Les élections législatives ont déclenché un pic historique de haine en ligne, selon les experts

EXCLUSIF. D’après les chiffres de plusieurs experts interrogés par La Tribune, dont le spécialiste français de référence de la protection contre le cyberharcèlement Bodyguard, la haine en ligne a plus que doublé au cours des élections législatives. La dissolution de l’Assemblée nationale début juin a déclenché une vague de propos haineux sans précédent, tant dans son volume que dans son intensité, tous réseaux sociaux confondus.
Selon l'application Bodyguard, les contenus haineux ont doublé depuis la dissolution de l'Assemblée nationale.
Selon l'application Bodyguard, les contenus haineux ont doublé depuis la dissolution de l'Assemblée nationale. (Crédits : image générée par IA avec DALL-E)

« Tu sais, c'est pas parce que tu es journaliste que tu vas pas prendre une balle dans la tête s***** communiste. Tu passes pas le week-end, bisous. » Ce message adressé à la journaliste Salomé Saqué début juillet n'est qu'un exemple parmi d'autres. « Depuis trois semaines, mes DM (messages privés) ne ressemblent qu'à ça. C'est une vague de haine sans aucun précédent dans ma carrière », commentait l'autrice de Sois jeune et tais toi sur X (ex Twitter) le 4 juillet, quelques jours avant le second tour des élections législatives. Son nom comme celui d'autres journalistes et militants s'est ensuite retrouvé sur une liste de personnes à assassiner « d'une balle dans la nuque » sur le site Réseau Libre, qui circule en ligne dans les cercles d'extrême droite. Des avocats et des responsables politiques ont été ciblés par des menaces similaires issues de ce même site quelques jours auparavant. Quarante-quatre personnes ont porté plainte contre X le 12 juillet suite à ces publications morbides.

Depuis la campagne des élections européennes, et plus particulièrement la dissolution de l'Assemblée nationale, plusieurs personnalités ont fait part de vagues de haine à leur encontre sur les réseaux sociaux. « Les gros comptes (de centaines de milliers d'abonnés) rapportent une multiplication par 4 des messages de haine qu'ils reçoivent ces dernières semaines. Parfois, il s'agit de centaines de commentaires ultra-violents en dessous de publications pourtant a priori anodines comme "Vive la Paix" », estime Jeremy Guillon, directeur général de Safebear. Cette application web lancée en juin 2024 permet d'indexer les messages haineux, menaces de mort et autres insultes reçus via X et Instagram, et de les stocker afin de faciliter le dépôt de plainte aux personnes victimes de cyberharcèlement.

Lire aussi« Pour la fin de l'anonymat total sur les réseaux sociaux » (Paul Midy, député Renaissance)

Le média en ligne StreetPress fait aussi partie des cibles. « Depuis la dissolution on a reçu 1000 mails d'insultes. Ils sont assez similaires avec quelques différences, et sont envoyés d'adresses différentes, mais cela ne veut pas dire grand-chose. C'est difficile de dire s'il s'agit d'un individu, ou d'une action groupée de plusieurs personnes qui se coordonnent via Telegram ou Discord, comme c'est parfois le cas », explique Matthieu Mollard, rédacteur en chef du média. À ces mails, s'ajoutent des milliers de commentaires haineux sur TikTok et YouTube principalement. StreetPress, qui enquête depuis plusieurs années sur l'extrême droite, est habitué à ce type de message.

« On en reçoit tous les jours, mais on constate des vagues particulièrement intenses à certains moments comme lors de l'élection présidentielle de 2022 et aujourd'hui. Quand l'extrême droite se voit au pouvoir, la parole se libère, et les attaques à l'encontre des personnes désignées comme leur adversaire se multiplient. »

Pendant les législatives, StreetPress a publié de nombreuses enquêtes sur les candidats du Rassemblement National, qui ont eu un fort écho sur les réseaux sociaux, et sur les plateaux télévisés. Le média est donc d'autant plus dans le viseur des réseaux d'extrême droite.

Marie Fernet, avocate suivie par plus de 16 000 personnes sur X, perçoit elle aussi une hausse de la haine en ligne. « En tant que femme, avocate, qui s'exprime sur la politique, je suis la cible de manière générale de nombreux messages de haine. J'ai remarqué que les choses généralement se compliquent quand vous passez le cap des 8 000 abonnés, car vous entrez alors dans des sphères qui ne sont plus les vôtres », expose l'avocate. Mais elle note que durant la période des législatives les partages de ses tweets par des comptes influents dans les sphères d'extrême droite (rassemblant plus de 50 000 abonnés) étaient plus fréquents. « Lorsque l'un de ces comptes affiche un tweet de cette façon, c'est souvent pour faire de vous la cible d'une campagne de cyberharcèlement », explique-t-elle.

