Semi-conducteurs : dopée par le Chips Act, la production accélère aux États-Unis

Le pays pourrait concentrer 14 % de la production mondiale de puces informatiques en 2032, contre 10 % dix ans plus tôt. Un progrès d’autant plus remarquable qu’il fait suite à des années de déclin, et a lieu alors que le monde entier investit pour muscler ses capacités de production. Le saut est encore plus spectaculaire pour les puces les plus avancées, où la part des États-Unis passerait de 0 à 28 %. La relocalisation de la production de microprocesseurs est devenue un enjeu majeur, comme l'illustre la tenue à Paris du Forum européen des semi-conducteurs lundi dernier.
Le président américain Joe Biden tenant une puce électronique.
Le président américain Joe Biden tenant une puce électronique. (Crédits : Jonathan Ernst)

Fin août 2022, Joe Biden apposait sa signature au Chips Act, un plan d'investissement de 52 milliards de dollars dans l'industrie américaine des microprocesseurs. L'objectif : encourager la production de ces précieuses puces électroniques sur le sol américain, à coups de subventions généreuses pour les entreprises et de crédits débloqués pour la recherche de pointe.

Un peu moins de deux ans plus tard, cette politique volontariste commence à porter ses fruits, comme le notent la Semiconductor Industry Association (SIA), lobby américain des puces, et le Boston Consulting Group (BCG) dans un récent rapport.

14 % des puces mondiales seront « Made in USA » en 2032

Selon celui-ci, les États-Unis devraient tripler leur capacité de fabrication domestique de semi-conducteurs d'ici à 2032, par rapport à 2022. Un taux de croissance supérieur à ce que l'on observe partout ailleurs dans le monde. En Chine, sur la même période, la croissance prévue n'est ainsi « que » de 86 %. L'Europe, qui s'est dotée de son propre Chips Act, enregistrerait quant à elle une hausse de 125 %. La part des États-Unis dans la capacité mondiale de fabrication de puces passera donc de 10 % en 2022 à 14 % en 2032, marquant une augmentation sans précédent de l'empreinte nationale des États-Unis sur ce marché, selon le rapport.

Les États-Unis devraient capter plus d'un quart (28 %) du total des dépenses d'investissement mondiales (CAPEX) entre 2024 et 2032, ce qui les place en deuxième position derrière Taïwan (31 %), plaque tournante mondiale des puces informatiques, grâce à des géants comme la société TSMC. Début avril, la société taïwanaise a d'ailleurs bénéficié de subventions du gouvernement américain dans le cadre du Chips Act pour la construction d'une usine en Arizona.

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Le changement n'est pas seulement de nature quantitative, mais aussi qualitative. Ainsi, la progression est encore plus spectaculaire si l'on s'en tient uniquement aux puces les plus avancées (inférieures à 10 nanomètres), utilisées dans les smartphones et les ordinateurs, ainsi que pour l'entraînement et le fonctionnement des modèles d'intelligence artificielle (IA) générative. Sur ce segment, les États-Unis verront leur capacité croître jusqu'à atteindre 28 % de la capacité mondiale d'ici à 2032, contre 0 % en 2022 !

« Si les investissements augmentent partout dans le monde, les États-Unis font pour l'heure preuve d'une volonté beaucoup plus forte, ce qui se traduit clairement dans les chiffres », note Souhail Cherqaoui-Fassi, directeur associé au BCG et spécialiste de l'économie des semi-conducteurs. « L'apparition de capacités de production des puces les plus avancées aux États-Unis est un retournement historique majeur, celles-ci étant jusqu'ici concentrées en Asie, et quasi exclusivement à Taïwan. »

L'argent n'est pas le seul nerf de la guerre

En matière de microprocesseurs, mettre la main à la poche est nécessaire, la fabrication d'une usine se comptant en milliards de dollars. Mais ce n'est pas suffisant. L'industrie est également gourmande en talents dotés de compétences techniques très poussées. C'est l'un des points forts de l'Europe, selon Souhail Cherqaoui-Fassi.

