Après les européennes, la jeunesse française se déchire

Le Rassemblement national et La France insoumise sont arrivés en tête chez les 18-34 ans aux européennes. Deux factions qui se craignent sans se connaître.
Place de la République, à Paris, le 15 juin.
Place de la République, à Paris, le 15 juin. (Crédits : © LTD / JULIEN DE ROSA/AFP)

« La jeunesse emmerde le Front national. » Comme presque chaque soir de la semaine depuis les résultats des élections européennes, plusieurs centaines de jeunes viennent scander ce slogan place de la République à Paris. « Je ne l'avais entendu que dans la chanson de Diam's [Marine] ou dans des documentaires, mais jamais en manifestation, raconte Marthe, 21 ans, électrice LFI et étudiante en urbanisme croisée mercredi soir. Ce qui a provoqué ce sursaut, c'est qu'ils n'ont jamais été aussi proches du pouvoir, et ça, ça me fait peur. » À côté d'elle, Justine, 22 ans, précise : « Je bosse dans un théâtre, j'ai peur que les subventions s'arrêtent si le RN arrive au pouvoir. Je suis étudiante, j'ai peur que les universités ne soient plus financées. Je suis une femme, j'ai peur que mes droits reculent. Je suis québécoise, j'ai un titre de séjour, est-ce que je vais pouvoir rester en France ? »

Mais si ce Rassemblement national effraie à ce point, comment peut-il convaincre autant de jeunes ? Chez les 18-34 ans, ils sont 32% à avoir choisi Jordan Bardella, deux fois plus qu'en 2019. « J'ai du mal à comprendrese désole Marthe. Ce qui est dingue, c'est que je ne connais personnellement aucun électeur du RN de nos âges. » « Moi non plus », reprend Justine.

Parmi toutes les personnes avec lesquelles La Tribune Dimanche a discuté ce mercredi soir place de la République, aucune ne connaissait d'électeur du RN. « J'ai tendance à me dire qu'on pourra ne jamais les croiser, de toute façon ça sera impossible de communiquer avec eux », réplique Marthe. À la question « comment une jeunesse dont un tiers vote Rassemblement national et un cinquième a choisi La France insoumise peut-elle faire société dans les décennies à venir ? », les deux jeunes femmes lèvent les yeux vers un ciel qui s'est assombri au-dessus de Paris. « Je ne mets pas du tout LFI et le RN sur le même plan, mais ce sont les deux extrêmes, c'est vrai que ça va être compliquéreprend Marthe, pas vraiment une habituée des manifestations. Ce qui nous importe pour le moment, c'est que l'extrême droite n'arrive pas au pouvoir, donc on fait ce qu'on peut. »

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Une forte mobilisation pour l'union des gauches

Depuis l'annonce de la dissolution, cette jeunesse de gauche qui descend dans la rue a pesé de tout son poids sur la signature d'un accord du Nouveau Front populaire. Lundi soir, des centaines de manifestants se sont rendus devant le siège des Écologistes, où les représentants des partis de gauche négociaient. Le lendemain, la secrétaire nationale des Verts, Marine Tondelier, a raconté que leur présence, bruyante, avait permis d'accélérer la première étape de la création du Front populaire. Ce soir-là, c'est devant eux, dans la rue, que les représentants du PCF, des Écologistes, de la LFI et du PS sont venus annoncer la signature de l'accord. Assiste-t-on à un retour général de l'intérêt des jeunes pour la politique? « Même si les abstentionnistes restent majoritaires, il y a un regain indéniable de la participation aux européennes chez les jeunesexplique Frédéric Dabi, directeur général de l'Ifop. Le RN et LFI ont su utiliser les thèmes et les moyens de communication pour les intéresser. Mais ce qui frappe surtout, c'est que les partis de gouvernement sont laminés dans cette tranche d'âge. »

Selon le sondage Elabe pour La Tribune Dimanche, la majorité présidentielle n'a recueilli que 5% des voix chez les 18-34 ans. Contacté, Ambroise Méjean, président des Jeunes avec Macron (JAM), n'a pas souhaité faire de commentaire mais prévient : « J'attends de voir le résultat global [des investitures] de la majorité pour décider de l'investissement du mouvement dans la campagne. » Cela signifie-t-il qu'Emmanuel Macron pourrait être lâché par Les JAM ? Comprenne qui pourra.

