Pascal Lorne a le tournis. L'impression de retrouver l'excitation de ses débuts d'entrepreneurs. « C'est complètement dingue, je n'en dors pas. » Il y a trois mois, sa startup GoJob, a commencé à utiliser un modèle d'IA générative qui « a changé le paradigme » de son entreprise, assure-t-il. GoJob est une agence d'intérim 2.0, membre du "FrenchTech120". Créée en 2009, elle met en contact des intérimaires avec des entreprises clientes, dont beaucoup de groupes du CAC40 (Renault, Stellantis, Carrefour...). Une bonne partie des tâches chronophages étaient déjà numérisées : tri de CV, vérification de documents, signature de contrats... Mais désormais c'est l'étape-clé du business model de GoJob qui est automatisée : la recherche du bon candidat.
Concrètement, un assistant virtuel baptisé "GoJob Aglaé", fait désormais un travail de pré-sélection pour les recruteurs. Il source les bons candidats, puis s'assure via une conversation SMS que la personne est bien disponible, a les bonnes qualifications... « Avant il fallait passer 100 coups de fils pour trouver le bon candidat. Désormais seuls 3 coups de fils suffisent », expose Pascal Lorne. Il estime que la période de recrutement est passé de plusieurs jours à quelques minutes. Et qu'une seule personne peut faire le travail de 200 recruteurs.
Le dirigeant avance qu'aucun poste de recruteur ne sera supprimé. « Ils vont juste entrer plus de commandes. » La mise en place de cette nouvelle technologie aurait déjà permis à l'entreprise de doubler son volume de commandes mensuelles par rapport à l'an dernier. GoJob a atteint la rentabilité l'an dernier, et a généré 200 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023.
Passage d'OpenAI à Mistral
L'assistant virtuel de GoJob est en train de migrer vers le grand modèle de langage de Mistral, après avoir utilisé celui d'OpenAI. « Nous avons une position souverainiste de la tech, comme Artur Mensch (le co-fondateur de Mistral), c'était important pour nous de soutenir un acteur français. » Par ailleurs, au-delà de l'enjeu politique, il y a aussi une question pratique. « Le modèle d'OpenAI, entraîné en majorité sur des textes en anglais, a intégré certains biais culturel qui peuvent avoir un impact dans le processus de recrutement : le fait de demander à une personne son origine ethnique, ce qui répond aux Etats-Unis à la discrimination positive. C'est quelque chose qui ne se fait pas en France. Par ailleurs, il s'exprime en bullet point, ce qui n'est pas habituel en France. »
« Si nous laissons les modèles américains seuls sur ce marché, nous allons être submergés de textes reflétant les biais anglo-saxons. C'est un défi culturel majeur. »
Pour "fine tuner" le modèle (le paramétrer pour une mission précise) il a fallu à GoJob une quarantaine de chercheurs et d'ingénieurs spécialistes de l'IA, et 15 mois de recherche et développement.
Un premier déploiement « industriel » pour Mistral
Si ces derniers mois, de nombreuses applications de l'IA générative ont fleuri en entreprise, c'était rarement pour des missions clé. On a surtout vu des chatbots dédiés au service après-vente, ou des IA capables de synthétiser les réunions... Le retour sur investissement de ces modèles très coûteux à développer commence d'ailleurs. GoJob pourrait s'avérer ainsi l'un des premiers cas d'une application réellement efficace de l'IA générative - du moins en France. Et la première application à échelle industrielle du modèle de Mistral, le petit poucet du secteur, qui vient de lever 600 millions d'euros. Dans le communiqué de presse, Arthur Mensch se félicite de voir l'IA « accessible à tous » grâce à ce contrat.
Depuis juin, Mistral propose aux entreprises d'accéder à ses modèles depuis sa plateforme et de les personnaliser, ce que permettait déjà son rival OpenAI.
Pascal Lorne assure que le déploiement n'a pas posé de problème particulier. « Les intérimaires (l'entreprise en embauche environ 10 000) sont bien sûr prévenus qu'ils dialoguent avec une intelligence artificielle. » L'entrepreneur n'est par ailleurs pas inquiet de l'IA Act, qui range pourtant du côté des applications à haut risque les intelligences artificielles pour le recrutement.
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