Jupiter au carnaval des ego

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — Selon notre chroniqueur, quoi qu'il arrive, la politique étrangère et de défense de la France ne variera pas.
François Clémenceau
François Clémenceau (Crédits : Reuters)

Qu'il est loin le chef des armées « honorifique » que décrivait Marine Le Pen avec tant d'empressement et d'incohérence dans sa lecture de la Constitution ! Non seulement Emmanuel Macron, élu au suffrage universel contre elle il y a deux ans, reste aux commandes à l'Élysée, mais, cohabitation ou pas, il reste pleinement investi dans cette mission, comme il l'a montré hier soir dans son adresse traditionnelle aux armées. Si sa lettre aux Français, selon laquelle « personne ne l'a emporté » aux élections législatives, témoigne de sa propre analyse du rapport des forces, son commentaire jeudi soir à Washington à l'issue du sommet annuel de l'Otan mérite qu'on s'y attarde.

Car il s'exprime sur le fond, c'est-à-dire sur les différences qui existent dans le domaine de la politique étrangère et de la défense entre les trois blocs constitués à l'Assemblée. « Les Français ont choisi d'exclure les partis extrémistes qui auraient pu défier les engagements de la France envers l'Ukraine ou l'Otan », assure-t-il. Emmanuel Macron a gardé en tête le résultat du vote par la précédente Assemblée sur l'accord de coopération et de sécurité avec l'Ukraine. Les élus RN s'étaient abstenus, tandis que les Insoumis avaient voté contre.

Même si ces deux partis sont sortis renforcés du scrutin dimanche dernier, les députés RN et LFI ne forment pas aujourd'hui à eux seuls une majorité capable de s'opposer à sa politique européenne et à sa volonté de continuer à réarmer la France face aux menaces. Autrement dit, comme le suggère la missive qu'il a envoyée à ses compatriotes, c'est aux élus de droite, du centre et de la gauche de gouvernement de s'entendre pour former une coalition de prise de responsabilités. Et pas question que le président avalise l'envoi au Quai d'Orsay ou aux Armées de ministres dont les lignes seraient incompatibles avec la sienne.

Lire aussiDonald Trump, un parrain à l'Otan

Mais on n'y est toujours pas. À ce stade, rapports de force au sein des partis et en dehors, ego surdimensionnés et petits meurtres entre amis paralysent l'idée même de dialoguer et de transiger pour que le pays soit gouverné en fonction de dénominateurs communs prérequis. Jeudi prochain, cependant, devrait nous en apprendre davantage sur la marge de manœuvre du chef de l'État. Non seulement l'Assemblée nationale votera pour élire son président ou sa présidente, mais au Parlement européen ce sont les députés élus le 9 juin qui valideront ou pas la désignation d'Ursula von der Leyen par les Vingt-Sept pour qu'elle rempile à la tête de la Commission. Là aussi, les forces centristes sont en recul.

Mais grâce au dialogue avec le PPE (droite) et le groupe S&D (sociaux-démocrates), et peut-être avec l'indulgence des élus italiens du parti de Giorgia Meloni et de quelques députés écologistes, la présidente sortante pourrait être à nouveau adoubée. Ce même jour, Emmanuel Macron et ses pairs de la Communauté politique européenne (CPE) se retrouveront au Royaume-Uni. Le président de la République voit dans le nouveau Premier ministre britannique, le travailliste Keir Starmer, un allié de poids dans cette organisation informelle étendue à la grande Europe qui offre la possibilité de bâtir, hors UE et hors Otan, des passerelles entre partenaires, notamment dans le domaine de la sécurité.

Le président ne peut avaliser l'envoi au Quai d'Orsay d'un ministre dont les lignes seraient incompatibles avec les siennes

Une semaine plus tard, le chef de l'État partagera, avec de nombreux homologues invités à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, le projet conçu par l'Agence française de développement consistant à faire du financement des pratiques et des installations sportives un facteur d'accélération de la croissance dans les pays pauvres ou émergents. Profitera-t-il de la présence de très nombreuses délégations à Paris pour se lancer dans un exercice diplomatique sur les crises en cours, au risque que celui-ci soit perçu comme une échappatoire face à un calendrier politique et financier des plus instables sur le plan intérieur ? Idem le 15 août, lors-qu'il commémorera le débarquement de Provence, en présence, notamment, des chefs d'État africains qu'il a invités ? Ce n'est pas la capacité d'Emmanuel Macron à poursuivre sa politique européenne, étrangère et de défense qui est en doute, mais davantage le fait qu'il réussisse à entraîner d'autres partenaires clés dans des projets qui requièrent une force commune, un agenda commun, des finances publiques saines.

Pas évident. L'ancien ambassadeur Michel Duclos, conseiller à l'Institut Montaigne et auteur du tout récent Diplomatie française (Alpha, 2024), rappelle un contexte profondément historique : « La France est un pays de guerre civile depuis les guerres de Religion, mais la Constitution de 1958 a été conçue pour corriger cette tendance fratricide. Elle nécessite cependant un minimum d'esprit de coalition des valeurs qui aujourd'hui n'existe plus. » Selon lui, il faudrait que la nation soit confrontée à un nouveau choc pour qu'elle se retrouve dans un sursaut collectif et pour qu'Emmanuel Macron fasse à nouveau preuve de leadership, en France comme en Europe. La réélection de Donald Trump, par exemple ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.