![La Chronique de François Clémenceau](https://static.latribune.fr/full_width/2342757/francois-clemenceau.jpg)
Ah ! Si l'Europe était fédérale ! Il y aurait, comme aux États-Unis, au Brésil ou en Inde, un chef de l'exécutif élu au suffrage universel. Et peut-être que cet homme ou cette femme, à l'issue de primaires au sein de chacune des grandes familles politiques européennes puis d'un scrutin général, finirait par obtenir l'onction de 360 millions de citoyens européens. Hélas pour les fédéralistes, c'est précisément en l'absence d'un tel système que les pouvoirs actuels au sein de l'Union sont si compliqués et presque opaques. Ainsi demain soir, à Bruxelles, les chefs de l'exécutif des Vingt-Sept se retrouveront pour un dernier débat sur la répartition des top jobs, les grands postes à responsabilité de l'UE, qu'ils auront à valider lors du dernier Conseil européen du semestre, à la fin juin.
Le poste le plus puissant au sein des institutions européennes est celui de président de la Commission. L'usage veut que celui ou celle qui le devient provienne du groupe politique arrivé en tête au Parlement. Par volonté de consensus au plus haut niveau, son nom doit être choisi par une majorité des dirigeants des pays membres à condition que ces derniers représentent plus de 60 % de la population européenne. Puis, en toute logique démocratique, la personne en question est proposée au Parlement européen, qui doit l'adouber à la majorité simple de ses élus. Ce fut le cas pour Ursula von der Leyen il y a cinq ans. Malgré le ralliement des dirigeants sociaux-démocrates à un compromis béni par le centriste Emmanuel Macron à Paris et la conservatrice Angela Merkel à Berlin, Ursula von der Leyen ne dut la ratification de sa désignation qu'à neuf voix de majorité. En ira-t-il de même en cette année 2024 ? La partie n'est pas plus aisée, mais jouable. Il manque une soixantaine de voix que les proches de la présidente espèrent obtenir d'une partie du groupe écologiste et de certaines factions affiliées à la droite populiste, notamment auprès du parti de l'Italienne Giorgia Meloni. Les partisans d'un renouvellement du mandat pour Ursula von der Leyen expliquent que la droite européenne a renforcé ses positions en Europe dimanche dernier, mais qu'il serait bon également, par les temps incertains et dangereux que nous traversons, d'afficher une forme de stabilité et de détermination à poursuivre notre marche en avant. Cela permettrait aussi, malgré la dissolution de l'Assemblée par Emmanuel Macron en France et l'incertitude qui planera jusqu'au 8 juillet sur ses conséquences, de conserver au sommet des institutions à Bruxelles une influence de l'autre pilier européen qu'est l'Allemagne.
Pour ses soutiens, il serait bon, en ces temps incertains, d'afficher une forme de stabilité
La pandémie de Covid-19 puis la guerre d'agression russe en Ukraine et ses conséquences ont littéralement déstabilisé l'Europe. Les électeurs d'Europe de l'Ouest ont-ils fait payer à leurs dirigeants nationaux - et donc européens - l'inconfort et les doutes qu'ils ont connus ces dernières années ? Oui. Mais c'est moins vrai à l'Est. « En Hongrie, en Pologne, en Roumanie comme en Bulgarie ou en Slovaquie, les partis populistes de droite ont reculé ; c'est dans ces pays qu'il y a la plus grande demande de fermeté vis-à-vis de la Russie », explique Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert-Schuman. C'est la raison pour laquelle la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, figure du camp centriste européen, proche d'Emmanuel Macron, devrait être investie HR/VP (haute représentante de l'UE et vice-présidente de la Commission), c'est-à-dire à la tête de la diplomatie européenne, pour succéder au socialiste Josep Borrell. On craignait à Berlin que Kaja Kallas soit trop obsédée par Poutine pour ne pas suffisamment s'impliquer sur les autres grands dossiers des relations extérieures de l'Union. « Mais elle est libérale, pas si radicale vis-à-vis de la Russie, expérimentée et astucieuse », ajoute Jean-Dominique Giuliani à propos de cette dirigeante qui avait fait campagne parallèlement - mais en vain - pour prendre le secrétariat général de l'Otan.
Enfin, à la présidence du Conseil européen, poste de coordination des sommets au plus niveau de l'Union qui doit incarner la stratégie de celle-ci sur le plan international, ce sera un socialiste. Issu de la famille politique ayant obtenu le deuxième meilleur score au Parlement, l'ex-Premier ministre portugais António Costa est favori pour succéder au Belge Charles Michel. Malgré l'épée de Damoclès judiciaire d'une affaire de corruption qu'il nie fermement, il est apprécié de ses pairs pour son expérience et sa capacité au dialogue. Saura-t-il établir, à la différence de son prédécesseur, une relation parfaitement équilibrée avec Ursula von der Leyen, qui souhaite réaffirmer le rôle géopolitique de la Commission ? Ce couple à trois, avec la HR/VP, parviendra-t-il à prouver aux agresseurs et déstabilisateurs russes et chinois que l'Europe maintient son cap de l'autonomie stratégique ? À moins de six mois d'une possible nouvelle victoire de Donald Trump aux États-Unis, l'enjeu est énorme.
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