Une augmentation des violences en ligne inédite

Cette hausse de la violence en ligne se confirme en chiffres. « Ce n'est pas qu'une impression », affirme Charles Cohen, fondateur de Bodyguard. Cette entreprise, lancée en 2018, s'est spécialisée dans la protection des internautes. Sa technologie permet d'identifier, de classer et de juger la sévérité des publications haineuses et autres menaces sur les réseaux sociaux. Charles Cohen a accès à des données qui prouvent que les contenus haineux ont connu un pic sans précédent ces dernières semaines.

« C'est la plus forte augmentation que nous ayons enregistrée depuis la création de Bodyguard, juge-t-il. Les réseaux sociaux sont souvent utilisés comme exutoire. Pendant la crise du Covid, les messages haineux avaient progressé de 60 %, ici nous sommes sur une hausse de 100 % entre l'annonce de la dissolution et les résultats du second tour. On était à 1,4 % de contenus haineux sur la totalité des publications avant la dissolution toutes plateformes confondues avant d'atteindre un pic de 3 %. Il en est de même pour les contenus extrêmement violents (racisme, harcèlement sexuel, homophobie) », explique le dirigeant.

Le constat est le même chez Point de Contact, une association vers laquelle les victimes et témoins de violence en ligne peuvent se tourner pour signaler des contenus. Mark Pohlmann, président de l'association, explique avoir placé « une sonde sémantique » sur le réseau social X entre le premier et le second tour des élections. Un logiciel d'intelligence artificielle (baptisé Percipion) a analysé toutes les heures le champ lexical des publications postées sous le hashtag #legislatives2024 (soit une centaine de tweets toutes les trente minutes). Le 29 juin, le soir des résultats du premier tour, le taux de menaces (intimidation, avertissement, expression hostile...) était aux alentours de 10 % pour atteindre 30 % la veille du second tour. « Après les résultats à 20 h, le taux s'est effondré », précise Mark Pohlmann.

Les messages à caractère raciste ont connu la plus forte hausse

Les chiffres recueillis par Bodyguard montrent que la hausse a été d'autant plus importante pour les insultes racistes. « La tendance est à une libération de la parole raciste, principalement contre les musulmans et les juifs, expose Charles Cohen. C'était déjà le cas depuis le 7 octobre et le conflit à Gaza, qu'il s'agisse d'insultes contre les musulmans ou contre les juifs. » Les contenus homophobes et ceux relevant du harcèlement moral (appels au suicide notamment) ont eux aussi progressé. L'augmentation est toutefois moins nette que pour les propos racistes.

Lire aussiUne inquiétante libération de la parole raciste

Pour les entreprises et les associations qui tentent de surveiller ces messages, l'enjeu est de s'adapter au langage très mouvant des réseaux sociaux. « C'est un jeu du chat et de la souris, analyse Charles Cohen. Les personnes qui publient ce type de contenus s'adaptent toujours aux règles algorithmiques, et tentent de contourner la modération en utilisant de nouveaux termes. » En France, l'expression « dragon céleste » (issue du manga One Piece) est ainsi utilisé sur X et TikTok pour désigner les personnes juives. Dans les pays anglophones, le mot « jews » (juifs) est remplacé dans certains cas par l'émoji pack de jus de fruit (juice en anglais). Un nouveau terme que Bodyguard a vu émerger il y a quelques jours et a dû intégrer à sa technologie.

Par ailleurs, outre le volume et le pourcentage de messages haineux qui augmentent, l'intensité de la violence est elle aussi en progression. « Les contenus que l'on classe comme "sévères" et "très sévères" en termes de niveau de violence ont augmenté en juin et juillet », note Charles Cohen. Ils représentent aujourd'hui près de 30 % de la totalité des contenus toxiques répertoriés par Bodyguard.

La modération des plateformes pas assez agile pour faire face à cette vague

Pour se protéger, les personnalités visées par ces vagues de haine se protègent comme elles le peuvent. Car souvent la modération mise en place par les grandes plateformes ne suffit pas, malgré leur plus grande vigilance et les moyens supplémentaires mis en œuvre pendant les périodes électorales. Les réseaux sociaux manquent et manqueront toujours de moyens humains pour modérer la masse de messages, estiment les dirigeants de Safebear. Pour Charles Cohen, elles manquent surtout d'agilité compte tenu de leur taille, et ne parviennent pas à s'adapter rapidement aux méthodes mouvantes des cyberharceleurs.

