![La gaz représente plus de 80% des coûts de production de l'ammoniac, ingrédient principal des engrais.](https://static.latribune.fr/full_width/2381854/uree.jpg)
Les céréales oui, les engrais non. C'est ce qu'ont décidé jeudi les Etats membres de l'UE, qui, afin de davantage assécher les revenus de Moscou, se sont finalement accordés pour imposer des droits de douane « prohibitifs » sur les importations de produits agricoles russes. Afin de préserver la sécurité alimentaire mondiale, la nourriture et ce qui contribue à sa production étaient en effet jusqu'à présent exemptés tant des sanctions, que des droits de douane imposés par l'Union européenne à la Russie. Les Vingt-Sept mettront un terme à cet état de fait dès le 1er juillet.
Les engrais restent toutefois exemptés de cette nouvelle restriction, alors que, en 2020, selon la Banque mondiale, citée par le département de l'Agriculture des États-Unis, la Russie assurait 16% du commerce mondial d'urée, l'engrais azoté le plus consommé. Grâce aussi à la hausse des cours mondiaux des engrais, en 2022, le prix déboursé par l'UE pour les engrais azotés russes a dépassé le sommet de 1,4 milliard d'euros. La France les a pour sa part payés plus de 199 millions d'euros en 2022 et plus de 109 millions en 2023.
Une faille dans la « souveraineté alimentaire »
Pourtant, les producteurs européens -mais aussi américains- de ces intrants agricoles essentiels dénoncent de plus en plus publiquement une forme de détournement des exportations de gaz russe. Puisque le gaz représente plus de 80% des coûts de production de l'ingrédient principal des engrais azotés, l'ammoniac, les exportations russes d'engrais azotés remplaceraient de facto celles de gaz. Par ce biais, la Russie renforcerait ainsi non seulement ses moyens financiers, utilisés aussi dans la guerre en Ukraine, mais aussi son « arme alimentaire ».
Au moment même où l'Assemblée nationale, dans le cadre de l'approbation du projet de loi agricole, consacre dans la législation la notion de « souveraineté alimentaire », le débat prend aussi une tournure stratégique : l'alimentation française peut-elle dépendre de facteurs de production venant de l'étranger, et encore pire d'un fournisseur peu fiable comme la Russie ? Et que pourrait-il se passer si la Russie décidait à l'improviste de réserver son azote pour sa propre production de céréales, dont elle essaie d'inonder le monde ?
Même Emmanuel Macron s'est saisi du sujet.
« (...) Cette ère où l'Europe achetait son énergie et ses engrais à la Russie (...) est révolue », a glissé le président de la République le 25 avril, lors de son discours sur l'Europe à la Sorbonne.
Lire: La souveraineté alimentaire, une notion politique dont la définition fait débat
Les importations françaises en forte hausse
Les données publiées par la Commission européenne montrent en effet que, entre 2019 et 2023, à la différence de l'ensemble des importations européennes de biens en provenance de Russie, en baisse, celles d'engrais azotés russes ont légèrement augmenté, en passant de 2,25 à 2,33 millions de tonnes. En raison d'une augmentation globale des importations européennes d'engrais azotés, la dépendance de l'origine russe a néanmoins un peu baissé, de 30% à 23%.
En France, cette hausse des importations d'engrais azotés russes est encore plus marquée : entre 2019 et 2023, elles ont été multipliées par plus de six, en passant de quelque 70.700 tonnes à plus de 443.500 tonnes annuelles. De surcroît, la part de l'origine russe dans l'ensemble des importations françaises d'engrais azotés de pays hors UE a aussi flambé, en grimpant de 4,4% à 21%. Or, entre 2016 et 2019, les importations d'engrais azotés en provenance directe de Russie avaient au contraire été divisées par presque dix, et leur part dans l'ensemble des importations de pays tiers par plus de cinq, montrent les données de la Commission européenne.
La compétitivité des engrais européens en berne
A l'origine de ce phénomène, selon les producteurs européens, une distorsion de la concurrence. Depuis 2020, sur le Vieux Continent, l'industrie européenne des engrais azotés a en effet été pénalisée par la hausse vertigineuse des prix du gaz, qui constitue tant la principale matière première que la principale ressource énergétique dans leur fabrication, et pèse pour plus de 80% des coûts de production de leur principal ingrédient, l'ammoniac. Face à la concurrence notamment de l'urée russe, produite à partir de gaz moins cher, des usines européennes ont même dû fermer.
En France, l'urée russe a en outre partiellement substitué un autre engrais, l'ammonitrate, spécialité de l'industrie européenne et normalement préféré par les agriculteurs français. Moins efficace, l'urée doit être utilisée en quantités supérieures. Cela pourrait contribuer à expliquer la hausse spectaculaire des volumes des importations françaises, analyse le géant européen des engrais Yara.
Lire: Agriculture : les prix du gaz pénalisent les engrais les moins polluants
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