Le succès de la « Cerebral Valley » maintient San Francisco à l’épicentre mondial de la tech

Nonobstant les refrains sur le déclin et la chute de San Francisco, en vogue durant la pandémie, un vibrant écosystème de startup centrées sur l’intelligence artificielle montre que la capacité de la ville californienne à innover et attirer les talents demeure sans équivalent dans le monde.
Le « Golden Gate » de San Francisco.
Le « Golden Gate » de San Francisco. (Crédits : Wikimedia Commons)

Quiconque a fait l'expérience de conduire aux États-Unis est familier des grands panneaux publicitaires pour des cabinets d'avocat qui jalonnent les autoroutes et font souvent l'objet de blagues et commentaires sur la toile.

Mais en arrivant à San Francisco par la 101, on en croise fort peu : à la place, la plupart des panneaux sont squattés par des startup de l'intelligence artificielle (IA). Un signe manifeste de la vague de startup qui déferlent actuellement sur la ville de la cote Ouest. Certes, cette technologie n'est pas vraiment une nouvelle venue dans le temple de l'innovation et des technologies numériques. Mais la montée en puissance de l'IA générative entraîne depuis l'an passé une explosion du nombre de jeunes pousses spécialisées sur ce créneau à San Francisco et dans la Silicon Valley, faisant taire les sceptiques qui voyaient déjà la région morte et enterrée.

Les heures sombres de San Francisco

À leur décharge, San Francisco a connu des heures difficiles, et ce même avant le début de la pandémie. À partir des années 2010, de nombreuses voix ont commencé à s'élever pour dénoncer les dysfonctionnements de la municipalité, la montée des impôts locaux et celle de la criminalité. Tout en conservant son dynamisme, la ville californienne a perdu quelque peu de sa superbe face à d'autres hubs américains de l'innovation, comme New-York. En 2014, selon les données de PitchBook, une base de données financières, les entreprises de la région de la baie attiraient quatre fois plus d'investissements en capital-risque que leurs homologues de la Big Apple. En 2020, ce ratio était tombé à 2,5.

Durant la pandémie, de nombreux "techies" ont profité de la généralisation du télétravail pour voguer vers des horizons plus radieux (et moins chers), comme Austin, Nashville et Miami, autant de villes saluées tour à tour comme la nouvelle Silicon Valley. De nombreuses figures médiatiques ont fait leurs valises, citant différentes raisons. Agacés par les mesures anti-Covid, Elon Musk a déménagé à Austin. Dénonçant une culture politique selon lui uniformément de gauche, conformiste et intolérante, son confrère de PayPal Peter Thiel, soutien de Donald Trump, a pris la route pour Los Angeles. L'investisseur Keith Rabois est quant à lui parti à Miami, dénonçant une municipalité et des services publics hautement dysfonctionnels. Entre 2021 et 2022, la valorisation de startup locales soutenue par des fonds en capital-risque a diminué de moitié.

Painted Ladies

Les célèbres Painted Ladies. © Guillaume Renouard

L'antichambre mondiale de l'IA

Mais depuis l'an passé, l'industrie locale des nouvelles technologies redémarre à plein régime, dynamisée notamment par l'essor des startup de l'IA. L'an passé, la moitié des investissements mondiaux dans des jeunes pousses de l'IA sont allés à des entreprises basées dans la région de la baie. Celles-ci ont levé un total astronomique de 27 milliards de dollars en 2023, contre 14 milliards en 2022. OpenAI, Anthropic et Inflection AI, toutes basées à San Francisco, ont chacune levé plus d'un milliard de dollars (bien plus dans le cas d'OpenAI). La moitié des jeunes pousses qui ont complété leur cycle au sein du prestigieux Y Combinator en avril dernier étaient spécialisées dans l'IA, et plus de cent événements par mois sont consacrés à cette technologie dans San Francisco et ses environs.

« La qualité et l'intérêt des conversations que l'on peut avoir ici est sans commune mesure avec ce qui se fait ailleurs. La scène des startup est d'une taille sans équivalent », affirme Moritz Wallawitsch, un jeune ingénieur allemand spécialisé dans l'IA, qui a posé ses valises à San Francisco il y a deux ans.  Après avoir cofondé une première startup, il travaille désormais comme codeur dans une entreprise locale et aimerait à terme lancer une deuxième jeune pousse spécialisée dans l'IA.

Outre la déferlante ChatGPT, la scène locale de l'IA a connu un coup de fouet en avril 2023, avec l'organisation d'un événement baptisé Woodstock of AI par Hugging face, jeune pousse franco-américaine de l'IA qui promeut la recherche open source.

« À l'origine, ce devait être un simple meet-up, mais nous avons fini par réunir plus de 5 000 personnes, et avons dû privatiser le musée Exploratorium, qui donne sur la baie. Nous sortions péniblement du marasme post-Covid, et la communauté était ravie de se réunir autour de l'IA. Il y a eu un avant et un après Woodstock of AI à San Francisco », affirme Jeff Boudier, responsable produit chez Hugging Face.

