Le spatial français en acquisition de trajectoire grâce à ses deux boosters (CNES et France 2030)

OPINION - Comment le CNES et le plan France 2030 agissent comme un accélérateur pour l'industrie spatiale et plus largement pour l'économie française. Par Vincent Baudoin, ancien conseiller de défense, vice-président de la spacetech Latitude, membre du Comops DGE et du GT Espace AAE et membre de l’ANF.
« 70 entreprises de cinq ans d'âge sont recensées au sein de l'Alliance Newspace France (ANF) et du groupement des industries aéronautiques et spatiales (GIFAS). Elles ont réussi à lever plus de 650 millions d'euros sur la même période en France et 2,2 milliards en Europe ». (Vincent Baudoin, vice-président de Latitude)
« 70 entreprises de cinq ans d'âge sont recensées au sein de l'Alliance Newspace France (ANF) et du groupement des industries aéronautiques et spatiales (GIFAS). Elles ont réussi à lever plus de 650 millions d'euros sur la même période en France et 2,2 milliards en Europe ». (Vincent Baudoin, vice-président de Latitude) (Crédits : Latitude)

Le 9 juillet décollera du Centre spatial guyanais (CSG) à Kourou le nouveau lanceur lourd européen Ariane 6 dans sa version 62 (deux boosters), développé par l'Agence spatiale européenne (ESA), l'architecte du système de lancement. L'ESA travaille avec le maître d'œuvre ArianeGroup pour le développement du lanceur et avec le CNES pour le développement du segment sol. Ce lancement tant attendu et si longuement préparé, permettra-t-il à l'Europe de rattraper son retard sur les lanceurs américains de SpaceX qui utilise des lanceurs réutilisables depuis 2015 et a lancé 20 fois plus qu'Ariane Espace en 2022? Tout reste à démontrer! 

Le «nouveau» CNES en booster principal 

Lors du séminaire Perspectives spatiales à Paris le 28 mars dernier, Philippe Baptiste président du CNES, au cours d'une table ronde avec le directeur général de l'ESA, Josef Aschbacher, a poussé un cri d'alarme : «on va tous crever». Philippe Baptiste connait de près la surpuissance du New Space américain et de SpaceX qui prévoit 144 lancements en 2024 contre 2 pour Ariane 6. Il doit également faire face à l'agressivité de la Chine qui avec ses programmes «Chang-e» est parti à la conquête de la lune et de ses richesses minières.

Il sait que notre industrie ne pivote pas assez rapidement. «Il faut bouger plus vite réduire les coûts, réduire les cycles », martèle-t-il depuis sa nomination en 2021. Fin connaisseur de nos programmes publics il sait également qu'il ne peut seul faire bouger le système et que passer des laboratoires à l'industrie ne se décrète pas. Il lui faut «booster» le secteur avec plus d'entreprenariat, plus de financements et particulièrement en soutenant les initiatives françaises des jeunes pousses et des porteurs de projets qui vont considérablement modifier l'économie du secteur spatial français et européen. 

Il lui faut également vulgariser et expliquer les enjeux spatiaux aux décideurs publics mais également au grand public et convaincre de nouveaux investisseurs: L'espace permet de créer non seulement des emplois hautement qualifiés dans l'industrie spatiale mais fournit de très nombreux services dans la logistique, le transport, l'agriculture, la santé, la finance et les télécommunications. Grâce à l'espace nous comprenons mieux le fonctionnement de notre planète et nous disposons des outils de mesures pour répondre aux grands enjeux climatiques.

60 startup créées

En moins de cinq ans, ce sont plus de 60 startup qui ont été créées dans le Newspace pour répondre à ces besoins en Franceavec parmi celles-ci: Cailabs spécialiste de la photonique et des installations sol à Rennes (90 salariés), Greenerwave qui révolutionne le futur des connectivités et télécommunications (80 salariés à Paris), Exotrail le prochain bus de l'espace, né de la recherche académique sur les micropropulseurs (160 salariés à Massy et Toulouse), Latitude et son lanceur léger qui prévoit 50 lancements par an avec plus de 200 salariés à Reims et Vatry, mais également MaiaSpace, HyPrSpace autres lanceurs légers, Kinéis opérateur de constellation IOT qui vient de réussir la mise en orbite de ses cinq premiers satellites depuis la Nouvelle-Zélande ce 20 juin (70 salariés près de Toulouse), Prométhée Earth Intelligence opérateur de nanosatellites d'observation de la terre (60 employés à Paris), Unseenlabs (70 salariés à Rennes) spécialisé dans la surveillance maritime par radiofréquence, Look up Space et Aldoria qui développent des solutions de sécurisation de l'espace avec plus de 70 collaborateurs, The Exploration company  qui prépare les futures capsules européennes (100 salariés à Bordeaux et Munich) sans oublier des constructeurs de systèmes et motorisations, Miratlas à proximité d'Aix-en-Provence, Agena Space à Bordeaux, Hemeria à Toulouse avec 250 salariés également Comat ,100 salariés et enfin U-Space qui vient d'inaugurer en avril sa nouvelle usine pour produire des plate-formes nano satellites avec 80 salariés également à Toulouse. 

