![Vladimir Poutine, président de la fédération de Russie dont la stratégie est d'enveminer les débats en Occident.](https://static.latribune.fr/full_width/2401436/le-president-russe-vladimir-poutine.jpg)
Depuis quelques semaines, un faux site Ensemble circule sur le web, partagé notamment par des comptes sur X. Il propose une « prime Macron » de 100 euros en échange d'un vote pour un candidat de la majorité présidentielle aux législatives. De quoi convaincre les électeurs que les députés macronistes tentent d'acheter des voix, de décevoir les plus naïfs qui ne recevront pas la somme promise et de collecter quelques données personnelles au passage. Ce copycat (site copié) est l'un des nombreux exemples de campagnes d'informations menées par la Russie, pointe une étude du CNRS publiée le 1er juillet.
Au bénéfice du RN
Parmi les autres exemples : de fausses publicités de recrutement de soldats français pour l'Ukraine diffusées sur les réseaux sociaux, d'autres insinuant que la sécurité ne sera pas assurée pendant les Jeux Olympiques. Pour diffuser ces messages anti-gouvernementaux, la Russie fait notamment appel à des bots, des faux comptes créés sur X. Florent Lefebvre, spécialiste de l'analyse de données, montre dans une analyse publiée sur X et LinkedIn, l'existence de dizaines de milliers de bots X diffusant pour certains plus de 70 tweets par jour. La majorité de ces bots ont été créés en juin et ont une activité peu « naturelle » selon le spécialiste.
Ces opérations ponctuelles, qui surfent sur l'actualité, s'accompagnent par ailleurs d'une longue opération de manipulation du débat politique en France visible notamment sur X (ex Twitter), explique le mathématicien David Chavalarias, auteur de l'étude du CNRS. Le but est simple : permettre au Rassemblement National, dont les idées convergent avec les intérêts du Kremlin, de gagner.
Comment : en faisant en sorte que les partis républicains se détestent au point de ne pas vouloir faire front. Ces élections législatives impromptues pourraient être la « dernière étape avant la prise de contrôle de la France par des personnalités politiques moins hostiles au régime de Poutine », écrit-il.
Pour mettre en lumière ce délitement du front républicain par la Russie, le mathématicien a étudié de près les interactions sur le réseau social X. Son dernier rapport est issu d'un projet en cours depuis 2016 baptisé Politoscope. Ce travail mené par l'Institut des Systèmes complexes du CNRS s'attache à observer le militantisme politique français sur X (anciennement Twitter). 700 millions de messages issus de 17 millions de comptes ont été analysés. Ces débats politiques sont représentés sous forme de cartes, où l'on peut voir la masse des messages envoyés par une communauté et les liens, plus ou moins forts, qu'entretiennent ces différentes communautés entre elles.
Attiser les clivages pour provoquer un vote émotionnel
Pour pouvoir mener à bien les campagnes de déstabilisation, les comptes liés au Kremlin se servent de l'architecture et du fonctionnement des algorithmes de X. David Chavalarias montre notamment comment les Russes grossissent artificiellement la communauté dite « anti-système » du réseau social, qui joue un rôle de passerelle entre les communautés de gauche et celles d'extrême droite, car toutes deux partagent des publications critiques sur les actions du gouvernement.
« Le but n'est pas d'attirer des électeurs de gauche vers l'extrême droite, mais plutôt de se situer à un point stratégique du réseau. Cela permet de relayer des publications le plus efficacement possible. C'est l'endroit idéal pour moduler le débat politico-sociétal en France », pointe le chercheur.
Cette communauté anti-système a particulièrement grossi durant le Covid et elle regroupe des personnalités bien réelles (et françaises) comme Florian Philippot ou des figures des Gilets Jaunes, mais elle est aussi « infectée de bots russes », affirme David Chavalarias.
Le but de ces bots est notamment d'augmenter les antinomies entre les partis. Le conflit israélo-palestinien a été le parfait événement pour cela. Dans son étude, David Chavalarias pointe l'existence d'un compte « dont l'historique est typique d'un compte piloté par le Kremlin » très influent sur X, dans le top 10 des plus retweetés en France aux côtés de Jean-Luc Mélenchon et de Kylian Mbappé. Ce compte, qui était placé dans la communauté « anti-système » en 2020, s'est déplacé sur la gauche de l'échiquier pour se rapprocher des communautés LFI en 2024, en créant de nouvelles connexions et en jouant sur la préférence algorithmique. Depuis le 7 octobre et les bombardements de Gaza qui ont suivi, ce compte ne fait que publier en masse des vidéos insoutenables du massacre en cours.
Au sein de ce nœud du réseau dit « anti-système », on trouve aussi des bots qui diffusent en masse des images d'agressions antisémites pour toucher cette fois-ci les communautés d'extrême droite ou les communautés juives, précise le chercheur. Deux courants contraires sont ainsi amplifiés : l'émotion suscitée par le sort des Palestiniens d'un côté, et la perception d'un antisémitisme de l'autre. Des deux côtés, l'effet psychologique provoqué par ces publications incite les gens à « voter de manière émotionnelle », explique le chercheur.
Le Kremlin a en partie imposé le terme d'« islamo-gauchisme »
L'étude revient également sur le terme « islamo-gauchisme », qui a souvent été utilisé pendant la campagne des législatives pour discréditer le bloc de gauche, présenté comme allié d'un islamisme radical. Ce terme, inconnu du grand public avant 2021, a été démocratisé lorsque Frédéric Vidal l'a évoqué lors d'une interview sur Cnews. Mais avant cela, cette expression circulait déjà sur X, explique David Chavalarias, et était surtout mise en avant par des comptes identifiés depuis comme liés à la Russie.
« Le Kremlin a donc été l'un des principaux artisans de l'opération sémantique "islamo-gauchisme" jusqu'en 2021 », conclut le chercheur.
Le résultat de cette opération de délitement du front républicain se constate aussi en observant les interactions sur X. À force de gonfler artificiellement des conflits, la Russie est parvenue à isoler sur le réseau social le Front Populaire de la communauté Renaissance. C'est-à-dire qu'il y a moins d'interactions entre le NFP et Renaissance, qu'entre Renaissance et l'extrême droite. « Cette configuration suggère qu'un éventuel partage de l'espace en deux camps lors d'un second tour séparerait les deux partis de gouvernement plutôt que de les unir contre l'extrême-droite », observe David Chavalarias.
Le glissement de X vers l'extrême droite
Ce phénomène est particulièrement visible sur X, car la modération, depuis le rachat de l'entreprise par Elon Musk, y est quasiment absente. Par ailleurs, « le glissement vers l'extrême droite du réseau social lui-même a permis l'accélération de l'action du Kremlin », note David Chavalarias.
Evidemment, X n'est qu'une partie de l'écho médiatique donné à ces oppositions entre partis républicains. Les débats qui envahissent la plateforme nourrissent aussi les médias traditionnels, dont les chaînes d'information en continu. Une « caisse de résonance idéale », estime le mathématicien, qui sans être le seul facteur de montée de l'extrême droite en France, l'explique en partie.
Sujets les + commentés