Après la dissolution, Berlin et Rome retiennent leur souffle

La dissolution décidée par Emmanuel Macron et l’arrivée possible du Rassemblement national aux affaires en France pourraient compliquer les relations bilatérales et l’équation européenne.
Emmanuel Macron et Giorgia Meloni
Emmanuel Macron et Giorgia Meloni (Crédits : © LTD / LUCA BRUNO/AP/SIPA)

Berlin à tâtons

« Nous ne savons vraiment plus ce qui pourrait aider. » La petite phrase, glissée dans un SMS par un proche collaborateur du chancelier Olaf Scholz, résume toute l'incompréhension et l'impuissance des dirigeants allemands face à la situation politique française. L'absence de bons connaisseurs de la France au sein de la coalition éclate au grand jour. Comme un lapin pris dans les phares, Berlin n'arrive toujours pas à sortir de l'état de sidération qui a suivi l'annonce de la dissolution.

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Au bureau parisien de la Fondation Konrad-Adenauer, proche de la CDU, « les téléphones ne cessent de sonner », raconte la chercheuse Nele Wissmann, assaillie par les députés allemands conservateurs déroutés. « Il y a beaucoup d'inquiétude et on a beaucoup de mal à comprendre pourquoi... Pourquoi cette stratégie du président français ? » Macron l'Européen, si lyrique sur le projet commun il y a encore quelques semaines à Dresde, qui pirate les européennes sur un coup de tête ? « C'est complètement surréaliste, dit un député. Tout le monde se demande quelles vont être les conséquences de l'arrivée d'un gouvernement RN. » « Il serait temps de s'y intéresser ! » pointe Stefan Seidendorf, directeur adjoint de l'Institut franco-allemand (DFI). Son think tank, comme beaucoup d'autres cercles d'experts, alerte depuis des années sur la nécessité de travailler sur cette hypothèse, sans succès.

Risque de paralysie

La politique de l'autruche ? « Par principe, les personnalités politiques allemandes refusent de parler avec le RN, même au niveau local », tente d'expliquer l'ancien député Renaissance de Moselle Christophe Arend, qui a aussi travaillé pour le gouvernement régional de Sarre. La société civile - associations, syndicats... - commençait tout juste à se poser des questions quand l'histoire s'est accélérée le 9 juin. « On pensait avoir trois ans, on a trois semaines », soupire un acteur du tandem franco-allemand. Pour Stefan Seidendorf du DFI, « à Berlin, on est obnubilé par les problèmes allemands et on n'a pas le temps, l'énergie ou même l'envie de s'occuper des problèmes des autres ».

Avec la visite du président ukrainien à Berlin et les ultimes préparatifs pour le championnat d'Europe de football qui se déroule en Allemagne, « on a repoussé la question », admet Sandra Weeser, élue du parti libéral FDP. La députée francophile, qui siège à l'Assemblée parlementaire franco-allemande, reconnaît qu'il faut maintenant se positionner : dans les prochains jours, elle va lancer une initiative au sein du Bundestag pour mener la discussion à ce niveau, si rien ne vient de la chancellerie ou du ministère des Affaires étrangères. « Sans prendre parti dans la campagne électorale française ni donner l'impression d'être résignés, mais il faut débattre de cette situation », soutient Sandra Weeser.

Couper les liens avec le gouvernement français si celui-ci est dirigé par un Premier ministre RN ? Poursuivre la coopération ? Chercher d'autres partenaires dans l'Union européenne ? Chez les élus allemands au Parlement européen, ces questions sont déjà à l'ordre du jour. Les grandes batailles pour la distribution des postes à Bruxelles ont commencé (lire la chronique de François Clemenceau, page 15). La CDU a d'ores et déjà demandé l'exclusion des euro-députés LR du groupe PPE si le parti français ne clarifiait pas sa position vis-à-vis du RN. Dès lors, avec qui travailler pour faire avancer les dossiers européens ? « De toute façon, au Parlement, le nombre d'élus français chez LR ou même Renew a beaucoup diminué », note Nele Wissmann, de la Fondation Konrad-Adenauer.

Dans les camps des optimistes, certains rêvent toutefois d'un sursaut allemand. Ces dernières années, les dissensions au sein du gouvernement d'Olaf Scholz ont réduit le poids de l'Allemagne à Bruxelles - contrainte de s'abstenir sur de nombreux textes européens, faute d'accord entre partenaires de la coalition. Or, en cas de cohabitation après le 7 juillet, ce « german vote » pourrait connaître une déclinaison française. « Le risque de paralysie de l'UE est réel », avance un diplomate, qui doute que Berlin prenne ses responsabilités face à l'urgence du moment. Cette semaine, un éditorial du magazine Der Spiegel a enfoncé le clou : les deux vieux partenaires sont désormais les enfants à problèmes du continent.

Olaf Scholz

Emmanuel Macron lors du sommet du G7, en Italie. (Crédit : © LTD / LUCA BRUNO/AP/SIPA )

Rome à l'affût

C'est un silence qui en dit long. Au lendemain des élections européennes du 9 juin, la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a salué le résultat « important » du Rassemblement national de Marine Le Pen, et son parcours « très intéressant » en France. Depuis, plus rien. Pas un mot de soutien à un candidat après la décision d'Emmanuel Macron de convoquer les Français aux urnes.

