JOUR DE GLOIRE (3/7) - Jeannie Longo : « J’ai démontré à tous ces machos qu’une femme était capable d’exploits »

La championne cycliste revient sur les deux médailles remportées aux JO d'Atlanta, le 21 juillet 1996, et sur les réactions misogynes face à ses exploits.
La championne posant avec ses quatre médailles olympiques, début juillet à son domicile de Saint-Martin-le-Vinoux (Isère).
La championne posant avec ses quatre médailles olympiques, début juillet à son domicile de Saint-Martin-le-Vinoux (Isère). (Crédits : © LTD / Benoit PAVAN/Hans Lucas POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Une femme sur un vélo, c'est moche », lui balançait en 1987 Marc Madiot, alors coureur cycliste français et ancien président de la Ligue nationale de cyclisme, lors d'un entretien télé. Jeannie Longo est restée muette. Les remarques sexistes de ses collègues n'ont jamais ralenti la cadence de sa carrière à la longévité exceptionnelle. Bien au contraire. Pionnière dans le cyclisme féminin, encensée et souvent jalousée, celle qui est venue au vélo « par accident » (elle aspirait à une carrière de pianiste ou de skieuse) est une guerrière. Surnommée « Terminator » ou « Mamie », la championne olympique, âgée aujourd'hui de 65 ans, nous raconte le jour où son sprint sur les routes d'Atlanta a fait dérailler les misogynes du sport français.

Avant chaque compétition, je pars toujours m'entraîner plusieurs semaines en altitude. J'atterris deux jours avant la course à Atlanta plutôt sereinement car, après avoir passé quinze jours dans le Colorado, je sens que je suis au top de mes capacités physiques. Mentalement, je gère parfaitement la pression car c'est ma quatrième olympiade, après Los Angeles en 1984, Séoul en 1988 et Barcelone en 1992. Je rejoins l'hôtel à l'extérieur du village olympique réservé par l'équipe de France de cyclisme. Le genre de motel américain au bord de la route... C'est vilain, mais très pratique pour s'entraîner car on évite toutes les formalités imposées par le village olympique et la tension palpable chez les milliers d'athlètes. Dans ce motel de bord de route, nous sommes entre nous, coureurs, entraîneurs, techniciens. C'est davantage une ambiance de championnat du monde que d'olympiade.

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La veille de la course, je pédale non loin du circuit dans le centre d'Atlanta, traverse d'immenses parcs un peu vallonnés et des quartiers résidentiels bien paisibles.
Cette année-là encore, l'épreuve sur route est programmée au début des Jeux. Pas de
cérémonie d'ouverture pour moi, hélas.

Tant que je ne passe pas la ligne d'arrivée, je ne me vois pas gagnante. Et c'est comme ça pour chaque course. J'ai confiance en mes moyens, mais tout peut arriver. La preuve, ce 21 juillet, la météo joue avec nos nerfs. Un énorme orage d'été s'abat sur la ville. Dès que je vois les premières gouttes de pluie, j'accélère l'allure pour me porter en tête de peloton. C'est la meilleure tactique pour éviter les chutes qui s'enchaînent de plus en plus derrière moi. Autre imprévu, les bidons d'eau fournis par le comité n'étaient pas à la bonne taille pour les accrocher au vélo, si bien que j'en perds plusieurs ; ça ajoute une dose de stress supplémentaire.

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La championne médaillée d'or le 21 juillet 1996 à Atlanta. (Crédits : © LTD / PICTUREALLIANCE/ICON SPORT)