Lire aussiRéseaux sociaux : comment les plateformes s'organisent en urgence sur la modération en vue des législatives

C'est en réponse à cette faille que des entreprises comme Safebear et Bodyguard se sont construites. Le modèle semble fonctionner pour Bodyguard. L'entreprise compte 90 entreprises clientes et voit ses revenus doubler chaque année. Outre ces couches de protection additionnelle, les victimes de violence en ligne s'imposent aussi des règles d'« hygiène numérique », comme l'explique Mathieu Mollard de StreetPress. « On ne publie jamais notre adresse postale en ligne, ce qui signifie utiliser une autre adresse si l'on souhaite avoir un statut d'auto-entrepreneur par exemple. On supprime tous nos anciens comptes Facebook, pour éviter que des personnes mal intentionnées retrouvent des proches et les menacent. » De son côté, Marie Fernet dit avoir bloqué 2.500 comptes, qu'elle identifie comme proches de mouvances d'extrême droite. Lors de périodes trop intenses, elle passe son compte « sous verrou », c'est-à-dire invisible aux yeux des personnes qui ne la suivent pas.

Si Mark Pohlmann note un certain apaisement depuis les résultats des élections, Charles Cohen estime que d'expérience, après les vagues de violence, le niveau de haine moyen ne revient jamais tout à fait au niveau d'avant. « Le problème reste que la violence en ligne a été banalisée, et se fait aujourd'hui dans l'impunité, ajoute Christian Guillon, président de Safebear. Sur des milliers de plaintes déposées, seules une cinquantaine sont suivies de condamnations. » Il espère que sa technologie permettra à davantage de ces plaintes d'aboutir, en offrant aux victimes un moyen sécurisé de collecter des preuves.

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Commentaires 31
à écrit le 16/07/2024 à 14:56
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Merci Mélenchon

le 17/07/2024 à 8:56
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Mélenchon a surfé sur la vague initiée par la stratégie délibérément clivante de Sarkozy pour siphonner l'électorat FN/RN et gagner la présidentielle de 2007, d'où une radicalisation de l'électorat de la droite classique appelant en retour une radica...

à écrit le 16/07/2024 à 10:52
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Ce n'est pas étonnant car le marketing politique combiné au mode de scrutin majoritaire tend à faire des partis politiques les lobbys respectifs de tel ou telle catégorie de "protégés" vieillissants, le RN et LFI étant la voix des "exposés" mécaniqu...

à écrit le 16/07/2024 à 9:08
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D'accord avec l'ensemble des posteurs, les chaînes d'infos télévisuelles sont responsables de cela. Certains français ont quitté la télévision française écœuré du manque de débat objectif et une quasi parole sectaire répétée en boucle. Pour une minor...

à écrit le 16/07/2024 à 8:29
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Un dicton germanique dit « lorsque l’on invoque les esprits trop souvent, beaucoup de mal à les faire repartir » À force d’invoquer les castors 🦫 nous sommes paralysé par les barrages.

le 16/07/2024 à 11:41
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Ben faut vraiment qu'ils arrêtent d'évoquer les esprits. Ça n'existe pas ! Enfin pas tant que Michel Onfray ne nous l'a pas prodigieusement prouvé ! LOL ! ^^

à écrit le 16/07/2024 à 8:28
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Un dicton germanique dit « lorsque l’on invoque les esprits trop souvent, beaucoup de mal à les faire repartir » À force d’invoquer les castors 🦫 nous sommes paralysé par les barrages.

à écrit le 16/07/2024 à 8:09
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Et la presse à aussi joué sa petite partition mais elle ne se remet pas en cause.

le 16/07/2024 à 12:08
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Oui et la presse c’est comme les chasseurs, il y a la bonne presse et la mauvaise.

le 17/07/2024 à 9:00
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Les médias français sont traditionnellement des médias d'opinion et quand les puissants donnent le mauvais exemple, comme Macron parlant de "ceux qui ne sont rien", tout est foutu!

à écrit le 16/07/2024 à 7:28
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"ls ont qu à faire comme moi" Et pourquoi ferions nous comme toi ? Nous n'avons pas eu la même vie, ni la mêm expérience, nous sommes complètement différents ayant évolué dans des contextes différents, dis moi par quel miracle les gens feraient comme...

le 16/07/2024 à 8:13
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Si la voix d’une personne est ridicule, alors l’avis de chacun de nous l’est aussi. Et c’est d’ailleurs le cas. Si tu veux que ta voix compte, deviens melenchon.

le 16/07/2024 à 8:19
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En effet, "l'avis c'est comme les trous de balle, tout le monde en a un". C'est pour cela qu'il faut accéder à la pensée profonde qui impose de penser contre soi, de remettre sans cesse tout ce qui nous influence et nous a influencé en question. Alle...

le 17/07/2024 à 9:04
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@Math : on nous bassine régulièrement sur le "mille-feuille", son utilité, c'est de prévenir une prolifération de politiciens tels que Mélenchon car quand on a fait des études qu'il n'y a pas d'emplois administratifs en face, il ne reste que la polit...