Une quête de communauté

À la même période, dans un tweet qui a fait beaucoup de bruit, Amber Yang, une investisseuse locale, affirme que le quartier d'Hayes Valley, au cœur de San Francisco, est désormais surnommé « Cerebral Valley » par les locaux. La raison : le nombre de jeunes pousses de l'IA et « hacker houses » qui s'y trouvent. « L'IA semble être la seule discipline dans le monde des startup qui requiert de travailler face à face, de sorte que si vous n'êtes pas à San Francisco, vous êtes désavantagé », poursuit-elle.

Amber Yang

Lové contre le parc d'Alamo Square, avec ses demeures colorées aux élégantes façades victoriennes et édouardiennes, ses boulangeries françaises et ses magasins chics pour hipsters, le quartier de Hayes Valley offre un condensé du charme à la fois cossu et bohème de San Francisco. On y trouve plusieurs « hacker houses », des collocations géantes rassemblant des personnes qui travaillent autour de l'IA, profitant de leur cohabitation pour échanger des idées, collaborer, organiser des événements et des hackathons.

« Durant la pandémie, de nombreux bureaux ont fermé. Les habitants se sont donc mis à travailler de chez eux, ou à se rassembler dans des maisons installées dans des quartiers plaisants, propres et calmes », explique Jeremiah Owyang, investisseur chez Blitzscaling Ventures et fondateur de Llama Lounge AI, une série d'événements consacrés aux startup de l'IA. « Hayes Valley coche toutes ces cases, en plus d'être très centrale et bien desservie par les transports. »

Moritz Wallawitsch, a vécu dans l'une de ces communautés, la Genesis House. « C'était une expérience formidable, j'étais entouré de personnes qui s'intéressaient à l'IA et à l'apprentissage automatique, nous discutions des derniers papiers de recherche. J'ai énormément appris sur l'IA », se remémore-t-il.

Outre l'ambition professionnelle, elles répondent également à un désir de communautés et à des aspirations sociales. Gloria Felicia, une autre entrepreneuse passionnée par l'IA, a cofondé Oasis Collective, une « hacker house » réservée aux femmes travaillant dans l'IA, également installée dans Hayes Valley. « L'objectif était de promouvoir la diversité dans une industrie qui reste très masculine. Nous organisions des événements et faisions du réseautage pour les femmes porteuses d'un projet dans l'IA », raconte la jeune femme.

Après avoir cofondé, puis vendu une première jeune pousse, Menubites.ai, qui propose aux restaurants des photos embellies par l'IA pour les plateformes de livraison de repas, elle a lancé une nouvelle entreprise, Atlaspro.ai, qui utilise l'IA pour accélérer la construction d'infrastructures. Si elle a déménagé dans l'État de Washington avec sa cofondatrice pour des raisons d'opportunité de marché, elle affirme que ses années en colocation à San Francisco lui ont mis le pied à l'étrier.

« Nous avons rencontré notre conseiller d'entreprise au cours d'un événement organisé par Oasis Collective. C'est également une excellente manière de recruter : je connais de nombreux entrepreneurs qui ont débauché leurs premiers ingénieurs en IA au sein de leur hacker house. »

Hayes Valley

Le quartier de Hayes Valley. © Guillaume Renouard

À l'heure du télétravail et des visioconférences, cet aspect communautaire, mis en valeur par Amber Yang, est l'un des gros points forts de San Francisco.

« Il y a tout un écosystème de startup locales dans lequel on peut facilement puiser, afin de trouver des développeurs, des talents, des cofondateurs et des investisseurs, ces derniers se trouvant majoritairement dans la région de la baie (c'est le cas des investisseurs de Mistral, par exemple). Les grandes entreprises de la tech fournissent les infrastructures nécessaires. La région est également très accueillante : la plupart des fondateurs de startup et dirigeants de grandes entreprises viennent d'ailleurs, ce qui crée un environnement très inclusif », note Jeremiah Owyang.

Autre atout de la région : l'excellence éducative, avec des universités de pointe. C'est d'autant plus important dans l'IA, selon Jeff Boudier. « L'IA est une technologie portée par la science. Le lien avec les laboratoires de recherche y est beaucoup plus important que pour les vagues d'innovation précédentes. Stanford et Berkeley forment toutes deux d'excellents chercheurs qui constituent ensuite les forces vives des startup qui font l'IA à San Francisco. »

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Commentaire 1
à écrit le 17/06/2024 à 8:13
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Des jeunes non diplômés vont attirer des jeunes diplômés, automatiquement, ils ne veulent pas vivre dans des tours d'ivoire entourées de barbelés et de mines anti-personnelles comem les personnes âgées, ils veulent vivre dans le monde. Car même s'ils...

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