Paris 2024 : un bout de JO chez Marie-José Pérec

Marie-José Pérec a « ramené la flamme à la maison », en Guadeloupe. Adulée sur l’île, la triple championne olympique a porté un message d’espoir dans un climat tendu.
Marie-José Pérec, hier à Pointe- à-Pitre, après huit jours de convoyage avec Armel Le Cléac’h sur « Maxi Banque populaire XI ».
Marie-José Pérec, hier à Pointe- à-Pitre, après huit jours de convoyage avec Armel Le Cléac’h sur « Maxi Banque populaire XI ». (Crédits : © LTD / VINCENT CURUTCHET / BPCE)

Dans une chaleur moite, elle a fendu une foule en liesse, torche brandie, portée par des clameurs profondes et des percussions assourdissantes, qui ont succédé sans transition au calme de l'océan. Marie-José Pérec avait « rêvé grand mais pas à ce point ». « Ça me dépasse, ça va au-delà de tout », a commenté la Guadeloupéenne à l'arrivée d'un convoyage de huit jours et 8000 kilomètres depuis Brest (Finistère), à bord du voilier Maxi Banque Populaire XI.

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La plus grande athlète française de l'histoire a déposé la flamme sur le sol de Pointe-à-Pitre, où a démarré le relais dans les Antilles. Chez elle. « Ces 200 mètres sont plus beaux que mes 200 mètres d'Atlanta », a-t-elle joliment poursuivi, aussi éloquente et rayonnante à 56 ans qu'elle était timide durant sa carrière. En 1996, dans la ville de Martin Luther King, la sprinteuse avait conquis l'or sur la distance, un de ses trois titres olympiques, avec le 400 mètres de cette même édition et le 200 mètres à Barcelone quatre ans plus tôt.

Sur l'océan Atlantique, les derniers milles avaient été l'occasion d'étreintes avec les skippers Armel Le Cléac'h et Sébastien Josse, et ses compagnons d'aventure, la Miss France 2013, Marine Lorphelin, le metteur en scène Alexis Michalik et le chef étoilé Hugo Roellinger.

Quand les embarcations s'étaient approchées du voilier, elle avait fondu en larmes. « Nous, les Antillais, on a l'habitude de partir, pas de revenir comme ça. » Des moments forts partagés avec des équipiers représentatifs des talents tricolores, conscients du symbole pour la reine de l'île. « Un bout des JO dans l'outre-mer, c'est un remerciement pour tous les athlètes qui représentent la France, et c'est un message extraordinaire pour montrer aux Antilles qu'elles ne sont pas oubliées, avait-elle confié la veille au téléphone, encore à bord, la Guadeloupe pas encore en vue. Surtout avec ce qui se passe en ce moment au niveau politique en France, ça prend encore plus de valeur. »

« La France ne l'a pas soutenue »

Qu'aurait donc pensé de tout cela Eléonore Distin, sa défunte grand-mère ? « Whaou, c'est la question qu'il ne fallait pas poser. J'y ai souvent pensé pendant la traversée. J'ai un pincement au cœur. Ça aurait été quelque chose d'incroyable pour elle de voir que, ce dont elle rêvait, je l'ai fait. Rien que d'en parler, j'ai la chair de poule et la gorge qui se serre. » Dans sa maison en bois de Basse-Terre, située dans le prolongement de la rue des Nègres-Sans-Peur, la grand-mère de Marie-Jo berçait ses petits-enfants avec les exploits de Mohamed Ali, célébrait la nomination au barreau de Paris de la première femme noire. Elle lui a légué sa conscience d'être antillaise, noire et femme. Son moteur est ici : « Ce qui m'a habitée, c'est de relever la tête, comme disait toujours ma mamie. Si tu trébuches, tu t'essuies les genoux, tu avances. La population guadeloupéenne est comme ça. La vie est dure, mais on a beaucoup de résilience. Les gens font avec très peu de choses. »

Gérard, retraité souriant croisé près des pontons, a lui aussi le sens de la formule : « Ici, ça ressemble au paradis, ça pourrait être le paradis, mais ce n'est pas le paradis. » Aux élections européennes, seuls 13 % des Guadeloupéens ont voté. Et 30 % d'entre eux ont donné leur voix au Rassemblement national, qui ne pouvait pas mettre un pied sur l'île sans recevoir des œufs il y a peu. Le taux de chômage est de 19 %, et 28 % des jeunes sont sans emploi.

