« Edits » et K-pop : la gauche s'organise face à la domination de Bardella sur les réseaux

Faute de temps pour organiser la communication traditionnelle, ces élections législatives express se joueront forcément sur les réseaux sociaux. À ce jeu, Jordan Bardella, dont l'omniprésence sur TikTok a séduit une grande partie de l'électorat des 18-24 ans lors des élections éuropéennes, part en tête. Sauf que cette fois, une riposte s'installe chez les jeunes militants pour le Front Populaire naissant. Leur plan : inonder TikTok, X et Instagram de montages avantageux des personnalités de gauche, et s'octroyer le soutien des fans de K-pop, l'une des communautés les plus puissantes du web.
Compilation d'edits de personnalités politiques de gauche qui circulent sur les réseaux sociaux.
Compilation d'edits de personnalités politiques de gauche qui circulent sur les réseaux sociaux. (Crédits : Captures écran X et TikTok)

« Jordan ma vie », hurlent de jeunes militantes lors d'un meeting du Rassemblement National. Une autre le compare à un candidat de téléréalité. « Il dégage vraiment quelque chose, il est drôle, il est gentil, il a de l'humour », dit la lycéenne en faisant défiler des vidéos, allongée sur son lit. Ces extraits issus du reportage Arte La jeunesse n'emmerde plus le Rassemblement National, diffusé fin mai, illustrent en quelques secondes la popularité du candidat d'extrême droite chez les plus jeunes. Une aura entretenue à grand renfort de vidéos TikTok bien maîtrisées diffusées sur son propre compte, mais aussi de vidéos montages, mettant en avant son physique et ses punchlines, relayés par des influenceurs d'extrême droite et de simples militants. Cet « effet TikTok » se reflète dans les chiffres. Les 18-34 ans ont voté pour lui à hauteur de 32%, contre 20% pour la France insoumise et seulement 5% pour Valérie Hayer, d'après une étude Elabe pour La Tribune Dimanche, BFMTV et RMC, publiée le 9 juin.

Une claque que semble prendre en considération la gauche. Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes, commente sa défaite en concédant avoir sous-estimé « la force de Tiktok ». Alma Dufour (LFI) prenait quant à elle la parole sur la plateforme chinoise quelques heures après la dissolution de l'Assemblée Nationale, pour appeler à une mobilisation massive « des jeunes des quartiers ». Un des grands enjeux pour la gauche, comme pour la majorité présidentielle, est de regagner le terrain des réseaux sociaux en un temps record, puisqu'ils n'ont que 20 jours avant le premier tour des élections législatives.

Une campagne express où tout (ou presque) se jouera en ligne

 « Les réseaux sociaux jouent un rôle encore plus prépondérant qu'à l'habitude, souligne Vincent Reynaud-Lacroze, directeur général de l'agence de communication de We Are Social. L'enjeu, c'est d'être le plus rapide à dégainer un message clair et incarné, un visuel repris massivement pour dépasser les bases d'électeurs habituels. C'est déjà ce qu'ont fait les équipes de François Ruffin avec le visuel du Front Populaire qui a été beaucoup partagé. On va certainement assister à une campagne de l'immédiateté, qui donnera peu d'espace à la nuance, où l'image jouera un rôle très important et où l'on assistera à une bataille de vidéo contre vidéo.»

 « Les créateurs de contenus vont avoir un rôle clé à jouer », complète Benjamin Gault, militant pour le Parti Socialiste et influenceur politique sur Instagram et X. « Pendant cette campagne express, il n'y a pas d'autres choix que de mobiliser de manière instantanée des communautés déjà existantes », explique le jeune collaborateur parlementaire de 22 ans, suivi par plus de 50 000 personnes sur Instagram.

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Ce n'est d'ailleurs pas des partis politiques dont a émané la riposte la plus efficace en ligne ces dernières heures, mais des militants eux-mêmes. Depuis l'annonce d'un Front Populaire à gauche, ils sont nombreux à publier des montages vidéo de quelques secondes à l'effigie de personnalités politiques de LFI ou EELV. Ces montages au rythme rapide sur fond de musique pop ou techno appelés « édits » ou « fancam edits  » dans le jargon du web, sont pour la plupart réalisés via CapCut, l'application sœur de TikTok dédiée au montage.

Les edits, une arme pour populariser les députés LFI auprès d'un public apolitique

Généralement, les edits mettent plutôt à l'honneur une célébrité, souvent des membres de groupes de K-pop, culture où cette pratique est très populaire. C'est aussi ce format qui a popularisé à l'international Swann Arlaud, acteur français incarnant un avocat dans Anatomie d'une Chute de Justine Triet. La créatrice du montage le plus viral le concernant est d'ailleurs à l'origine d'un edit d'Aymeric Caron (LFI) diffusé ce mardi 10 juin. Aux côtés de cette vidéo du député et ancien chroniqueur, on trouve des montages d'autres personnalités de gauche, en majorité LFI, comme Sébastien Delogu (sans aucun doute le sujet préféré des monteurs), Rima Hassan, David Guiraud ou encore Clémence Guetté...

Les images compilent certaines phrases chocs et actions marquantes des députés : le drapeau palestinien brandi par Sébastien Delogu à l'Assemblée Nationale, le « où est passé le respect ? » de Louis Boyard, l'énervement de David Guiraud face à Meyer Habib. Mais elles visent aussi et surtout à les présenter comme beaux, accessibles et cools : François Ruffin s'esclaffant lors d'une interview, Clémence Guetté fumant une cigarette à la fenêtre, Sébastien Delogu muscles saillants... Et en commentaires, ce sont surtout les physiques et l'attitude des politiques qui est commenté, pas leur programme. Mais c'est précisément l'effet recherché.

