Une vague inédite de créations de startups déferle sur les Etats-Unis

Les jeunes sociétés innovantes poussent comme des champignons outre-Atlantique, dopées par l’après-pandémie, les plans d’investissements pharaoniques de Joe Biden et l’essor de l’IA. Une tendance qui gagne aussi des régions historiquement moins dynamiques, comme le Sud et la « Rust Belt », l'ancienne région manufacturière du nord-est américain. Du jamais-vu depuis la bulle Internet des années 2000.
La ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie, est l'une des bénéficiaires du boom des start-ups actuel.
La ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie, est l'une des bénéficiaires du boom des start-ups actuel. (Crédits : Matthew Paulson)

Il fait bon être entrepreneur outre-Atlantique : les États-Unis connaissent depuis la sortie de la pandémie une explosion du nombre de startups que le pays n'avait plus connue depuis les années 1990 et la bulle internet.

L'an passé, les demandes d'immatriculations d'entreprises (donnée souvent utilisée pour sonder le dynamisme entrepreneurial) ont atteint le chiffre record de 5,5 millions, selon le bureau de recensement américain. Si la création d'entreprises s'est depuis légèrement ralentie, elle demeure de 80 % supérieure à la moyenne de la décennie pré-Covid. À titre de comparaison, en Europe, cette hausse n'est que de 20 %.

L'innovation dans toutes les régions

Autre nouveauté : ces jeunes pousses ne sont plus seulement concentrées dans les grands centres historiques de l'innovation que sont San Francisco et la Silicon Valley (qui demeure malgré tout très dynamique) et New York. Ni même dans des écosystèmes plus récents comme Austin. La création est particulièrement dynamique dans les régions du pays où les salaires sont les plus bas, ce qui inclut des États ruraux, comme le Colorado et l'Utah, ainsi que des petites villes et d'anciens cœurs de la Rust Belt ( « ceinture de la rouille ») comme Pittsburgh, où se trouve la prestigieuse université Carnegie Mellon, Cleveland ou encore Detroit, l'ancienne capitale américaine de l'automobile. Dans l'Ohio, où se trouve Cleveland, le nombre de jeunes pousses susceptibles d'employer du personnel (qui ne sont donc pas de simples autoentreprises et ont un potentiel de croissance plus important) a grimpé de 42,3 % l'an passé par rapport à 2023.

Cette dynamique se ressent aussi dans le Sud profond, une région traditionnellement plus pauvre et moins dynamique. À Atlanta, vibrante métropole de Géorgie, le nombre d'entreprises créées a été, entre 2020 et 2022, de 75 % supérieur à celui des trois années précédant la pandémie. D'autre ville du Sud, comme Mobile, en Alabama, et La Nouvelle-Orléans, en Louisiane (deux des États les plus pauvres des États-Unis), la hausse a été respectivement de 127 % et 59 % sur la même période. À New York et Boston, deux cœurs historiques de l'innovation, la hausse n'était respectivement "que" de 20 % et 13 %.

« Les prix de l'immobilier dans les centres traditionnels de l'innovation sont devenus extrêmement élevés, tandis que la tech occupe une part croissante du PIB et des emplois américains. Ainsi, les entrepreneurs quittent la Californie au profit de Denver, de Salt Lake City, ou encore de l'Idaho qui, en plus d'offrir des loyers plus bas, disposent de nombreuses activités d'extérieur », affirme Fiona Scott Morton, fondatrice et directrice du Digital Economy Project, un institut de recherche économique de l'Université de Yale.

Lire aussi« La tragédie est que la Silicon Valley en vient à pousser des programmes réactionnaires » (Olivier Alexandre, CNRS)

Ces startups bénéficient également du fait que les investisseurs, s'ils restent majoritairement concentrés dans des hubs historiques comme la Silicon Valley et New York, commencent également à s'intéresser à ce qu'il se passe ailleurs. En 2020, le fonds d'investissement Narya Capital a par exemple été lancé par JD Vance (désormais colistier de Donald Trump) à Cincinnati, dans l'Ohio. Avec le soutien financier de Peter Thiel, Marc Andreessen, et Eric Schmidt (ex Google), autant d'argentiers historiques de la Silicon Valley, ainsi que celui de Scott Dorsey, un investisseur basé dans l'Ohio, ce fonds doté d'environ 200 millions de dollars vise à investir dans des villes traditionnellement snobées par les VCs.

Géographiquement plus diverse, cette cohorte de nouvelles startups se démarque également par une plus grande diversité ethnique dans le profil des fondateurs. Selon une étude de la Brookings Institution, un laboratoire d'idées, 8 % des entreprises étaient possédées par des Afro-Américains en 2022, et 7 % par des Latino-Américains, contre respectivement 5 % et 4 % en 2019. Un phénomène qui peut en partie s'expliquer par le fait que les États du Sud possèdent une forte proportion d'Afro-Américains et de Latino-Américains parmi leur population.

Aux origines du boom

Si les États-Unis ont l'image d'un pays innovant, avec un écosystème dynamique, la tendance des dernières décennies était plutôt à la baisse de la part des jeunes pousses dans l'économie outre-Atlantique. En 1982, 38 % des entreprises américaines avaient été crées moins de cinq ans plus tôt. En 2018, ce chiffre était tombé à 29 %. Si la Silicon Valley demeurait un écosystème de startups dynamique, ses géants technologiques tendaient à attirer les meilleurs talents et absorber rapidement les jeunes pousses les plus prometteuses.