Quand je franchis la ligne d'arrivée en vainqueur, je pense immédiatement à l'accomplissement de toute une carrière. Puis je rejoins ma « famille texane », un couple d'amis qui m'hébergent régulièrement chez eux et que je considère un peu comme mes parents américains. Bien sûr, je pense aussi à mes parents, à mes sœurs, mes amis, que j'imagine tous réunis derrière la télé malgré le décalage horaire. Cette médaille, elle est aussi pour eux. Le soir, je retrouve d'autres sportifs au Club France, dont David Douillet qui a remporté l'or la veille. Dès le lendemain matin, je reprends l'avion destination Denver pour continuer à m'entraîner en altitude pendant dix jours avant l'épreuve du contre-la-montre, le 3 août 1996. Je termine deuxième derrière la Russe Zulfiya Zabirova, qui me devance seulement de vingt secondes. Je vous avoue que je ressens encore aujourd'hui une certaine amertume. Cette course, j'aurais pu la gagner car j'étais gonflée à bloc après ma première médaille d'or. Mais je suis partie trop vite et n'ai pas réussi à retrouver un bon rythme cardiaque. Je regrette d'avoir mal géré mon départ. Après ces jeux, j'aurais pu, à 38 ans, mettre un terme à ma carrière. Mais je me sens tellement en forme que je ne veux pas rater d'autres moments aussi intenses. Et puis je crains surtout que toute cette adrénaline, cette frénésie ne retombe comme des blancs d'œuf. Je n'y suis vraiment pas encore préparée.

Pour les Jeux d'Athènes en 2004, je perds encore mes bidons et je suis victime de déshydratation car cette fois-ci je n'ai pas le ravi- taillement nécessaire. Quatre ans plus tard, aux Jeux de Pékin, je rate de très peu la médaille de bronze. Il faut reconnaître qu'à 50 ans c'était un sacré défi !

Féliciter une femme pour sa médaille olympique n'était pas toujours naturel

 Encore aujourd'hui, je ressens une espèce d'amertume de ne pas avoir pu décrocher ma dernière médaille. Puis j'avais dans l'idée de terminer par les JO de Londres en 2012, mais la Fédération de cyclisme a tout fait pour que je ne sois pas sélectionnable. On m'a mis des bâtons dans les roues, en somme. [Rires.]

Je pense que je dérangeais certains du milieu de cyclisme car j'ai toujours été en avance sur l'équipement vestimentaire, sur la qualité de mes entraînements très spécifiques - particulièrement en altitude - et sur la nutrition : quand je commandais du riz complet avec des carottes et un filet d'huile d'olive, mes collègues hommes étaient les premiers à s'esclaffer. Il y a toujours eu un machisme décomplexé dans ce sport. Féliciter une femme pour sa médaille olympique n'était pas toujours naturel chez quelques-uns. Mais je ne suis pas une revancharde. J'ai juste démontré à tous ces machos qu'une femme était capable d'exploits dans tous les domaines. J'ai aussi inspiré beaucoup de femmes qui se sont battues dans les années 1980-1990 pour s'imposer dans un milieu d'hommes : des chefs d'entreprise, des politiques... Leurs témoignages sont une merveilleuse récompense.

Aujourd'hui, je vis un peu comme une retraitée avec tous ses avantages. Je ne m'ennuie jamais car j'ai toujours quelque chose à faire. Je vis en montagne, entourée de mes animaux, et je suis encore cadre technique. Je me lève chaque matin sans la pression de la compétition, sans penser H24 aux Jeux olympiques, sans ce côté excessif de devoir faire attention à tout, tout le temps. C'est un repos du corps mais surtout de l'esprit. Cependant, je n'ai jamais arrêté l'activité physique. Je marche beaucoup et pratique régulièrement le cyclisme, parfois même des championnats du monde en amateur. Je m'entraîne gentiment, petitement, l'esprit léger.

Cette année, j'ai porté pour la première fois la flamme olympique, dans la Drôme. J'ai pu revivre cette indicible adrénaline des Jeux sans cette inéluctable pression de la
compétition.

La championne en bref

Naissance
31 octobre 1958 à Annecy
(Haute-Savoie)

Son gabarit
47 kilos pour 1,64 mètre

Son palmarès
Jeux olympiques : médaille d'argent à Barcelone, médaille d'or et médaille d'argent à Atlanta, médaille de bronze à Sidney

Championnats du monde :
13 titres de championne du monde chez les élites

60 titres nationaux, 3 Tours de France féminins et 38 records du monde

Sa vie en politique
1989-1995 : adjointe du maire de Grenoble Alain Carignon

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Commentaire 1
à écrit le 28/07/2024 à 8:49
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