Loi agricole : les ONG et une partie des agriculteurs tirent à boulets rouges sur le projet du gouvernement

Le projet de loi d'orientation agricole, amendé par la Commission affaires économiques de l'Assemblée nationale, doit désormais être discuté à l'hémicycle. Toutes ses dispositions font l'objet d'importantes critiques.
Giulietta Gamberini
(Crédits : Reuters)

Le rendez-vous était attendu depuis longtemps. Ce soir, après la fin des discussions sur le projet de révision constitutionnelle concernant la Nouvelle-Calédonie, l'Assemblée nationale devait commencer son examen en hémicycle du « projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture », dans sa version adoptée le 4 mai par la Commission des affaires économiques.

Son histoire remonte au 9 septembre 2022 lorsqu'Emmanuel Macron, en visite à une fête agricole dans le Loiret, avait promis « un pacte et une loi d'orientation et d'avenir agricoles » (PLOAA), dont l'objectif affiché était de répondre aux défis du renouvellement des générations d'agriculteurs et de leur résilience face au changement climatique. Depuis, il ne cesse d'alimenter les déceptions, des oppositions et des organisations de défense de l'environnement notamment, mais aussi d'une partie des agriculteurs.

Un premier texte inférieur aux promesses

Une première version officielle du projet de loi, dévoilée un an et un trimestre plus tard, le 15 décembre 2023, par le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau -dans le cadre d'un « pacte » plus large complétant les dispositions législatives par de nombreux dispositifs encore non arbitrés- se révélait déjà inférieur aux promesses, ainsi qu'aux textes qui avaient jusqu'à alors filtré dans la presse. Il ne se concentrait que sur l'enseignement agricole et sur l'installation et la transmission des exploitations.

Lire: Agriculture : ce qu'il faut retenir du pacte d'orientation présenté par le gouvernement

Critiqué à ce titre par les agriculteurs en colère lors de leurs manifestations en janvier et février, il avait donc été mis en attente, afin d'y ajouter deux chapitres prônés par les syndicats agricoles majoritaires : un sur la « souveraineté alimentaire » et un sur la « simplification » des normes et des contraintes environnementales pesant sur les agriculteurs. Il a finalement été présenté en Conseil des ministres le 3 avril 2024.

Pour commencer, une motion de rejet

Depuis, la Commission des affaires économiques s'est retrouvée à examiner plus de 2.250 amendements, pour en adopter finalement 183. Le résultat est néanmoins jugé par les oppositions, les ONG et les syndicats agricoles minoritaires, toujours très décevant. Quelque 4500 amendements devront encore être examinés par l'Assemblée nationale. « C'est un texte qui, à part quelques retours en arrière inquiétants en matière environnementale, ne contient rien d'utile pour les agriculteurs », résume Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Ecologiste à l'Assemblée nationale -lequel a d'ailleurs décidé de déposer dès le début des discussions une motion de rejet (qui probablement ne passera pas).

« C'est un projet de loi à contre-sens de l'histoire qui, en renforçant le modèle agricole industriel, ne fera qu'aggraver les problèmes actuels », explique le sénateur écologiste Daniel Salmon.

Alors que la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs soutiennent fondamentalement le projet de loi, les syndicats agricoles minoritaires, cités par l'AFP, ne s'y retrouvent pas non plus : la Confédération paysanne appelle à le « modifier en profondeur », et la Coordination rurale estime que « le compte n'y est pas » face à l'ampleur de la crise.

Une approche « creuse »

Les critiques concernent toutes les dispositions du projet de loi, à commencer par l'article premier qui -comme le demandait la FNSEA- consacre « la protection, la valorisation et le développement de l'agriculture et de la pêche » au rang d'« intérêt général majeur », puisqu'elles « garantissent la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation ». Le gouvernement espère par cette proposition pondérer le poids d'un autre « intérêt général majeur », l'environnement, dans les décisions de politique publique ou des juges administratifs, afin de « reprioriser l'agriculture », a expliqué le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Mais alors que des ONG s'en inquiètent, des élus et des juristes doutent de ses effets juridiques réels.