Au total, ce sont plus de 70 entreprises de cinq ans d'âge qui sont recensées au sein de l'Alliance Newspace France (ANF) et du groupement des industries aéronautiques et spatiales (GIFAS). Elles ont réussi à lever plus de 650 millions d'euros sur la même période en France et 2,2 milliards en Europe démontrant leur capacité à grandir à devenir des entreprises à part entière présentes sur des marchés mondiaux. 

Un pivotement vers les startup

Et c'est bien là, la surprise stratégique opérée par le CNES qui effectue un pivotement des grands groupes vers les startups et les entrepreneurs, conscient de ce potentiel de développement économique et industriel à l'échelle France. Il s'agit désormais de passer du défensif à l'offensif en matière de politique économique et industrielle en modifiant les codes et les comportements économiques. Il s'agit de passer de la gestion interne de programme au portage de programme par des entrepreneurs agiles et rapides.

La patience et la confiance dans des programmes qui s'éternisent n'est plus de mise. Désormais le célèbre «Test as you Fly» de la Nasa - comprendre on apprend en déployant les technologies en réel - est érigé en principe pour accélérer les développements. Les financements sont sous condition de réussite et les appels à projet pour susciter une émulation à tous les niveaux technologiques et managériaux, se multiplient poussés par le CNES avec l'aide de Bpifrance et encourageant la prise de risque.  

France 2030, booster de l'investissement et des financements 

Il faut dire que le plan France 2030 tient toutes ses promesses en agissant comme le second booster du spatial. Conçu par un entrepreneur pour les entrepreneurs, Bruno Bonnell et ses équipes Massis Sirapian IGA, déploient plus de 1,5 milliard d'euros d'investissement pour de nouveaux projets, de nouveaux appels d'offres, de nouvelles infrastructures et de nouvelles capacités de production dans le spatial national en étroites relations avec le Direction générale des entreprises (DGE) dirigé par Thomas Courbe qui structure les priorités.

Dans ces conditions, le passage de la startup à la scale-up est accéléré, les projets se bousculent partout sur les territoires qui permettent de mobiliser les énergies et les moyens des acteurs locaux (régions et agglomérations). Quand pour monter un projet d'usine il fallait compter dix ans minimum, par l'effet combiné des appels à projets et de la confiance des établissements bancaires trouvée, il faut désormais un an pour passer de l'idée au projet. Plus encore, cette dynamique mobilise les entrepreneurs en quête de nouveaux espaces et de nouveaux marchés.

Encouragés par Bpifrance et la commission européenne à Bruxelles Thierry Breton, de nouveaux fonds sont constitués: Charles Beigbeder a pu boucler rapidement un premier closing à 100 millions d'euros pour Expansion Ventures consacré au NewSpace. Son objectif est de lever 300 millions pour développer le secteur. Dans une très juste allocution au Salon Vivatech en juin, Nicolas Dufourcq a décrit les financements des deeptechs françaises et les réticences des fonds envers l'industrie. Il a expliqué les modalités d'intervention de Bpifrance depuis dix ans et son souhait de soutenir jusqu'à l'industrialisation ces sociétés fortement consommatrices de capitaux mais qui seront demain des champions industriels. Les experts financiers estiment que 1 euro investi dans le spatial d'aujourd'hui rapportent 12 euros à l'économie nationale. A l'heure ou les modèles économiques sont à l'épreuve des marchés c'est une bonne nouvelle et c'est ce qu'exprime le patron de SpaceX en pointant l'inconnu de la conquête de Mars et ses développements de valeur induits. 

La révolution du Newspace est en marche. Elle permet de passer des laboratoires à l'industrie en un temps record et résulte d'une prise de conscience de nos gouvernants de la nécessité de préparer l'avenir par de nouvelles méthodes et des plans ambitieux. Dans son discours du 16 février 2022 Emmanuel Macron a tracé le chemin d'une nouvelle stratégie spatiale européenne. Il a souhaité que les entreprises françaises participent à la compétition spatiale. L'ESA ne sera plus propriétaire des vaisseaux, mais client des sociétés privées qui seront en capacité de les construire et de les déployer. Les paris les plus risqués sont encouragés mais surtout sont confiés à des acteurs privés qui vont endosser la part du risque lequel ne sera plus assumé par les financements publics. Ces principes et ceux d'une forte émulation avec nos voisins européens ont été réitérés lors des vœux du 19 janvier 2024 à Cherbourg, soulignant une vision partagée sur le long terme pour des résultats à court terme. 