« La France, notamment, est bien positionnée sur plusieurs filières d'excellence. Tout le bassin autour de Grenoble est réputé pour son expertise et son savoir-faire. » Cependant, une fois les talents formés, se pose la question de les attirer. « Ce sont des talents rares et difficiles à recruter : faire tourner les fonderies, notamment celles qui produisent les puces les plus petites, avec des nœuds (NDLR la finesse de gravure des semi-conducteurs) très faibles, requiert des compétences très poussées. C'est là qu'on voit les États-Unis tirer leur épingle du jeu. »

Afin d'offrir davantage d'opportunités aux talents français et européens, Silian Partners, premier fonds européen d'investissement spécialisé dans les puces informatiques, a été lancé à l'automne 2023. Mi-mai, le fonds souverain Qatari a exprimé son intention de participer à ce fonds. Lundi, Silian Partners participait en outre au Forum européen des semi-conducteurs à Paris. De nombreux industriels ont profité de l'événement pour rappeler l'importance du Chips Act européen, qui tout comme son homologue américain finance la relocalisation d'une part de la production en Europe.

Un séisme géopolitique

Comme l'illustre l'implantation inédite de capacités de production des puces les plus avancées aux États-Unis, c'est à une recomposition de toute la chaîne de valeur de production mondiale des microprocesseurs que l'on assiste. Et, derrière celle-ci, à un véritable séisme géopolitique.

« L'ambition de tous les acteurs (pays et zones géographiques) est de s'assurer une plus grande autonomie, voire une autosuffisance sur les semi-conducteurs. Ces derniers constituant désormais un maillon vital de l'économie, comme on l'a vu durant le Covid, une trop grande dépendance à l'extérieur est jugée dangereuse », analyse Souhail Cherqaoui-Fassi.

Les États-Unis s'efforcent ainsi de maîtriser des composantes de la chaîne de valeur qui sont historiquement plutôt l'apanage du Japon et de l'Europe (en particulier la France et l'Allemagne), comme les wafers, ou gaufrettes, découpées dans des lingots de silicium, puis fondues pour devenir l'une des composantes essentielles des puces. L'étude du BCG et de la SIA affirme ainsi que les États-Unis pourraient être à la pointe de l'excellence mondiale dans ce domaine en 2032.

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La recomposition de la chaîne de valeur va également se faire en fonction des contraintes physiques qui pèsent sur l'industrie des puces et vont l'amener à se réorienter, selon Souhail Cherqaoui-Fassi. « On arrive aujourd'hui aux limites physiques de la miniaturisation, avec des puces de deux nanomètres. À l'avenir, les progrès vont donc plutôt se faire sur le conditionnement, avec des puces 3D. Faire des microprocesseurs plus puissants ne signifiera plus jouer sur la finesse des nœuds, mais plutôt empiler des puces les unes sur les autres. »

Au niveau de l'organisation de la chaîne de valeur, cela signifiera davantage d'allers et retours. « Au lieu d'une production linéaire allant de la gaufrette au semi-conducteur, puis à la puce, on aura une production en mille-feuilles : gaufrette, puis transistors, puis de nouveau gaufrette, transistors, etc. » Un mode de fonctionnement plus circulaire, qui fonctionnera très bien avec la relocalisation et les distances plus courtes.

Enfin, le conditionnement et le test des puces sont deux composantes de la chaîne de valeur qui requièrent beaucoup de main d'œuvre, et qui étaient traditionnellement concentrées en Asie, particulièrement en Chine, là où celle-ci est peu coûteuse. Avec la décomposition de la chaîne de valeur mondialisée en quelques grands blocs, cet élément va aussi connaître une réorganisation, chacun concentrant ses activités dans son hinterland. L'Europe va sans doute concentrer une partie croissante de celles-ci en Europe de l'Est, tandis que le Japon et la Corée du Sud misent déjà sur le Vietnam et la Malaisie. Les États-Unis, eux, pourraient s'appuyer sur le Mexique.

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Commentaires 2
à écrit le 20/06/2024 à 9:00
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Il n 'y a pas une usine Intel qui doit produire en Allemagne ? Quel genre de puces ? (pour faire durer ma tour assemblée y a 12 ans j'ai remplacé mon i5 2GHz par un i7 3,3GHz d'occasion il y a 3 mois) Les puces empilées ça existe (Deux Ex Silcium en...

à écrit le 19/06/2024 à 21:15
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"Semi-conducteurs : dopée par le Chips Act, la production accélère aux États-Unis" Apparemment pas chez Intel 2nd acteur mondial de l'industrie des semi-conducteurs dont les dernières rumeurs annoncent une fabrication de prochaines puces mobile...

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