On achève bien les élections européennes...

Par Philippe Mabille  |   |  740  mots
(Crédits : DR)
SPECIAL EUROPEENNES. À quoi ressemblera l'Europe après le 9 juin ? Avec un Parlement qui penchera plus, voire beaucoup plus à droite, il faudra rechercher de nouveaux équilibres, à Bruxelles, comme dans chaque pays membre de l'UE, pour redonner de la visibilité aux acteurs économiques. Car les défis à surmonter vont demeurer les mêmes, du climat à l'emploi en passant par l'IA. Et pour se réarmer face aux États-Unis et à la Chine, l'Europe ne peut pas se permettre la paralysie politique.

Pendant deux semaines, la rédaction de La Tribune a fait le tour des grands enjeux économiques des élections européennes. Vous retrouverez l'ensemble des articles dans ce dossier spécial que nous publions à trois jours du scrutin.

D'économie, il a été finalement assez peu question pendant cette campagne, qui a été d'une médiocrité confondante. La poussée des partis nationalistes et identitaires occupe tous les esprits et pour la première fois depuis l'élection des députés européens au suffrage universel en 1979, la question de l'existence même de l'Europe a été soulevée.

« Notre Europe peut mourir », a dit Emmanuel Macron, dans une dramatisation des enjeux qui n'est pas si exagérée. Quel sens donner en cette journée du 6 juin de la célébration du 80e anniversaire du Débarquement de Normandie à la perspective de voir entre 20 et 25% des 720 eurodéputés être issus de partis nationalistes, populistes, voire xénophobes ? Combien de députés aura l'ultradroite au Parlement ? Quels pays enverront le plus gros contingent ? Même divisés entre conservateurs à l'italienne et identitaires, les nationalistes vont peser sur les choix européens notamment sur la transition écologique et tenter de saper ses fondements en la poussant à adopter des mesures protectionnistes.

Certes, la « grande coalition » formée entre les trois principaux groupes, le PPE, la droite classique, première force politique, les Sociaux-Démocrates, et les libéraux de Renew dont fait partie Renaissance, devrait rester majoritaire, assurant que les textes européens continuent de passer. Mais la pression sera forte dans tous les pays où les droites extrêmes arriveront en tête, notamment en France où la perspective d'un RN en tête avec le double de voix que le parti présidentiel risque de bouleverser l'échiquier politique.

Quelles leçons politiques tirera Emmanuel Macron de ce 9 juin ? Jeudi soir, jetant toutes ses forces dans la bataille, le chef de l'État a dramatisé l'enjeu politique, affirmant que l'extrême-droite « affaiblira l'Europe » dans sa capacité à affronter les crises, prenant l'exemple des vaccins pendant le Covid, la guerre en Ukraine ou la relance de l'économie par un budget européen.

Le président de la République accélérera-t-il la recomposition politique engagée en 2017 en absorbant dans le parti central ce qu'il reste de la droite républicaine modérée dans un « accord de coalition » avec un Premier ministre issu des LR ? L'hypothèse Larcher ou Barnier agitait beaucoup les esprits en cette fin de campagne, alors que la France, dégradée par Standard & Poor's, va devoir faire des choix difficiles pour reprendre la maîtrise de ses finances publiques. Le rendez-vous budgétaire de l'automne sera très dépendant du résultat du vote de ce dimanche. Et le principal risque, pour le pays, est d'entrer dans une forme d'instabilité politique chronique qui pourrait empoisonner la fin du second quinquennat en paralysant les réformes.

A contrario, d'un mal pourrait peut-être sortir un bien : l'électrochoc du 9 juin pourrait aussi favoriser un sursaut, à la fois pour l'Europe et pour la France. L'accord franco-allemand noué lors du voyage d'Emmanuel Macron à Berlin offre de ce point de vue une lueur d'espoir : et si la nouvelle Commission européenne se mettait enfin à prendre ses responsabilités pour réarmer l'Europe avec un plan d'investissement aussi ambitieux que l'IRA américaine, quitte à prendre quelques libertés avec les Traités ? L'Europe n'a peut-être besoin que de plus de pragmatisme pour convaincre de ses bienfaits. C'est le sens des rapports des deux anciens présidents du Conseil italiens de ce printemps : celui d'Enrico Letta remis en avril (« Much more than a market »), qui propose d'unir les marchés de capitaux européens afin d'éviter le "décrochage" du Vieux Continent face aux États-Unis. Et celui de Mario Draghi, ancien président de la BCE et auteur de la fameuse formule qui a sauvé l'euro (« what ever it takes! »), qui doit proposer à la mi-juin, juste après les élections européennes, de lancer un grand emprunt européen pour financer les investissements dans la transition écologique et l'intelligence artificielle. Si le sujet fâche les pays dits « frugaux », comme les Pays-Bas ou certains ordo-libéraux allemands, il y a dans ces deux orientations une voie de passage pour reprendre l'initiative après le 9 juin.

Philippe Mabille, Directeur de la rédaction