compétition c'est d'abord et avant tout un combat contre soi et non contre les autres.

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