Des boosters auxiliaires en supplément à valider techniquement 

Dans sa version 64, Ariane sera postérieurement dotée de deux boosters supplémentaires que pourraient être une plus grande intégration de la recherche et de l'enseignement dans le spatial et la montée en puissance du spatial de défense en France. 

La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a créé en mai 2023 une mission d'information sur l'avenir de l'industrie spatiale européenne dont les rapporteurs les députés sortants Cécile Rilhac et Aurélien Lopez-Liguori se sont intéressés aux ruptures technologiques qui bousculent les équilibres industriels établis. La présidente du groupe spatial à l'Assemblée nationale précise que le spatial relève aujourd'hui de la commission des affaires culturelles (historiquement lié aux programmes de communication et à leur diffusion) mais qu'il aurait vocation à relever des affaires économiques et industrielles et préconise dans une feuille de route future une plus grande intégration des disciplines de l'enseignement et de la recherche pour doper la filière française.

Les écoles d'ingénieurs, dont environ 1000 élèves rejoignent le secteur spatial chaque année devront adapter leurs programmes avec des enseignements revus. Une filière nouvelle dédiée à la formation professionnelle des techniciens du spatial devrait permettre à de jeunes opérateurs d'accéder à des métiers attractifs et à haute valeur ajoutée qui jusque-là n'étaient pas connus et qui sont nécessaires au développement du NewSpace français. 

L'industrie spatiale est également caractérisée par son caractère dual. Un lanceur et un satellite peuvent aussi bien répondre à des besoins commerciaux en matière d'image ou de transmissions de données qu'à des besoins militaires. Le Commandement de l'espace, créé en 2019 et partie intégrante de l'Armée de l'Air et de l'Espace, doit faire face à une montée de la conflictualité dans l'espace. En clair, nos satellites militaires, mais pas seulement, sont surveillés par des acteurs et font l'objet de manœuvres agressives dans l'espace. Le commandant de l'espace, le général Adam, doit pouvoir disposer des moyens nécessaires pour anticiper ces agressions et les dissuader, le cas échéant protéger nos infrastructures spatiales. L'espace est passé d'un milieu de coopération à un espace de confrontations, nous devons adapter une posture de défense activeet participer à la prévention des conflits dans l'espace.

La France milite à l'organisation des Nations unies pour l'établissement de normes responsables dans l'espace. L'exercice AsterX de portée internationale accueille de nombreux pays observateurs (Japon, Inde). Cet exercice ouvert aux acteurs commerciaux fait la démonstration chaque année des capacités du CDE et de ses expertises reconnues en matière de surveillance spatiale et demain d'interventions spatiales. De nombreuses applications et systèmes devront être mis en œuvre par les acteurs du marché pour répondre à ces nouveaux besoins. 

11 milliards de chiffre d'affaires

En moins de cinq ans le spatial français a été positionné sur une nouvelle trajectoire incluant les acteurs du NewSpace et les acteurs du spatial de défense. Nouvelle trajectoire financière vertueuse également avec le transfert des financements du public aux acteurs du secteur privé.  

Composée de 33.000 salariés au sein de 1.800 sociétés (pour un chiffre d'affaires de 11 milliards d'euros en 2022 chiffres Insee), cette filière est représentative de l'expérience et de l'excellence française. Elle constitue ce que nous appelons la BITS (Base industrielle et technologique spatiale française), membre à part entière de notre BITD Base industrielle et technologique de défense. Elle nécessitera toute l'attention nécessaire pour assurer ses développements ainsi que pour les futurs arbitrages budgétaires. Elle s'est donné pour mission de préserver notre souveraineté nationale et notre autonomie spatiale. Nous ne pourrons revenir en arrière. L'enthousiasme et les choix faits sur le NewSpace avec France 2030 doivent rester au cœur des politiques publiques. C'est de cela que dépend l'avenir de notre industrie spatiale française et européenne.

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Commentaires 2
à écrit le 26/06/2024 à 17:38
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Je souhaiterais savoir : on mise notre avenir spatial sur des levées de fonds via les startups? Vous n'êtes pas sans savoir que beaucoup de sociétés se sont créées uniquement pour profiter de France2030. Un peu marre d'entendre parler du newspace ...

à écrit le 26/06/2024 à 8:23
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Le Test As You Fly de la NASA ne correspond absolument pas à ce qui est décrit ici. Cet article est vraiment absurde par bien des côtés...

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