La cheffe du parti de droite radicale Fratelli d'Italia « ne dira rien avant le 7 juillet », date du second tour des élections législatives en France, assure Lorenzo Castellani, professeur à l'université Luiss Guido Carli de Rome. « Depuis deux ans, elle a mis les autres en sourdine et est la seule à parler », observe le chercheur. Seul son beau-frère, le ministre de l'Agriculture Francesco Lollobrigida, a confié au journal Le Monde qu'« un gouvernement différent de celui de Macron serait forcément une bonne nouvelle ».

Pourquoi ce silence ? Demain, les dirigeants européens se réuniront pour commencer à discuter du prochain président de la Commission européenne (lire la chronique de François Clemenceau, page 15). Or, Giorgia Meloni « veut garder les mains libres pour éventuellement soutenir [la présidente sortante] Ursula von der Leyen », analyse Lorenzo Castellani. Les deux femmes, qui affichent leur bonne entente depuis des mois, ont passé « un pacte », assure-t-il. En échange de votes des Conservateurs et réformistes européens (CRE), le groupe que Fratelli d'Italia domine, Giorgia Meloni obtiendrait un poste stratégique à la Commission, détaille le professeur.

En public, la Première ministre se garde de confirmer un tel soutien. « Il est trop tôt pour en parler », a-t-elle esquivé lundi. En attendant, pas question de se ranger ouvertement du côté du RN - allié de la Ligue de Matteo Salvini -, qui a fait de l'Allemande une cible privilégiée.

Si le RN se modère une fois au gouvernement comme l'a fait Giorgia Meloni, une collaboration plus étroite pourrait être envisagée

Lorenzo Castellani, professeur à l'université Luiss Guido Carli

Ayant gagné en crédibilité sur la scène internationale depuis son arrivée au pouvoir en 2022, Giorgia Meloni « tient à faire apparaître son groupe, CRE, comme plus fréquentable et légitime que celui d'Identité et démocratie [ID], où le RN est hégémonique », observe Marco Tarchi, politologue expert de l'extrême droite européenne. Aujourd'hui, elle « est vue comme celle qui a réussi à discuter avec les États-Unis et l'Europe et elle continuera à jouer ce rôle de trait d'union », commente Alberto Padovani, un élu Fratelli d'Italia à Vérone.

À ce stade, difficile donc d'imaginer Giorgia Meloni et Marine Le Pen fusionner dans un même groupe comme l'avait suggéré cette dernière fin mai, espérant renforcer le virage à droite en Europe. Et ce même si les deux leaders sont sorties renforcées du scrutin, avec les plus grandes délégations de leurs pays respectifs au Parlement. « Nous en avons rêvé, puis nous nous sommes réveillés et il s'avère que les deux dames n'arrivent pas à se mettre d'accord », a commenté vendredi le Premier ministre d'extrême droite hongrois, Viktor Orbán, qui pourrait rallier les conservateurs européens. Les deux femmes « sont concurrentes et elles ont des positions différentes, surtout sur la politique étrangère », explique Lorenzo Castellani, citant le cas de l'Ukraine.

Et si le RN l'emporte le 7 juillet ? « S'il se modère une fois au gouvernement comme l'a fait Giorgia Meloni, une collaboration plus étroite pourrait être envisagée », poursuit le professeur, qui considère toutefois qu'une bonne entente avec un éventuel gouvernement Bardella n'est pas acquise même s'ils viennent du même bord politique. « Pour ces forces, ce sont les intérêts nationaux qui priment », souligne-t-il.

Pour autant, « quels que soient les résultats, quelque chose est en train de changer » en Europe, observe Alberto Padovani. Malgré leur rivalité, le RN et Fratelli d'Italia mènent des batailles communes, sur l'immigration ou encore sur les politiques écologiques européennes. Le temps est venu de « s'asseoir autour d'une table pour discuter », espère l'élu de Fratelli d'Italia.

Commentaires 5
à écrit le 17/06/2024 à 11:48
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Pas avec l'Italie mais certainement avec l'Allemagne

à écrit le 16/06/2024 à 20:13
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Les Français prennent leurs propres décisions. Il faut aussi faire face aux conséquences. Aucun expert allemand des affaires françaises ne peut changer cela. En tant qu’Allemand, j’attends avec sérénité les changements en France. Nous avons suffisamm...

à écrit le 16/06/2024 à 8:37
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José Mujica,Theresa May, Trump, Méloni... tous les dirigeants intéressants sont d'ailleurs bon sang ! Une malédiction française ?

le 16/06/2024 à 8:52
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la dissolution est ce une idee de m macron ou de mme van der leyen depuis quelque temps la question doit etre pose sont omnipresence a ces cote apporte un doute voir une tres forte ingerence avec la mise au placard de bon nombre de diplomates

le 16/06/2024 à 10:33
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Je sais pas si elle a véritablement une stratégie, elle a d'abord un gigantesque réseau plus sûrement.

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