Commerce équitable : les producteurs des pays pauvres ont-ils été oubliés pour les JO de Paris ?

PARIS 2024. Le recours à des produits issus du commerce équitable ne figure pas parmi les critères contraignants de l'approvisionnement alimentaire et textile des jeux, dénonce l'ONG Max Havelaar. Peu de prestataires les ont donc privilégiés. Et ce malgré l'importance croissante dans l'opinion publique de l'enjeu de la rémunération des producteurs.
Giulietta Gamberini
Un ouvrier ramasse des grains de café séchés dans une plantation de la Fédération nationale des producteurs de café à Pueblo Bello, en Colombie.
Un ouvrier ramasse des grains de café séchés dans une plantation de la Fédération nationale des producteurs de café à Pueblo Bello, en Colombie. (Crédits : Reuters)

L'ambition est là. Dès le début de leur préparation, l'« inclusivité » a été l'un des mots d'ordre des Jeux olympiques et paralympiques du Comité d'organisation de Paris 2024. De même, la « responsabilité » a régi le défi logistique de nourrir les 15.000 athlètes, ainsi que les bénévoles, les médias et les spectateurs attendus du monde entier pendant plus d'un mois.

En matière d'alimentation, l'objectif était notamment de servir 13 millions de repas qui soient non seulement à la hauteur de la réputation gastronomique de la France et des exigences nutritionnelles des sportifs, mais aussi « responsables ». Pour en construire une vision partagée et réaliste, lors de la conception des chartes éthiques, il y a quatre ans, le Comité d'organisation a d'ailleurs consulté plus d'une centaine d'ONG.

Plus de local et de végétal

Résultat: dans un document publié en juillet 2022, le comité organisateur s'est engagé « à mobiliser ses prestataires et partenaires pour atteindre les objectifs suivants : 80% de l'approvisionnement global d'Origine France; 80% de l'approvisionnement global (français et importé) labellisé durable; 75% labellisé selon la liste des labels et critères fixés par la Loi Egalim; (...); 100% de produits importés certifiés (issus d'une agriculture biologique, du commerce équitable...) et zéro importation par voie aérienne (...) ».

60% des recettes proposées au grand public, et 50% de celles destinées aux volontaires, aux personnels et aux médias, devront en outre être végétales. Pour le site de la Concorde à Paris, qui accueille les sports urbains, ne seront même servis que des mets végétariens, une première dans l'histoire des Jeux.

Les quantités ont aussi été retravaillées pour réduire les surplus alimentaires, alors que trois associations collecteront les invendus pour les redistribuer aux personnes précaires. Et le restaurant du village olympique à Saint-Denis, proposera, à côté des plats français, de la nourriture halal et de la cuisine du monde.

Moins de carbone, mais quid de la juste rémunération?

Si cela doit permettre de réduire de moitié les émissions de carbone d'un repas des jeux olympiques par rapport à la moyenne française, ainsi que de contenter des goûts et des origines très variés, un trou reste néanmoins dans la raquette, selon l'association Max Havelaar France : le commerce équitable.

Dans les engagements pris, l'utilisation de produits reposant sur ce modèle commercial, dont l'objectif est de garantir aux producteurs une juste rémunération de leur travail, ne figure en effet que sous la forme d'une « option », déplore le directeur général de l'ONG, Blaise Desbordes.

Et les échanges avec les 361 partenaires de l'association, qui mettent sur le marché plus de 5400 produits labellisés Fairtrade/Max Havelaar, laissent penser que cette option a été très peu retenue par les prestataires des jeux. « Le Comité d'organisation, que nous avons sollicité, ne nous dit d'ailleurs pas le contraire », regrette Blaise Desbordes.

Des produits disponibles et connus

« Pourtant, accéder à de bons produits issus du commerce équitable est loin d'être difficile en France », souligne le directeur général. « Les deux grands partenaires alimentaires français des jeux, Sodexo et Carrefour, savent d'ailleurs où les trouver, puisqu'ils en proposent déjà dans leurs offres », constate-t-il.

Quant aux coûts, ils auraient été tout à fait soutenables pour de tels acteurs sur la période des JO, estime Blaise Desbordes. Des villes comme Bordeaux, Marseille, Paris, s'engagent d'ailleurs dans une telle direction de manière permanente. Et lors des Jeux olympiques de Londres 2012, cacao, bananes, café, sucre et thé étaient issus du commerce équitable: des aliments qui ne peuvent pas être produits en France, et dont un approvisionnement équitable aurait donc été d'autant plus responsable.

