Les Jeux de la joie

Paris 2024 embrase la France. La Ville Lumière vit sa meilleure vie, loin du bazar promis et du contexte politique. Instantanés d’une bulle euphorisante.
Les coureurs lors de l’épreuve de cyclisme sur route, hier, au pied du Sacré-Cœur.
Les coureurs lors de l’épreuve de cyclisme sur route, hier, au pied du Sacré-Cœur. (Crédits : © LTD / Angelika Warmuth/REUTERS)

L'espace de six minutes mercredi, la France a paradé tout en haut du tableau des médailles grâce au doublé historique de Léon Marchand. Partout dans l'Hexagone, les captures d'écran se sont multipliées, ont été partagées. Parce qu'il y avait quelque chose d'irréel à voir notre pays à cette altitude, le temps que le Chinois Pan Zhanle atomise le record du monde du 100 mètres nage libre. Irréel à l'image de Paris, qui a basculé dans une bulle hors du temps depuis la cérémonie d'ouverture. Une parenthèse enchantée où tous les éléments convergent vers une réussite que les organisateurs prophétisaient - tel un mantra auquel il faut croire puisque, de toute façon, on n'a pas le choix - face au scepticisme national et aux vents contraires.

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Les médailles pleuvent depuis la première, en bronze, de la judokate Shirine Boukli ; les bilans d'Athènes (2004), Londres (2012) et Tokyo (2021) ont été dépassés après le triplé insensé en BMX racing, vendredi, jour où l'Agence nationale du sport annonçait encore 42 médailles potentielles d'ici à la fin des JO. Les lieux de compétition rivalisent de somptuosité dans une atmosphère incandescente. La bonne humeur envahit les rues de la capitale, apaisée et désertée par ses résidents - chacun fera le lien qu'il veut -, et même par ses touristes habituels, remplacés par des estivants olympiques. Les transports fonctionnent, la machine est huilée. Évidemment, il y a des bugs. Évidemment, il reste des mécontents (taxis, commerçants...). Évidemment, tout cela ne durera pas, une fois remballé ce décorum acidulé façon Emily in Paris éclairé des stroboscopes bleutés des gyrophares sur la bande-son des sirènes deux tons.

Des sirènes pour Léon

Mais il se passe quelque chose de puissant dans ce gigantesque parc d'attractions où le lâcher-prise s'accommode avec joie de la très très haute surveillance (30 000 policiers et gendarmes, 10 000 militaires). Il se passe quelque chose de puissant dans la France de Léon Marchand, dont le patronyme remplace désormais les « marchons, marchons » de La Marseillaise. À 22 ans, le nageur toulousain exilé aux États-Unis était la star attendue. Il n'a pas déçu, il s'est bâti une statue. Quatre titres olympiques en six jours ; déjà dans le cénacle des plus grands. Ce qui se passe autour de lui est un condensé d'euphorie. Quand il plonge, le pays retient son souffle. Quand il touche, il s'embrase. Sa remontée fantastique sur 200 mètres papillon a mis en transe la Paris La Défense Arena, à dix minutes à pied de là où des fleurs accrochées à un poteau témoignent de la mort de Nahel ayant mis le feu à la France il y a un an.

On veut le voir, lui chanter Que je t'aime, remis au goût du jour pour ces JO comme beaucoup de standards de la variété française ; et Gala. Aux abords de l'enceinte convertie en piscine, les pancartes pour acheter des billets se bousculent ; « 150 euros max pour Léon », indique l'une d'elles. Devant les écrans géants du Club France ou de la fan zone de l'Hôtel de Ville, l'émotion dégouline une fois l'exultation passée. Certains ont les yeux humides, d'autres sont bouche bée. À l'autre bout de Paris, des policiers suivent la course sur leur téléphone. Puis, fous de joie, font retentir la sirène de leur véhicule. Ici, c'est Paris 2024.

Près de l'Arena Bercy, où la gymnastique attire un public hollywoodien ( Jessica Chastain, Tom Cruise, Natalie Portman...), un gendarme de la garde montée remarque une fi llette fascinée par son cheval et l'invite à caresser l'animal. Son père en profite pour les remercier, lui et ses collègues. « Les forces de l'ordre contribuent vraiment à faire de ces Jeux une fête populaire, justifie-t-il. Elles nous permettent de nous sentir en sécurité tout en sachant s'effacer pour ne pas donner l'impression d'un bunker militarisé. » Deux ans après le fiasco de la finale de la Ligue des champions, qui avait souillé en mondovision l'image de la sécurité made in France, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, voulait de la prestance et de la bienveillance ; les consignes sont suivies. Et cela participe à l'ambiance détendue.

