JOUR DE GLOIRE (1/7) - David Douillet : « Je reprends conscience sur le podium en chantant “La Marseillaise” »

Le double médaillé d’or olympique de judo revient sur son parcours et son premier titre, au JO d'Atlanta, le 20 juillet 1996.
David Douillet à Paris, en mai.
David Douillet à Paris, en mai. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Il nous a fait vibrer, pleurer, frissonner sur le tatami. En quelques secondes, la vie de David Douillet a basculé. Le 20 juillet 1996 aux JO d'Atlanta, à trois minutes de la fin de la finale, il inflige un uchi-mata, un fauchage intérieur de la cuisse, à son adversaire, l'Espagnol Ernesto Pérez Lobo. Âgé aujourd'hui de 55 ans, le triple médaillé olympique, un des judokas des plus titrés de l'Histoire, nous raconte son jour de gloire.

Lire aussiAugustin de Romanet ne veut pas s'éterniser à la tête d'ADP après les Jeux olympiques

Avec ma déléguation, nous arrivons quinze jours avant la compétition pour nous adapter au décalage horaire [six heures de moins qu'en France]. Nous logeons en dehors du village olympique pour éviter tout le bruit car là-bas c'est impossible de se concentrer. Ces deux semaines sont très importantes pour réviser mes gammes, pour faire en sorte que mon corps ne s'endorme pas. Il est obligatoire de loger dans le village olympique la veille. Je sais alors que c'est la dernière ligne droite. Je me sens vraiment prêt, physiquement. Le mental, je le travaille jusqu'à la dernière seconde. Je n'ai pas de régime particulier mais je dois quand même faire gaffe pour maintenir le même poids, soit 95 kilos.

Je passe une soirée légère et joyeuse avec mon équipe sans jamais réussir à chasser de ma tête que le lendemain pourrait être déterminant dans ma vie, ma récompense, le bout du tunnel après toutes ces heures d'entraînement. Cependant, je m'endors sans problème car je maîtrise parfaitement la situation. En revanche, je me réveille très tôt avec l'angoisse de ne pas trouver le bon endroit pour me soumettre à la pesée obligatoire. Si je n'y suis pas en temps et en heure, je peux d'ores et déjà rentrer bredouille. Le village olympique est immense, avec des navettes dans tous les sens pour aller d'un point A à un point B. J'arrive à temps pour la pesée. Je découvre les concurrents et me dis spontanément « chouette, on va bien s'amuser ». Je ne les considère pas comme mes adversaires mais plutôt comme des partenaires. Sans eux, on ne peut pas faire le scénario. Ils font partie du film. Et pour réaliser un beau film, il faut qu'eux-mêmes soient au meilleur de leur forme, au plus haut de leurs capacités, et que je cherche à être meilleur qu'eux. Parce que s'ils ne sont pas bons, vous faites une mauvaise compétition.

On se retrouve en slip pour la pesée. La salle est vide. C'est comme si vous étiez invité à un mariage, que vous voyiez le traiteur installer les verres en cathédrale pour verser le champagne. Je ressens la même excitation qu'un jeune marié. Les techniciens branchent les trois derniers fils pour faire fonctionner les tableaux de marquage. Les arbitres se préparent. J'enfile mon kimono, serre ma ceinture, et je me vois déjà en futur champion olympique. Vraiment. Certains ont un casque sur les oreilles pour mieux s'isoler. Moi, je n'en ai pas besoin parce que je suis capable de faire le vide autour de moi. Il me faut juste quelques dizaines de secondes pour me concentrer. Très sincèrement, j'aurais pu vous avoir au téléphone deux minutes avant le combat, j'aurais été le même. Et je vais même aller encore plus loin en vous racontant que j'ai fait une sieste entre le quart et la demi-finale. Une sieste de vingt minutes à laquelle assiste mon prochain challenger. Il doit se dire : « Le Douillet, il est tellement détendu, à ronfler comme un sonneur trente minutes avant la finale olympique, qu'il file tout droit vers la défaite. » Je saurai plus tard que cette sieste aura totalement déstabilisé mon adversaire.