Dès lors, pourquoi cette tendance semble-t-elle aujourd'hui s'être inversée ? La pandémie a incontestablement joué son petit effet, selon Fiona Scott Morton. « De nombreuses personnes qui ont perdu leur emploi durant le Covid ont lancé leur entreprise en guise d'à côté ou afin de réorienter leur carrière. La possibilité de travailler chez soi a aussi sans doute facilité la création d'entreprises. »

Le rapide redémarrage de l'économie américaine à partir de 2021 a également joué un rôle important : après avoir eu largement le temps de méditer sur leurs choix de vie et leur carrière durant la pandémie, de nombreux américains ont profité de la situation économique favorable pour quitter leur emploi et lancer leur propre entreprise, sachant qu'ils pourraient facilement retrouver du travail en cas d'échec. Dans une étude pour la Brookings Institution, John Haltiwanger, économiste de l'Université du Maryland, et Ryan Decker, de la Federal Reserve (Fed), établissent ainsi un lien entre l'accélération de la création d'entreprises et la Grande Démission de l'année 2021.

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Les grandes villes de la Rust Belt, comme Cleveland, Pittsburgh et Detroit ont également bénéficié des grands plans de relance industrielle lancés par Joe Biden, comme l'Inflation Reduction Act (IRA) et le Chips Act. L'Ohio va ainsi accueillir une nouvelle usine de puces d'Intel, financée à hauteur de 8,5 milliards de dollars par le Chips Act, ainsi que de nouvelles capacités de production de véhicules électriques de Honda, Ford et General Motors, qui bénéficieront de crédits d'impôts dans le cadre de l'IRA.

IA à gogo

Enfin, difficile d'expliquer ce boom de startups sans mentionner l'intelligence artificielle (IA), dont la dernière itération, sous la forme des grands modèles linguistiques qui ont donné ChatGPT et MidJourney, pourraient selon certains s'avérer aussi transformatrice que le smartphone, voire l'Internet.

Une récente étude du Center for Economic Studies (CES), un institut de recherche public américain, constate ainsi que le nombre de jeunes pousses d'IA créées aux États-Unis en 2023 a plus que doublé par rapport à l'année précédente, ce qui coïncide avec l'émergence d'outils d'IA générative grand public comme ChatGPT à la fin de l'année 2022. Sur la même année, la part des financements reçue par les jeunes pousses de l'IA a également doublé aux États-Unis, raflant un quart des fonds investis dans les startups. 16 milliards de dollars ont été dépensés dans l'IA générative en 2023, chiffre qui pourrait passer à 143 milliards en 2027.

« Nous assistons actuellement à une rupture technologique, de celles qui mènent à d'importantes avancées, ainsi qu'à la possibilité pour les vainqueurs de dominer une nouvelle, immense industrie. Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui se précipitent pour obtenir leur part du gâteau », note Fiona Scott Morton.

John Haltiwanger, l'économiste de l'Université du Maryland, estime pour sa part que l'IA est la « vedette » de cette nouvelle vague de création d'entreprises. Si les startups sont créatrices d'innovation, la relation marche également dans l'autre sens : l'émergence d'une technologie de rupture offre à de nombreux entrepreneurs l'opportunité de se lancer sur un nouveau marché, sur lequel ils peuvent exprimer leur créativité. C'est à cela qu'on assiste actuellement avec l'IA aux États-Unis, qui concentrent un quart des jeunes pousses de l'IA dans le monde.

Si la mécanique semble pour l'heure bien huilée, la dynamique entrepreneuriale américaine demeure vulnérable aux zones d'ombres qui marquent cette année d'élection, pour Fiona Scott Morton. « Si Trump remporte l'élection, cela générera beaucoup d'incertitudes. Nombre de personnes qui n'auraient autrement pas hésité à mettre la main à la poche vont temporiser en attendant de voir ce qui va se passer. Des troubles civils pourraient diminuer les dépenses et la consommation. Les investissements ralentiront jusqu'à ce que les entreprises sachent si des mesures protectionnistes seront adoptées, quelles subventions seront supprimées ou au contraire étendues, etc. »

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Commentaires 4
à écrit le 01/08/2024 à 16:03
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Pendant ce temps nous on creer des GOP européennes (grandes orientations politiques) donc des règles à foisons qui ralentissent nos agriculteurs et les citoyens européens et aucune innovations même les fusée Ariane vont à la casse, nous n avons même ...

à écrit le 01/08/2024 à 10:27
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Soyons ... optimistes ... ce n' est certainement pas ça qui va arranger la Planète !

à écrit le 01/08/2024 à 8:31
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"De nombreuses personnes qui ont perdu leur emploi durant le Covid ont lancé leur entreprise en guise d'à côté ou afin de réorienter leur carrière" Ouais génial, youpi tout va bien... "Si vous ne trouvez plus rien cherchez autre chose" Brigitte Fonta...

à écrit le 01/08/2024 à 8:18
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Une "bulle" en chasse une autre.

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