Mal de l'air en tribune

Quand a-t-on déjà vu deux scooters empruntant une voie de bus badiner au feu avec un gendarme ? « Ils sont beaux, les camions », dit un des conducteurs alors qu'un convoi déboule. « Tout nouveau, rien que pour les JO », répond la maréchaussée. Et on se quitte bons amis. Plus loin, de jeunes Français brandissent un carton « free hugs ». Une patrouille passe. Un des membres, tout sourire, s'écarte pour prendre un « manifestant » dans ses bras. Au pied de l'Arc de Triomphe, un policier ose quelques pas de danse avec une Mexicaine chapeautée. Non loin du Club France, un habitant remercie les forces de l'ordre en bas de chez lui. « Ne vous habituez pas trop, on va vite repartir », plaisante un gradé.

On est des vrais Français. On râle avant et on est trop contents une fois qu'on y est

Le vététiste Victor Koretzky

Les uniformes ont la cote. Sur la colline d'Élancourt, les spectateurs de la course hommes de cross-country ont applaudi les volontaires chargés de les guider pour quitter le site. Les bénévoles en vert participent à faire monter la température. Dans le stade de beach-volley au pied de la tour Eiffel, certains démarrent une chenille. Sur le parvis de la Paris La Défense Arena, il est de coutume qu'une haie d'honneur festive raccompagne les spectateurs motivés. À l'intérieur des sites, l'ambiance est survoltée, impulsée par le club offi ciel des ambianceurs mais pas que. La fulgurance du moment est la norme. Le soutien, inconditionnel.

À l'Arena Paris Sud, les frères Lebrun ont transformé le hall consacré au tennis de table en Bernabéu des grands soirs, sous les yeux de Zinédine Zidane. Dans les tribunes, une Hongkongaise semble décontenancée. Les supporters bondissent, frappent des pieds le sol des tribunes jusqu'à les faire vibrer. Regards étonnés à un voisin, qui s'enquiert de son bien-être. « Bien sûr que cette ambiance me plaît beaucoup », répond-elle. Non loin de là, au pavillon 1, les gradins montés à 25 mètres de hauteur autour du terrain de volley tanguent à donner le mal de l'air, une furia savamment entretenue par les codes d'animation exportés des sports US.

Natation

Léon Marchand lors des qualifications du relais 4×100 mètres 4 nages, hier (Crédit : © LTD / UESLEI MARCELINO/REUTERS)

« Les Champs-Élysées » à Roland

Gros son et fans zélés: le champion de BMX freestyle Anthony Jeanjean maîtrise ce genre d'ambiance. Mais mercredi, sous un soleil de plomb au parc urbain de la Concorde, il n'a pas pu l'occulter. Un vacarme. Il s'est laissé griser (chute) puis porter (bronze). Les tribunes en fusion. Le parterre sous brumisateurs. Les coins d'ombre pris d'assaut. Comme au château de Versailles, où l'on pique-nique sous les feuillages entre deux épreuves d'équitation. Au Grand Palais, la température est régulée par la clim mais la finale par équipes du sabre masculin entre la Hongrie et la Corée du Sud a dû être interrompue en raison des manifestations de joie trop bruyantes pendant une finale de Léon Marchand. Un a cappella des Champs-Élysées a aussi retardé un match de tennis sur le central, si décrié pour sa sagesse pendant Roland-Garros.

Trouver des tickets - n'importe lesquels - en scrollant sur la page officielle de revente est devenu une activité sportive. Cette dirigeante d'une maison d'édition s'est étouffée quand son principal collaborateur lui a annoncé à la mi-journée qu'il venait de trouver des places pour du hand et a demandé à filer sur place « alors qu'il n'y connaît rien ». Pour ceux qui n'ont pas le précieux sésame, il y a d'autres options. Le Club France est le cœur battant de la fête avec ses 8000 personnes massées sous la Grande Halle de la Villette et autour. On s'y ambiance en célébrant les médaillés dans la touffeur d'une fête de la bière - pas une promo pour la diversité, néanmoins. Les slams d'Antoine Dupont et des rugbymen en or ont ouvert le bal et donné le ton. Même un jour sans, comme jeudi, les sabreurs bronzés mettent le feu ; Sébastien Patrice a fini en caleçon.

