COMMENT NETFLIX A CHANGÉ NOS VIES (1/3) - Et l’ovni américain débarqua en France

Le numéro un mondial du service de vidéo à la demande par abonnement est arrivé dans notre pays il y a presque dix ans. L’entreprise fondée en Californie se lance alors dans un climat teinté de méfiance mais va rapidement s’imposer dans le paysage audiovisuel français.
Marie-Pierre Gröndahl
À gauche, Reed Hastings, cofondateur de Netflix, et Ted Sarandos, directeur
du contenu, en juin 2016.
À gauche, Reed Hastings, cofondateur de Netflix, et Ted Sarandos, directeur du contenu, en juin 2016. (Crédits : © LTD / Kim Hong-Ji/Reuters)

Si les histoires d'amour finissent mal en général, certaines peuvent aussi commencer fraîchement, avant (attention, spoiler) de se conclure par une félicité mutuelle et durable. Entre Netflix et la France - on l'a un peu oublié, dix ans après - les débuts furent houleux. Le groupe fondé par Reed Hastings et Marc Randolph s'était pourtant lancé à la conquête du monde dès 2010, en commençant par le Canada, puis la Grande-Bretagne et l'Irlande avant la Suède, la Norvège, le Danemark, la Finlande, et enfin les Pays-Bas. Mais, à la veille de leur implantation, la France n'en représente pas moins un défi particulier.

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Pour plusieurs raisons. Soupçonné de vouloir imposer une culture 100 % américaine dans l'un des rares bastions mondiaux de l'« exception culturelle », Netflix s'attaque aussi à la télévision à l'ancienne, dite « linéaire », avec ses programmes imposés à heures fixes entrecoupés de publicités. Difficulté supplémentaire, l'entreprise reste totalement inconnue du grand public français. Selon une enquête de Médiamétrie, réalisée à l'été 2014, 76 % de la population déclare « ne pas connaître » la firme au N rouge vif. Un comble, compte tenu de son développement stupéfiant en seulement sept ans. Car ce n'est qu'en 2007 que l'ex-loueur de DVD - expédiés par la poste dans tous les États-Unis - a lancé son innovation majeure, le streaming, c'est-à-dire la diffusion en flux continu de contenus audiovisuels sur Internet.

Les couacs se sont multipliés entre les équipes de Netflix et les pouvoirs publics

Le groupe revendique alors 53 millions d'abonnés dans quarante pays, avec une offre de contenus directement accessibles sur son site depuis 2007. Sa devise ? « Atawad ». En VF, cet acronyme signifie « n'importe quand, n'importe où, sur n'importe quel appareil ». Doublé d'un slogan tentateur : « All you can watch », soit « tout ce que vous pouvez regarder ». Bienvenue dans l'ère du « binge-watching » et des nuits blanches ! En 2014, son catalogue nordaméricain comprend 6 494 films et 1609 séries. Grâce à un algorithme top secret, dont les recommandations s'inspirent des précédents visionnages des consommateurs, la PME s'est transformée en mastodonte. Financier autant que créatif. Wall Street, séduit par l'annonce d'un chiffre d'affaires de 4,4 milliards de dollars en 2013, en hausse de près de 20 % en un an, a fait de l'entreprise introduite en Bourse le 24 mars 2002 son nouveau chouchou. Tandis que la création de contenus originaux impressionne jusqu'à Hollywood. Notamment ses deux premières productions maison : le désormais célébrissime House of Cards, inspiré d'une série britannique des années 1990, avec Kevin Spacey et Robin Wright dans le rôle du couple présidentiel infernal. Et Orange Is the New Black, sur un groupe de femmes incarcérées aux États-Unis.

En France, où règnent toujours les chaînes télévisées traditionnelles, auxquelles se sont ajoutées celles de la TNT en 2005, les séries tricolores figurent encore dans le classement des plus regardées de l'époque (Alice Nevers, Une famille formidable, Joséphine, ange gardien...). Mais elles perdent chaque année du terrain - et de l'audience - face à leurs concurrentes nord-américaines (The Mentalist, Blacklist, Grey's Anatomy...). « L'arrivée de la TNT a d'un seul coup ringardisé les séries françaises, avec des monuments comme Urgences », se souvient Isabelle Degeorges, présidente de Gaumont Télévision France et productrice, entre autres, de Lupin, la série blockbuster avec Omar Sy diffusée par Netflix à partir de janvier 2021. « Le choc pour notre industrie a été d'une grande violence, ajoute-t-elle. Pour réagir, il a fallu miser beaucoup plus sur la qualité, trouver des financements à la hauteur et changer de façon d'écrire. » Le nouvel arrivant injecte une pression supplémentaire dans les milieux du cinéma et de l'audiovisuel.

Avant le 15 septembre 2014 à minuit et une minute, quand retentit pour la première fois le fameux « toudoum » sur le sol français, les couacs se sont multipliés depuis des mois entre les équipes de Netflix et les pouvoirs publics. De la sacro-sainte « chronologie des médias » (le calendrier qui règle l'ordre d'apparition d'une même œuvre sur différents supports, bien plus contraignant qu'ailleurs en Europe) aux obligations de diffusion, de financement et de mise en avant des programmes tricolores et européens, les négociations tournent au dialogue de sourds entre d'un côté Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, et Olivier Schrameck, à la tête du CSA, et de l'autre les émissaires du groupe californien. Netflix rompt les pourparlers et part s'installer au Luxembourg, à une adresse en forme de clin d'œil : 13-15, avenue de la Liberté, dans la capitale du Grand-Duché. Le roi du streaming n'en propose pas moins un abonnement entre 7,99 et 11,99 euros à ses premiers clients français, avec un catalogue de 3598 programmes. Ironiquement, sa série phare, House of Cards, n'en fait pas partie, car elle est diffusée par... Canal+. Sur Twitter, le premier message de Netflix à ses abonnés français se veut direct. Et intime : « Alors, on se tutoie ? »

Comment Netflix a changé nos vies
Retrouvez notre série la semaine prochaine.

Marie-Pierre Gröndahl

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Commentaires 2
à écrit le 11/08/2024 à 13:15
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Netflix? Connais pas et veut surtout ne pas connaître, tout comme je ne connais que de nom Facebook, Instagram, Tik tok et un tas d'autres "couillonades" qui aspirent nos données (en fait nos vies) pour les manipuler via les IA.

à écrit le 11/08/2024 à 9:08
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C'est facile dans un contexte de bêtise et nullité majeur de notre système artistique, notre oligarchie culturelle est profondément nulle ouvrant grande lesp ortes à l'efficacité américaine mais c'est habituel. Nos dirigeants sont nuls.

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