Le criminel et l’irrationnel

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — En attendant la sentence du juge de Manhattan dans l’affaire « Stormy Daniels », la question se pose de savoir si le condamné Donald Trump peut malgré tout devenir président par la volonté des électeurs, comme si le suffrage valait davantage que la justice.
François Clemenceau
François Clemenceau
François Clemenceau (Crédits : © DR)

« Lock her up ». Pendant la campagne présidentielle américaine de 2016, ce slogan des partisans de Donald Trump était scandé dès que le nom de Hillary Clinton était prononcé par le candidat républicain. « Jetez-la en prison » : à l'époque, Trump estimait que l'ancienne sénatrice et secrétaire d'État démocrate avait violé la loi en rédigeant une partie de sa correspondance par mail depuis un ordinateur personnel et non pas avec celui de son ministère. L'enquête du FBI, diligentée tout au long de l'année 2015 et au début de 2016, avait conclu qu'il n'était pas nécessaire de poursuivre la candidate mais, une semaine avant le scrutin, le directeur de l'agence fédérale annonça qu'il rouvrait l'instruction. Treize jours plus tard, Clinton perdait l'élection.

Lire aussiProcès Donald Trump : dans un verdict historique, l'ex-président américain reconnu coupable

Vendredi, devant la Trump Tower, un militant démocrate tenait une banderole où il était écrit « Lock him up ». Jeter Trump en prison ? Ne serait-ce pas faire de lui un martyr ? Quelques minutes plus tard, l'ex-président qualifiait le juge qui venait de présider son procès pendant six semaines de « tyran » et de « dévoyé ». Il utilisa également par deux fois le mot « fasciste », pour caractériser le gouvernement et ses adversaires démocrates. Le président Joe Biden ? « Le plus incompétent, le plus idiot » de l'histoire américaine, un « Mandchurian candidate », a même ajouté Trump en faisant allusion au film de John Frankenheimer de 1962, qui met en scène un capitaine de l'armée américaine que les Soviétiques retournent pour en faire un agent communiste infiltré jusqu'aux portes du Congrès américain. Serait-ce donc pour l'empêcher, lui, Donald Trump, de gagner la présidentielle en novembre que l'État profond aurait fomenté ce procès au pénal dans l'affaire Stormy Daniels ? Oui, l'ancien président, roi du complotisme, se vit en martyr de la cause, en « sauveur » de la Constitution. Oui, il fera appel le 11 juillet lorsque le juge définira sa sentence, mais il est prêt à aller en prison s'il le faut. Ne vient-il pas de signaler qu'un sondage réalisé juste après sa condamnation lui donnait 6 points de plus ? Publiée par le britannique Daily Mail, cette étude peu crédible, auprès de 403 électeurs américains seulement, accorderait 6 points de popularité supplémentaires à Trump, ce qui ne signifie pas forcément que ce gain se retrouve dans les urnes.

Donald Trump se vit en martyr

Car les autres enquêtes d'opinion effectuées par des organismes bien plus sérieux dans les jours qui ont précédé le verdict racontent une autre histoire. L'institut de sondage de l'université Quinnipiac, une référence, signale que 6 % des électeurs républicains pourraient s'éloigner de Trump en cas de condamnation. Une autre enquête, menée par l'institut Marist pour la radio publique NPR, signale de son côté que 17 % des électeurs, toutes tendances confondues, pourraient modifi er leur vote en fonction du verdict. Parmi les sympathisants de Donald Trump, le sondage précise que 10 % d'entre eux, mais aussi 17 % de ceux qui vivent dans des villes moyennes et 14 % des électeurs blancs sans diplômes, pourraient changer leur vote si Trump était déclaré coupable.

Tout cela n'indique pas si ces chiffres sont identiques dans les États qui feront la différence le 5 novembre, ceux où les scores d'intention de vote sont dans la marge d'erreur de plus ou moins 2 points. Que pensent les électeurs qui ont voté Trump en 2020 en Pennsylvanie, dans le Wisconsin, le Michigan, la Géorgie, le Nevada, l'Arizona ou la Caroline du Nord ? Dans cette poignée d'États, les trumpistes de base, les plus motivés, ne changeront pas d'avis. Pour eux, leur chef est une victime. Mais qu'en est-il pour les sympathisants républicains qui ne sont pas des fanatiques de Trump, et notamment celles et ceux qui ont voté en faveur de Nikki Haley, l'adversaire de l'ancien président pendant les primaires. « Les électeurs de la droite modérée ne sont pas du genre à voter pour un criminel condamné », confiait vendredi la sondeuse républicaine Sarah Longwell à la chaîne ABC.

Il n'y a rien d'étonnant à ce que Donald Trump ait invité ses partisans à désavouer la justice populaire et le système judiciaire « corrompu » qui l'a condamné en votant massivement pour lui le 5 novembre prochain. Mais il est plus intrigant que le camp Biden ait choisi presque la même approche en indiquant, après cette décision de justice historique, que le meilleur moyen d'écarter définitivement Trump du pouvoir était de voter contre lui. Bien entendu, c'est une façon de ne pas instrumentaliser la justice à des fins politiques. Mais c'est un comble qu'au pays du droit par excellence, une démocratie fondée sur l'absolue séparation des pouvoirs, la décision mûrement réfléchie d'un jury populaire désigné par la défense et l'accusation soit si peu prise en compte. Il est vrai que le premier amendement de la Constitution sacre la liberté d'expression et que celle-ci permet à un candidat condamné de continuer à faire campagne, et même d'être élu. Verdict - si tant est que le terme soit donc adapté - le 5 novembre !

François Clemenceau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 02/06/2024 à 20:42
Signaler
L'hystérie des trumpistes renvoie à quelque chose de bien connu en France, à savoir la droite contre-révolutionnaire se radicalisant au fur et à mesure que son emprise sur la population lui glissait entre les doigts...

à écrit le 02/06/2024 à 8:57
Signaler
"comme si le suffrage valait davantage que la justice" Ben c'est pas comme ça que ça se passe !? Combien de dirigeants français mis en examen ? Madame Van Leyen ! Hé les gars c'est votre système adoré hein faudrait savoir ! "Le moins pire des systèm...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.