Paris, c'est merveilleux et tout est super propre

Le frère d'une rugby woman américaine

Au Parc des champions du Trocadéro, il y a moins de folie mais autant de sourires. Devant la tour Eiffel, des athlètes de tous les pays paradent avec leur médaille. Kif assuré. « C'est incroyable, souffle la judokate slovène tombeuse de Clarisse Agbégnénou, Andreja Leski. Il y a tant de passion dans l'air. Les gens aiment le sport, ça se voit. » Au pied du podium, Jackson attend que sa sœur Sammy Sullivan, médaillée de bronze en rugby à 7, défile. Il vient d'Alaska et porte une chemise hawaïenne à son effigie. « C'est époustouflant ce mélange de sport et de monuments, s'enthousiasme-t-il. La barre est très haute pour Los Angeles. Paris, c'est merveilleux et tout est super propre. » Pas franchement le qualificatif qui sied à la Ville Lumière en temps normal, mais il faut dire que le nettoyage a été brutal...

Castex n'en revient pas

Tout devient possible, même complimenter le patron de la RATP. Jean Castex n'en a pas cru ses oreilles vendredi quand, fendant la foule station Porte-de-Saint-Cloud après Maroc-États-Unis au Parc des Princes, il s'est vu adresser par des passagers des « bravo pour les transports » et des « merci ». Sous terre, l'amabilité devient la norme. Entre amis ou en famille, on passe en revue les dernières épreuves, on se regroupe pour suivre les directs sur les portables. Trentenaires parisiens, Victoire et Nicolas craignaient « que ce soit le bazar » mais ont reporté leurs vacances au dernier moment car « c'était con de louper ça ». Ils ne le regrettent pas. Artus et Marine, eux, sont « presque tristes » de quitter leur ville après avoir bien profité. Venue de Saint-Étienne, Nathalie, 59 ans, a été scotchée en découvrant les épreuves de triathlon autour du pont Alexandre III. « Dans cette période compliquée, ces Jeux fédérateurs font du bien », apprécie-t-elle.

Cette unanimité a inspiré le Wall Street Journal. « Surprise aux JO : les Français n'ont rien à redire », a affiché en une le quotidien financier américain. Le vététiste argenté Victor Koretzky se marre: « On est des vrais Français. On râle avant et on est trop contents une fois qu'on y est. Paris a quand même une histoire exceptionnelle. L'esprit est très différent [des autres Jeux]. » Pour Mehdi Abdelhedi, propriétaire du Siena, restaurant jouxtant le marché Saint-Honoré où LeBron James et une partie de la Team USA se sont attablés dimanche, les 15 millions de visiteurs attendus ne sont pourtant pas là. Mais son chiffre d'affaires, qui s'était affaissé de moitié avant la cérémonie, a renoué avec son niveau estival. « Les gens sont contents, note-t-il. Ça attire une belle clientèle. »

À 500 mètres de là, la foule se presse contre les grilles du jardin des Tuileries pour avoir la meilleure vue sur la vasque en suspension dans la nuit. Un calme étonnant règne autour de cette flamme qui n'en est pas une. Presque religieux. « Elle est clairement devenue le symbole de ces JO », s'émerveille cette Parisienne venue l'admirer de jour. Anne Hidalgo a écrit à Emmanuel Macron pour demander la pérennisation de « l'édifice ». Il restera quelque chose de Paris 2024.

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Commentaires 7
à écrit le 06/08/2024 à 11:10
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La joie aurait pu être plus complète si les athlètes n'avaient eu quelques déboires évidemment passé sous silence bien sûr par les médias français. A savoir, vols des bagages de zico devant l'hôtel ( ex footballeur brésilien ) pour une valeur de 500...

à écrit le 04/08/2024 à 13:29
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Bravooo ! Une formidable image de notre pays, diffusée dans le monde entier.

à écrit le 04/08/2024 à 12:48
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"Castex n'en revient pas" Eux non plus : Un luxe à la française. L’Américaine Ariana Ramsey, joueuse de rugby à VII médaillée de bronze en début de semaine, a publié une vidéo sur son compte TikTok dans lequel elle se réjouit de la gratuité des...

à écrit le 04/08/2024 à 10:08
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J.O. 2024 ? Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile comment la Chine utilise tous les moyens pour que ses athlètes triomphent au niveau mondial....

à écrit le 04/08/2024 à 8:47
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Heureusement que les médias sont là pour enjoliver la chose et orienter notre façon de penser, car nous ne sommes que "sales et méchants" ! ,-)

à écrit le 04/08/2024 à 8:20
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C'est vrai avec super Dupont (du verbe duper) et Dupont la joie...

à écrit le 04/08/2024 à 7:55
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« Surprise aux JO : les Français n'ont rien à redire » Excellent. On est bon est célèbre dans le monde ! On est bon ! ^^

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