Lire: Une agriculture d'« intérêt général majeur » : quel impact sur l'environnement ?

Au contraire, la notion de « souveraineté alimentaire », que les politiques publiques devraient désormais concourir à protéger, fait l'objet d'un intense débat politique, opposant des visions très différentes de l'agriculture et de son rôle social et économique.

Lire: La souveraineté alimentaire, une notion politique dont la définition fait débat

Quant à l'objectif du renouvellement des générations, l'absence du texte de sujets clés tels que le foncier agricole ou la rémunération des agriculteurs rend l'approche « creuse », dénoncent les écologistes. L'instauration d'un guichet unique pour les prétendants à l'installation ou à la transmission d'exploitations est notamment critiquée en ce qu'il sera géré par les chambres d'agriculture, aujourd'hui contrôlées par les syndicats majoritaires. Cela favoriserait les projets s'inspirant d'un modèle agricole intensif, explique le député européen des Verts Benoît Biteau.

« Des atteintes dangereuses à l'environnement »,

Autre mesure largement critiquée : la création de « groupements fonciers agricoles d'investissement » (GFAI), destinés à lever de l'argent public ou privés pour l'achat de terres louées ensuite à de nouveaux agriculteurs en manque de moyens financiers. Inquiètes d'une « financiarisation » de l'agriculture, une coalition d'oppositions a obtenu sa suppression en commission. Le gouvernement tentera toutefois de la rétablir dans l'hémicycle en ajoutant des garde-fous, tels qu'une limitation de la taille de l'exploitation pouvant appartenir à un même groupement financier. Selon le mouvement citoyen Terre de Liens, les « GFA épargnants » que l'exécutif veut désormais introduire créeraient toutefois un danger similaire.

« La loi d'orientation d'agricole risque d'aggraver une tendance qui dessine une agriculture sans agriculteurs... Dommage, pour une loi dédiée au renouvellement des générations », regrette l'association.

Enfin, les dispositions censées « simplifier » la vie des agriculteurs constituent « des atteintes dangereuses à l'environnement », déplorent les députés écologistes. C'est le cas de la disposition visant à adoucir la répression de certaines atteintes environnementales, en requalifiant des sanctions pénales en sanctions administratives. Le gouvernement a renoncé à son intention initiale de renvoyer à cette fin à une ordonnance, et accepté d'inscrire noir sur blanc les adoucissements qu'il entend opérer. Mais les risques de clientélisme liés à un renforcement des pouvoirs de l'administration persiste, estime la députée écologiste Lisa Belluco.

Les mesures visant à accélérer les contentieux en cas de recours contre des projets de stockage d'eau ou de construction de bâtiments d'élevage, en dépit des alertes du Conseil d'Etat sur des « risques de constitutionnalité », inquiète les organisations environnementales.

« Accélérer les contentieux juridiques est une stratégie qui prive les citoyens et citoyennes de leur droit de recours et de leur capacité à participer à l'évolution de leur territoire en matière d'agriculture et d'alimentation », dénonce Greenpeace, qui alerte en même temps sur la publication ce week-end d'un décret réduisant le délai pour déposer un recours contre ce type de projets.

Lire: Méga-bassines : pourquoi de nombreux projets « autorisés » sont toujours bloqués

Un texte à compléter

L'examen du texte par l'Assemblée nationale est programmé jusqu'au 22 mai. Ensuite, ce sera le Sénat qui prendra la main: en commission les 12 et 13 juin et en séance à partir du 24 juin.

Le gouvernement compte le compléter par des mesures législatives sur la protection du revenu agricole attendues vers l'été à l'issue d'une mission parlementaire, par un texte de loi séparé présenté probablement en juillet la baisse de l'usage des pesticides, ainsi que par des mesures financières ou fiscales renvoyées à l'examen du budget à l'automne.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 14/05/2024 à 20:32
Signaler
Trop de lobbys, on ne peut pas avancer, ils sont devenus trop lourds à porter.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.