à écrit le 16/07/2024 à 0:14
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Il n’est pas surprenant de constater que le tripatouillage électorale n’amène finalement aucun apaisement. Bâillonnez l’expression de millions d’électeurs produit assez logiquement une énorme frustration collective. Les pyromanes pleurent des larmes ...

à écrit le 15/07/2024 à 21:44
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Ben des paroles de haines sont entendues à l'assemblée nationale depuis quelques années maintenant également, par ailleurs cette campagne des législatives imposait de mettre le tout venant comme candidats, je peux vous garantir que juste à côté de mo...

le 15/07/2024 à 23:17
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Ils nous font marrer .. ils ont qu à faire comme moi boycott de tous les réseaux sociaux poubelles .. en plus détenus par des intérêts us, chinois quand pad Russes.. Commission des années 2000: Monti , Barroso x2 , Van fer layen ou sont les réseaux...

le 15/07/2024 à 23:17
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Ils nous font marrer .. ils ont qu à faire comme moi boycott de tous les réseaux sociaux poubelles .. en plus détenus par des intérêts us, chinois quand pad Russes.. Commission des années 2000: Monti , Barroso x2 , Van fer layen ou sont les réseaux...

le 16/07/2024 à 7:02
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"ls ont qu à faire comme moi" Et pourquoi ferions nous comme toi ? Nous n'avons pas eu la même vie, ni la mêm expérience, nous sommes complètement différents ayant évolué dans des contextes différents, dis moi par quel miracle les gens feraient comme...

à écrit le 15/07/2024 à 21:43
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Ben des paroles de haines sont entendues à l'assemblée nationale depuis quelques années maintenant également, par ailleurs cette campagne des législatives imposait de mettre le tout venant comme candidats, je peux vous garantir que juste à côté de mo...

à écrit le 15/07/2024 à 21:33
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Bonjour, comment cela la haine n'as jamais été aussi importante... Mais ils me semblent importants de regarder les hypocrite, les provocateurs, les manipulateurs et pour finir les menteurs.... N'importe comment, si cela vas trops loins , les violen...

à écrit le 15/07/2024 à 20:38
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La haine aussi a sa raison d'être...

à écrit le 15/07/2024 à 20:15
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Cause ou conséquence ? Résultat pour le moins du refus du débat d'idées , un débateur se voit coupé la parole dit qu'il prononce 3 mots et se trouve la risée de l'assistance , voir de l'animateur ...quant aux idées elles ont disparu reste plus que le...

à écrit le 15/07/2024 à 19:33
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l' ostracisme n' est ce pas là aussi une forme d' expression bien pensante de la " Haine " ? On se croierait à un affrontement entre supporteurs du P.S.G. et de l' O.M.

à écrit le 15/07/2024 à 19:29
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Nous pouvons dire "merci" aux médias qui ont tout fait pour diviser, pour le compte de ceux qui veulent reigner !

le 16/07/2024 à 1:59
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Regner, c'est mieux.

à écrit le 15/07/2024 à 19:27
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Comment s'etonner de la haine en ligne quand le president du MEDEF, en Decembre 2023, declare que "d'ici 2050", l'économie française aura besoin de "3,9 millions de salariés étrangers" ? C'est de la provocation

à écrit le 15/07/2024 à 18:26
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On se demande bien qui peut avoir pour slogan "un flic mort, c'est un électeur en moins pour le RN", qui peut appeler à des désistements contre-nature contre le RN et ses électeurs, qui refuse que les députés pourtant normalement élus du RN exercent...

à écrit le 15/07/2024 à 18:02
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Disons que la haine etait le jeu prefere des tolerants de gauche qui ont invente les notions de haine juste, donc de gauche, et d3 racisme tolerant ( issu de son electorat). La cocotte chauffait, et lzs elzctions ont ete le declencheur, ce qui surpre...

le 15/07/2024 à 23:11
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@churchill - Pffffuuuuiiit!et re- Pfffuuuittttt🤧

à écrit le 15/07/2024 à 18:02
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Ben des paroles de haines sont entendues à l'assemblée nationale depuis quelques années maintenant également, par ailleurs cette campagne des législatives imposait de mettre le tout venant comme candidats, je peux vous garantir que juste à côté de mo...

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