Au Village de l'eau, organisé entre le 16 et le 21 juillet à Melle, dans les Deux-Sèvres, les conférences et les ateliers militants ont défilé toute la semaine dans une vallée verdoyante occupée par quatre grands chapiteaux. Dans l'un d'eux, des prises de parole sur des sujets internationalistes se succèdent.
« Je veux bien deux boîtiers de retransmission. Pour le français c'est le canal 5 ? », demande une visiteuse. « Oui c'est bien ça, lui répond une bénévole. « Ici, on se croirait à l'ONU », se réjouit Julien Le Guet, porte-parole du mouvement Bassines Non Merci (BNM) depuis la tente où il intervient à une table-ronde, et où les interprètes traduisent les discours anticapitalistes en anglais, espagnol, italien et allemand. Dans les airs, un drone des forces de l'ordre parasite les échanges et surveille le site.
« Mégacantine » et « bambinerie »
La programmation est aussi orientée que pléthorique. Les nombreux services et animations proposés par l'organisation surprennent : librairie militante, « bambinerie », service juridique, espaces musicaux animent le site où les commodités sont assurées par plusieurs campings, des toilettes sèches, une « mégacantine »... Même la presse dispose d'un espace dédié. Sur place, jeudi, entre 4.000 et 7.000 personnes étaient présentes selon les organisateurs. Les deux collectifs à l'initiative du rassemblement, BNM et les Soulèvements de la Terre, semblent avoir réussi leur coup : la semaine s'est jusqu'ici déroulée sans accroc.
« On essaye de faire en sorte que tout le monde puisse avoir sa place au village. Il faut que les gens qui n'ont pas envie de manifester puissent participer autrement », explique Léna Lazare, une des porte-parole des Soulèvements de la Terre.
[Une vaste logistique a été organisée depuis plusieurs mois pour monter le site. Crédits : MG / La Tribune]
Appuyés par 120 entités, les organisateurs ont déployé une logistique impressionnante et quasi-professionnelle pour accueillir au mieux. « Il y a quinze ans, nous n'étions que 200 aux plus grosses manifestations », rappelle pourtant Julien Le Guet, tandis que l'hélicoptère de gendarmerie fait des cercles et délivre un message : « Les manifestations des 19 et 20 juillet sont interdites. »
Les collectifs ont décidé cette année d'organiser ce Village de l'eau en amont des « manif'actions » prévues vendredi et samedi pour assurer également un « temps long » : « Ici, on fait réseau, on réfléchit, on construit l'avenir », résume Julien Le Guet. Ils tentent aussi de polir leur image après les violents affrontements avec la police de mars 2023 dans les Deux-Sèvres : « On ne veut pas reproduire la situation de l'année dernière à Sainte-Soline », assure Léna Lazare.
Familles et désobéissance civile
Sur les terrains mis à disposition par la mairie écologiste, un public de tous âges fourmille en effet : des familles et des groupes d'amis ou même des associations, certaines spécialisées sur l'environnement, d'autres opposées à des projets d'infrastructures comme l'autoroute A69 ou la LGV Bordeaux-Toulouse. Mais l'ambiance festive qui se dégage n'occulte pas les actions et les affrontements à venir.
À l'entrée, les gendarmes fouillent tout le monde et confisquent tous types d'objets, jusqu'aux sardines de toiles de tente. Sous un chapiteau du village, une présentation des armes policières expose les différents types de grenades et comment s'en protéger, tandis que sous un barnum confidentiel, les participants forment des groupes affinitaires selon le mode d'action qu'ils envisagent. Une « désobéissance civile » revendiquée par les organisateurs dès lors qu'elle se limite aux « blocages, désarmements, occupations » et sans violences aux personnes, rappelle Léna Lazare. Mais qui inquiète certains élus, y compris les rangs écologistes : Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, dénonce par exemple cette « ambiguïté », en appelant à « se désolidariser de toute forme de violence ».
Pour les anti-bassines, les différents modes de contestation ne s'excluent pas les uns les autres. « Ce qui fait notre force c'est la diversité des sensibilités et des moyens d'action », pense Gabriele Latour, membre de BNM dans le Puy-de-Dôme. « Tout le monde n'a pas les mêmes pratiques, mais la désobéissance civile peut aussi être populaire », défend Léna Lazare. Avec des luttes qui s'agrègent sans limite : sur une banderole, une loutre porte un drapeau palestinien.
[Quelques dizaines d'associations ont tenu un stand. Crédits : MG / La Tribune]
Du Poitou-Charentes au Berry
Tout en prônant l'action frontale, les collectifs veulent néanmoins généraliser leur lutte en dehors des lieux directement concernés et des franges les plus radicales. « Il faut élargir, ces questions doivent aller au-delà des cercles militants, dans tous les territoires », agite Gabriele Latour. Et cela marche: « La question de l'accaparement de l'eau parle et ressemble », constate-t-elle. « Les Français se sentent concernés par le futur de l'agriculture française », observe aussi Léna Lazare.
Ainsi, si le Poitou-Charentes concentre la plupart des projets de réserves (avec 93 infrastructures en projet), le sujet du partage de l'eau est devenu national. Il s'étend par exemple au Berry, où les agriculteurs commencent à construire de plus petites retenues que dans les Deux-Sèvres, sur moins de trois hectares. Cela leur évite de devoir réaliser des études d'impact, et leur permet de faire sortir leurs projets de terre bien plus rapidement. Or, « les habitants et les élus s'offusquent de ce manque de démocratie », raconte Fanny, membre de BNM dans cette province. « Il y a trois ans, on devait être 15 dans le collectif. Mais récemment, lors d'une mobilisation sur la construction d'une bassine dans un petit village, on a eu 350 personnes. La première revendication c'était d'avoir des informations sur le chantier, parce que les gens n'étaient au courant de rien », ajoute-t-elle.
Formations et solidarité
Pour contrer les images de violences qui ont tourné en boucle au printemps 2023, et qui collent durablement à l'image du mouvement en freinant certains à le rejoindre, les collectifs intensifient d'ailleurs toute l'année des actions touchant l'ensemble de la population: réunions publiques, projections, même performances artistiques. Et à côté, ils mènent, de plus en plus professionnellement, un colossal « travail invisible ». C'est notamment le cas de recours juridiques contre les projets de plus en plus nombreux, variés et techniques.
« Nous formons nos bénévoles afin de les faire monter en compétence. Mais pour nous 'empuissanter', nous recourons aussi de plus en plus à la solidarité entre collectifs, en mettant en place des outils communs et en mutualisant nos expertises », explique Gabriele Latour.
La démocratisation et la diversité des positions interne, qui n'est pas sans évoquer les différences de visions du Nouveau Front Populaire, ne risque-t-elle pas toutefois de fissurer le mouvement ? « Elle demande beaucoup de communication et de tolérance, car aujourd'hui, ne pas se diviser est fondamental », reconnaît humblement Gabriele Latour.
Sujets les + commentés