![Christine Lagarde a annoncé une première baisse de 0,25 point de pourcentage des taux directeurs ce jeudi.](https://static.latribune.fr/full_width/2385795/christine-lagarde.jpg)
[Article publié le jeudi 6 juin à 14h23, mis à jour à 15h46]C'est acté. Après avoir monté ses taux de manière fulgurante entre 2022 et 2023 puis les avoir maintenus entre 4% et 4,75% depuis septembre - au plus haut depuis la création de l'euro - la Banque centrale européenne a enfin effectué une première baisse de 0,25 point de pourcentage ce jeudi. Ainsi, le taux de dépôt passe à 3,75% tandis que le taux de refinancement et le taux de facilité de prêt marginal s'établissent respectivement à 4,25% et 4,5%.
« Sur la base d'une évaluation actualisée des perspectives d'inflation, de la dynamique de l'inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire, il convient désormais de modérer le degré de restriction de la politique monétaire après neuf mois de maintien des taux stables », a affirmé la présidente de l'institution Christine Lagarde, ce jeudi.
La hausse des prix, que la BCE veut à tout prix voir retourner à 2%, s'est établie à 2,6% sur un an en mai, en forte baisse par rapport à son record de 10,6% atteint en octobre 2022.
Cette baisse des taux devrait logiquement bénéficier aux entreprises et particuliers emprunteurs puisque les taux obligataires - et par ricochet les taux de crédits auprès des banques - sont directement influencés par ceux de la Banque centrale européenne. Mais dans les faits, cette première petite baisse a « déjà été largement intégrée dans les cours des obligations et des actions » affirme Alexandre Baradez, responsable des analyses de marchés chez IG France. Le taux d'emprunt à 10 ans de la France n'a en effet quasiment pas réagi à l'annonce en augmentant de 0,06% vers 15h00, tandis que le CAC 40 a affiché une hausse de 0,21% quand l'indice européen Eurostoxx 50 a légèrement grimpé de 0,40%.
Et pour cause, cela fait déjà plusieurs mois que la gardienne de la monnaie prépare le terrain. Il existe de « solides arguments en faveur d'une réduction des taux en juin », avait ainsi déclaré fin mai à l'AFP le gouverneur de la Banque de Finlande Olli Rehn. Surtout, le compte rendu d'une réunion de la BCE parue le 10 mai affirmait qu'« il a été considéré comme plausible que le Conseil des gouverneurs », l'instance qui décide du cap de la politique monétaire, « soit en mesure de commencer à assouplir » ses taux actuellement à leur plus haut « lors de la réunion de juin ».
Fragilité de la zone euro
La présidente, Christine Lagarde, a elle-même changé de discours ces derniers mois. Alors qu'elle estimait encore, lors de sa conférence de début mars, que « nous progressons bien vers notre objectif d'inflation », mais « nous ne sommes pas suffisamment confiants » quant au fait d'atteindre la cible à terme, elle a reconnu le 20 mars que « nous ne pouvons pas attendre de disposer de toutes les informations pertinentes ». « En agissant ainsi, nous risquerions d'ajuster notre politique trop tardivement », a-t-elle ajouté.
Début mars, alors que l'institution de Francfort a abaissé ses prévisions d'inflation à 2,3% en 2024 en zone euro, contre 2,7% anticipés auparavant, puis de 2,0% en 2025, elle a aussi dégradé ses perspectives de croissance. Ainsi, le produit intérieur brut (PIB) en zone euro devrait, selon la banque centrale, augmenter de 0,6% en 2024, contre 0,8% prévu en décembre. A titre de comparaison, la croissance américaine devrait se maintenir à 2,1% en 2024 selon la Réserve fédérale américaine. « L'économie demeure fragile », avait ainsi noté Christine Lagarde lors de la réunion d'avril.
Une baisse qui devrait se faire lentement
L'institution de Francfort a donc mis la première pierre à sa stratégie d'assouplissement de la politique monétaire, « mais ça ne veut pas dire que l'on entre dans un cycle de baisse », prévient Alexandre Baradez. « Nous maintiendrons des taux directeurs suffisamment restrictifs aussi longtemps que nécessaire pour atteindre cet objectif (de 2%, NDLR) », a, en effet, affirmé la présidente de la BCE, précisant que « le Conseil des gouverneurs ne s'engage pas au préalable sur une trajectoire de taux particulière. »
Un consensus entre les banquiers « colombes », partisans d'un cap monétaire souple, et les « faucons » adepte de l'orthodoxie monétaire sera difficile à trouver ces prochains mois. « Cela ne veut pas dire qu'à la réunion suivante il y aura une autre baisse des taux », avait d'ailleurs déjà prévenu, fin mars le « faucon » Joachim Nagel, président de la Banque centrale allemande. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a plaidé quant à lui pour « un maximum d'optionnalité », la BCE devant garder sa « liberté sur le timing et le rythme ».
Au cœur des futurs choix de l'institution : encore et toujours l'inflation. « Malgré les progrès réalisés au cours des derniers trimestres, les pressions sur les prix intérieurs restent fortes, la croissance des salaires étant élevée, et l'inflation devrait rester supérieure à l'objectif jusqu'à l'année prochaine », a mis en garde Christine Lagarde, ce jeudi, précisant que « les prochains mois continueront d'être mouvementés »
En effet, concernant l'inflation de mai, les analystes interrogés par Factset et Bloomberg tablaient sur une accélération moindre à 2,5% en mai, après 2,4% en avril. De plus, la croissance des salaires négociés a rebondi à 4,7 % en glissement annuel au premier trimestre, après 4,5% au dernier trimestre de 2023, en raison notamment de paiements de primes ponctuelles. « Nous pensons que le taux d'augmentation des salaires restera élevé mais nous voyons tout de même un déclin de cette augmentation », a commenté Christine Lagarde ce jeudi. Reste que « les "faucons" souligneront la forte croissance continue des salaires qui devrait appeler à la prudence » sur les taux, expliquait à l'AFP le 3 juin, Dirk Schumacher, économiste chez Natixis.
Dans ce contexte, la BCE pourrait « ne réduire ses taux qu'une fois par trimestre pour ramener le taux de dépôt à 3,25 % fin 2024 », prévoit Holger Schmieding, chez Berenberg. « Nous aurons sûrement une deuxième baisse, au mieux en septembre, et si l'inflation continue de baisser, nous en aurons éventuellement une autre en décembre », anticipe de son côté Alexandre Baradez. Ce dernier prévient que la baisse entamée ne pourra de toute façon pas se faire trop rapidement étant donné que la Réserve fédérale américaine n'a pas encore entamé de baisse de ses taux « et que les taux obligataires et l'euro réagissent beaucoup aux annonces de la Fed et pourraient mal réagir en cas d'écart fort. » La Fed pourrait d'ailleurs n'assouplir son cap monétaire que vers la fin de l'année, face à une inflation résiliente. En effet, si elle est restée stable en avril aux Etats-Unis, il en faudra plus à la Fed pour commencer à baisser ses taux.
L'euro en légère hausse face au dollar après la BCE L'euro évoluait en petite hausse ce jeudi face au dollar. Vers 14H00 GMT (16H00 à Paris), l'euro gagnait ainsi 0,17% face au billet vert, à 1,0887 dollar pour un euro. Une réaction mesurée compte tenu de l'annonce par la Banque centrale européenne (BCE) d'une baisse de ses taux de 0,25 point de pourcentage mais qui s'explique par le discours prudent de la présidente de la BCE indiquant que cette dernière devrait faire preuve de prudence en matière de politique monétaire.