« Les fancams fonctionnent bien au sein de communautés de fan de séries, télé-crochets, artistes, et on s'est dit que ça pouvait fonctionner pour la politique, expliquent les créateurs du compte « Gauche Stans », créé il y a à peine 48 heures pour rassembler et relayer les différents edits produits par les militants. C'est un format qui n'était pas du tout exploité par la gauche mais déjà en place chez les partis de droite et d'extrême droite, donc on essaye de contrebalancer cela. Le format edit/fancam permet de toucher un public large, peu politisé, en mettant en lumière des acteurs politiques. »

La bataille des vidéomontages et des personnalités plus que des programmes

Ce rattrapage est-il nécessaire ? Les partis de gauche, comme le gouvernement, sont loin d'être absents des réseaux sociaux, rappelle Vincent Reynaud-Lacroze de We Are Social. « Il y a une utilisation assez native des réseaux sociaux chez Jordan Bardella, c'est certain. Et le Rassemblement National, par les raccourcis intellectuels qu'il emprunte et la radicalité de ces messages, a une communication qui se prête bien aux réseaux sociaux. Mais je pense que l'on fantasme aussi beaucoup la TikTokisation du RN. Les autres partis ne sont pas en reste. En 2020, Mélenchon s'était déjà fait remarquer par sa communication innovante sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok. » LFI est par ailleurs très bien représenté sur Twitch et YouTube, notamment par le vidéaste Usul (170 000 abonnés sur YouTube).

Pour les créateurs du compte « Gauche Stan », il y avait pourtant bien un manque à combler. « La présence de LFI sur Twitch, bien qu'utile et essentielle, permet surtout de convaincre des gens déjà politisés à gauche. Cette présence est très axée sur le factuel, l'intellectuel, les idées et les valeurs du parti, là où l'extrême droite a beaucoup plus mobilisé une présence de « personnalité », d'où notre volonté de mobiliser cet aspect là à gauche, afin de toucher également le public apolitique, avec un format plus accessible et familier. »

Benjamin Gault confirme que si la droite utilise depuis longtemps des monteurs et graphistes, ainsi que des influenceurs et médias satellites, pour monter et partager ce type de vidéos, la gauche n'est pas encore rompue à l'exercice. Il explique qu'un « immense projet de serveur Discord "Gauche d'Internet" » est en cours de préparation et devrait naître d'ici quelques jours. Le but : réunir des monteurs, mais aussi des spécialistes de la communication.

Les fans de Kpop à la rescousse

Certaines vidéos publiées ces dernières heures cumulent plusieurs dizaines de milliers de vues. Les plus populaires sont souvent partagés par des fans de K-pop, et entremêlent aux images de Manon Aubry et autres figures de la gauche, celles de membres de boys et girls bands sur fond de morceaux de BTS [le groupe de K-pop le plus connu au monde, ndlr]. Le mélange peut paraître abscons, mais il a pour objectif d'accélérer la viralité des edits. La communauté des fans de K-pop, l'autoproclamée K-pop Army, est réputée pour sa capacité d'organisation dont découle une force de frappe inédite sur les réseaux sociaux.

Si elle s'est rodée à la communication en ligne pour promouvoir ses idoles à l'origine, elle exploite désormais ses techniques à des fins politiques. Ces dernières années, les fans de K-pop ont par exemple joué un rôle prépondérant dans diverses élections à travers le globe, comme le rapporte MIT Technology Review. Et en 2020, ils faisaient déjà la Une de la presse en défendant le mouvement Black Lives Matter, inondant de Gifs et de mèmes les publications des suprémacistes blancs sur X.

Des créateurs de contenus obligés de se mobiliser

Cette mobilisation « rapide et efficace à la hauteur de l'urgence » dixit Benjamin Gault, donne espoir au jeune militant. Lui estime que ces élections express pourraient marquer un tournant historique en invitant un certain nombre de créateurs de contenus et de communautés à assumer pleinement leur affiliation politique. « Dans les groupes WhatsApp auxquels je participe, je vois déjà des centaines de créateurs de contenus assumer leur orientation politique et appeler à voter pour le Front Populaire », se réjouit-il. Un « coming out » politique inédit et historique selon lui.

Pour le dirigeant de We Are Social il est fort probable que les influenceurs soient même « obligés » par leur communauté à se prononcer contre le RN, et certainement en faveur d'un vote dans les prochains jours, « comme cela s'est vu pour le conflit israélo-palestinien. » La bataille des réseaux sociaux ne fait donc que commencer...

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Commentaires 3
à écrit le 13/06/2024 à 8:03
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Voilà pourquoi la droite et l'extrême droite ont recouvert les médias de masse d'une chape de plomb idéologique sans commune mesure, elle s'est faite définitivement bouter d'internet. Des législatives encore inintéressantes à observer sous cet angle ...

à écrit le 12/06/2024 à 7:38
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la gauche est largement responsable de l'ascension du RN en ayant abandonné les classes populaires et soutenu, comme le patronat, l'immigration.

à écrit le 12/06/2024 à 6:30
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Ces jeunes se croient tres malins avec leurs reseaux sociaux (Reddit et autres), ils ne font qu'agiter du vent

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