« Mais les valeurs du commerce équitable n'étaient pas celles qu'on voulait afficher en priorité », analyse, amer, Blaise Desbordes, en pointant du doigt un « enjeu essentiellement communicationnel ».

Des objectifs réalisables et des partenaires imposés

« Nous nous sommes appuyés sur les labels retenus dans le cadre de la loi dite « Egalim » de 2018 » (qui a fixé un objectif -inférieur mais non encore atteint- de 50% d'approvisionnement « de qualité et durable » au 1er Janvier 2022 en restauration collective publique), réplique le chef de projet « Alimentation durable et planification opérationnelle » des jeux Paris 2024, Grégoire Béchu. Parmi ceux-ci figurent en effet les « produits issus du commerce équitable » -qui sont aussi expressément mentionnés parmi les « produits importés certifiés ».

« Le restaurant du Village olympique ne vendra  d'ailleurs que du café labellisé comme équitable. Quant aux bananes, nous avons en revanche choisi de miser sur un approvisionnement à 100% français », ajoute-t-il.

« Nous avons aussi voulu tenir compte de ce qui était réalisable par tous nos prestataires, une vingtaine, dont certains sont des PME ou des entreprises issues de l'économie sociale et solidaire, ainsi que de ce qui était atteignable dans le cadre de notre budget », précise encore Grégoire Béchu.

L'essentiel de l'offre de boissons, en outre, est assurée par un partenaire historique du Comité international olympique lui-même, Coca-Cola, dont la filiale (depuis 2018) Costa Coffee a plutôt misé sur la certification Rainforest Alliance: une ONG américaine qui lutte contre la déforestation et contre le changement climatique, mais aussi, affirme-t-elle, « à la mise en place de perspectives économiques et de meilleures conditions de travail pour les populations rurales ».

« Un enjeu de dignité »

« Les producteurs de pays pauvres, qui participent pourtant aux JO avec de grands athlètes, ont été oubliés », insiste néanmoins l'association Max Haavelar, en prenant en exemple l'Ethiopie et la Colombie pour le café, l'Afrique de l'Ouest et le Pérou pour le cacao, le Paraguay et l'Ile Maurice pour le sucre et le Kenya et le Sri Lanka pour le thé.

« Or, dans de telles filières largement maltraitées, les rémunérer correctement est un enjeu de dignité, et non pas un simple critère technique », s'insurge Blaise Desbordes.

Et bien que pendant toute la crise agricole de cet hiver les agriculteurs aient surtout insisté sur leur besoin de « revenus justes », ce critère a aussi été oublié pour les producteurs français, souligne Max Havelaar, qui regrette:

« Au niveau du symbole, c'est une importante occasion manquée ».

Malgré l'adoption en mars par le Parlement français d'une loi contre visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, le commerce équitable est aussi absent de l'habillement, emblématique, des athlètes et des bénévoles des Jeux olympiques de Paris 2024, dénonce Max Havelaar. « Une fabrication en France a certes été privilégiée, mais cela est loin de concerner les volumes les plus importants de produits textiles aux couleurs de Paris 2024 », dénonce Max Havelaar. Pourtant, depuis la tragédie du Rana Plaza en 2013 (l'effondrement au Bangladesh d'un immeuble hébergeant plusieurs ateliers de couture, qui a causé la mort de  1.100 personnes), la société civile est de plus en plus consciente de la maltraitance sociale, très féminine, que ce secteur pratique, souligne Blaise Desbordes.  Une campagne, Good Clothes, Fair Pay, demandant à l'Union Européenne d'introduire une législation pour assurer des salaires vitaux aux personnes qui fabriquent nos vêtements, vient d'ailleurs d'être signée par plus de 240.000 Européens. « Lors des Jeux, on aurait pu franchir un autre pas dans l'approvisionnement éthique notamment du coton », regrette-t-il.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 25/07/2024 à 7:04
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L'opinion public change mais pas l'oligarchie qui elle ne change jamais, un véritable dogme, d'ailleurs personne ne sait réellement à quoi ils ressemblent actuellement du coup brrrrr... ^^

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