Ces 200 mètres sont plus beaux que mes 200 mètres d'Atlanta

« Ce vote, c'est contre vous, les Blancs », assène droit dans les yeux Philippe, chef d'entreprise de 57 ans. Sa colère froide témoigne d'un ressentiment partagé, qui dépasse de loin la sensation d'isolement. « On nous célèbre pour nos sportifs quand ils gagnent mais, pour vous, nous sommes différents, s'énerve-t-il. Vous ne connaissez même pas notre histoire alors qu'on connaît tout de la vôtre. On est courageux, travailleurs... » Il s'arrête. Désigne derrière lui le mémorial sur la traite et l'esclavage devant lequel Maxi Banque Populaire XI s'est amarré, et assène : « On l'a même fait gratuitement ! »

Banquier à la retraite, Hector n'y mettra jamais les pieds. « Ce serait hypocrite, dit-il. Ici, tous les postes sont tenus par des Blancs. Les infrastructures sont parfois indignes, il ne faut pas se fier aux routes rebouchées au dernier moment pour la flamme. »

Beaucoup se souviennent des déboires de Marie-José Pérec après sa fuite des Jeux olympiques de Sydney en 2000, où elle s'était sentie menacée. « La France ne l'a pas soutenue, elle a eu une reconnaissance trop tardive », peste Claude, ancien voisin de l'idole sur la marina voisine du Bas-du-Fort, où elle a vécu une partie de l'année après sa carrière. « Elle n'était plus traitée comme une Française mais comme une Guadeloupéenne », prolonge Philippe, admiratif de l'engagement de Lilian Thuram, autre figure locale. Non loin, sur les murs, une fresque de Martin Luther King voisine avec une autre en mémoire des morts du soulèvement de mai 1967, une autre du sprinter Roger Bambuck ou encore une autre du rappeur JoeyStarr.

Déo et coupures d'eau

Ici, beaucoup se souviennent des fêtes qui ont accompagné ses victoires, comme celles de Teddy Riner et Laura Flessel. « Marie-Jo, c'est encore plus fort, elle a grandi sur l'île, elle n'est pas partie tôt [à 18 ans]. C'est notre modèle », apprécie Martine, aux premières loges pour observer la flamme depuis son bar. Sans que le sujet ait été abordé, elle brandit un déodorant : « J'en achète plein quand je vais à Paris, parce qu'ici je le paie plus de deux fois plus cher alors qu'on gagne moins qu'en métropole ! » Contrairement à ses voisins, elle n'est pas victime des coupures d'eau interminables, de parfois plusieurs mois. La plaie de l'île. « Je me branche sur le réseau de l'hôpital, alors ça va, je ne subis pas les fuites. »

Ces sujets du quotidien ont un lien direct avec l'émotion de Marie-José Pérec, hier à Pointe-à-Pitre : « Je suis totalement en phase avec les gens. On a envie que les choses changent. Le symbole de la flamme, c'est l'espoir. Celui aussi qu'on pense à nous pour des choses concrètes. Que l'eau coule dans nos robinets, par exemple. Je veux dire à nos jeunes qu'on peut s'en sortir, que nous avons une terre pleine de talents. Qu'avec du travail, on peut tout réussir. »

Pour elle, place désormais à un autre rêve, envisagé comme l'ultime accomplissement de son exceptionnel destin antillais : allumer la vasque olympique le 26 juillet prochain, jour de la cérémonie d'ouverture.

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