Douillet

David Douillet lors de sa victoire aux JO d'Atlanta en 1996 dans la catégorie poids lourds. (Crédits : © LTD / DE MARTIGNAC/PRESSE SPORTS)

Je suis incapable de vous raconter la suite. Je reprends conscience une fois droit comme un piquet sur le podium à chanter La Marseillaise. J'aurais tellement aimé découper cette médaille en plusieurs morceaux. Cette médaille, elle a une sacrée histoire ! Improbable, même. Elle est repartie au cou d'une Chinoise qui concourait le même jour que moi dans la même catégorie mais en féminine. Elle se rend compte qu'elle a hérité de ma médaille, et moi de la sienne, une fois rentrée en Chine. Elle me contacte, puis on se donne rendez-vous au prochain championnat du monde à Paris.

Puis ma vie bascule de nouveau mais pas dans le sens que j'aurais souhaité. Le 30 septembre 1996, je roule sur l'autoroute A4 au guidon de ma moto 1 200 cm3 et percute une voiture qui déboîte devant moi. je souffre d'une perforation du mollet et d'une subluxation de l'épaule droite. Je suis transporté à la clinique de Champigny-sur-Marne. Mon accident de moto me fait passer d'athlète de haut niveau à handicapé. Seul point positif, ça m'a donné envie de redevenir un champion.

Je vise les JO de Sydney de 2000, mais je dois repartir de zéro. Je vis ces quatre années de douleur, de sueur, de doute, de démotivation comme mon plus gros défi. Un véritable enfer, pour être très honnête. On me dit que je ne serai jamais apte à partir à Sydney ; pour moi, ce n'est pas une option. Mais dans quel état ? Serai-je en capacité de gagner ? Je fais avec les moyens du bord parce que mon corps est meurtri, blessé et avec de lourdes séquelles. Il a fallu que je m'adapte, que je me remette en question pour être au meilleur de mes capacités. Je finis par m'ôter de la tête ce besoin de gagner à tout prix. Je suis le tenant du titre, mais ma seule idée est de vouloir profiter de ma dernière compétition avant la retraite. Mon mental est différent de celui d'Atlanta, où je me sentais invincible. Je puise d'autres ressources pour tenir le choc mentalement. Je parviens à accepter que mon corps puisse lâcher à n'importe quel moment.

Je ressens la même excitation qu'un jeune marié

22 septembre 2000, Sydney. Je suis de nouveau champion olympique dans la catégorie des plus de 100 kilos.

Je mets à un terme à ma carrière de sportif professionnel avec une médaille d'or. Néanmoins, je suis bien conscient que l'après sera douloureux. À 31 ans, après tant d'années de sacrifices, d'abnégation, je dois me reconstruire dans une nouvelle vie.

Et pour bien la démarrer, il faut mettre l'ancienne de côté. Tout simplement pour ne pas vivre dans le passé. Et le plus déroutant dans cette période d'entre-deux, ce sont ces personnes qui vous ramènent constamment à votre ancienne vie alors que moi, j'essaie tout simplement de l'oublier pour continuer à survivre.

J'adopte une attitude assez schizophrène parce que les gens sont sympas avec vous quand ils vous parlent de ce que vous êtes, de ce que vous avez été.

Je ne peux pas les éconduire mais dois rester imperméable à la flatterie, parce que je dois me construire une autre vie sans m'engouffrer dans le passé.

Tout ce que je suis en train de vous raconter, c'est en deçà de la joie, du bonheur que ces deux Jeux olympiques m'ont procuré. Si seulement je pouvais avoir une baguette magique pour vous transmettre la même décharge d'émotions...

Puis vient la politique neuf ans plus tard. La suite, vous la connaissez...

Le champion en bref

Naissance : le 17 février 1969 à Rouen

Son gabarit : 1,96 mètre pour 125 kilos

Son palmarès :

Jeux olympiques : médaille de bronze à Barcelone, médaille d'or à Atlanta et à Sydney

Championnats du monde : quatre médailles d'or

Championnats d'Europe : une médaille d'or, une d'argent, deux de bronze

Sa vie en politique :

2011-2012 : ministre des Sports

2012-2017 : député de la 12e circonscription des Yvelines.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.