Mais ceux pour qui la déchirure interne est déjà actée sont évidemment les Jeunes Républicains. Contrairement aux « vieux », qui apparaissent peu nombreux à soutenir Éric Ciotti dans son alliance avec le RN, les jeunes sont plus divisés. Sur la dizaine de membres du bureau national présidé par Guilhem Carayon, près de la moitié a annoncé publiquement sa volonté de suivre le président du parti. « On veut unir les patriotes sincères, c'est un choix de bon sens », explique Lola Elis, l'une de ses membres. « Chez les jeunes, la parole est plus libérée. Quand on croise un jeune du RN ou de chez Reconquête, on se rend compte qu'on a plein de choses en commun », poursuit Mylena Gourdon, secrétaire générale adjointe des Jeunes Républicains et proche de Guilhem Carayon.

Parmi les préoccupations communes, la sécurité et l'immigration arrivent en tête. Lola et Mylena sont nées respectivement en 2003 et 2004. Depuis qu'elles militent, leur parti n'a connu que des défaites électorales au niveau national. « Il faut assumer la recomposition politiquereprend Lola, sinon on va disparaître. » Quand on évoque le discours de Jacques Chirac de 2007 dans lequel l'ancien président de la République dit avec force « Ne composez jamais avec l'extrémisme », Lola réagit : « Chirac, c'est un peu daté. » « Pétain aussi, c'est un peu daté », lui répond par interview interposée Jade Journée, membre démissionnaire du bureau national des Jeunes Républicains.

À droite, les digues ont sauté depuis longtemps

Il est un peu plus de 13 heures mardi quand, devant le journal télévisé de TF1, cette militante et étudiante à Sciences-Po Paris entend Éric Ciotti proposer une alliance avec le RN.« Il y a des lignes rouges à ne pas franchir, celle-là en est une. » Quelques instants plus tard, quand le président des Républicains annonce qu'il est soutenu par Guilhem Carayon, le chef des jeunes LR, Jade prend son téléphone et ouvre sa messagerie. « Jade a quitté le groupe », peut-on lire sur la boucle WhatsApp du bureau national des Jeunes Républicains dans la minute qui suit. Depuis, elle n'a reçu aucun message personnel. « Personne n'avait été prévenu, ça a été un choc, je n'ai pas pu faire autrement. »

Ce « choc » n'était-il pas si imprévisible ? Dans leur ouvrage L'Extrême Droite, nouvelle génération - Enquête au cœur de la jeunesse identitaire, édité chez Denoël, les journalistes Marylou Magal et Nicolas Massol montrent la porosité totale des mouvements de jeunes de droite et d'extrême droite, et les liens parfois très forts entre leurs dirigeants. Guilhem Carayon et Pierre-Romain Thionnet, le chef de file du RNJ (Rassemblement national de la jeunesse), se connaissent et s'apprécient. Carayon et Stanislas Rigault, le président de Génération Zemmour, sont amis, ils partent en vacances ensemble. Chez ces jeunes, les digues ont sauté depuis longtemps. En mars 2023, les trois derniers cités font la une du magazine de la droite dure L'Incorrect avec ce titre : « Les jeunes coupent le cordon ». À l'époque, cette union des droites sur papier glacé avait provoqué un tollé chez les Républicains. Dans quinze jours, c'est sur certains bulletins de vote que cette union sera imprimée. Au niveau local aussi, cette alliance n'a étonné personne.

Carayon

Des militants lepénistes célèbrent la victoire de leur parti, le 9 juin, à Paris. (Crédits : © LTD / JULIEN DE ROSA/AFP)

Dans le Tarn, d'où est originaire Guilhem Carayon et où il devrait être candidat aux législatives, soutenu par le Rassemblement national, Florian Azema, le responsable local des jeunes du RN, se réjouit de la candidature de l'enfant du pays. « On s'était croisés au stand du département au Salon de l'agriculture il y a quelques mois, ça s'était super bien passé », raconte-t-il. Le délégué pour le Tarn des jeunes LR milite au sein de l'UNI, une association étudiante de droite, au côté du responsable de la communication du RNJ. « L'UNI, c'est souvent le lieu de rencontre des jeunes de droite à la fac. Ensuite, chacun s'engage dans son parti mais tout le monde est très proche. »

Preuve que les Jeunes Républicains acceptent plus facilement ce choix que le parti, Guilhem Carayon semble toujours être à la tête du mouvement des jeunes LR. Mercredi midi, il a convoqué une réunion en visioconférence avec tous les responsables départementaux. « Nous étions environ quarante-cinqraconte une participante. Il a expliqué son projet, mais beaucoup ne se sont pas exprimés. Parmi ceux qui ont pris la parole, c'était moitié pour, moitié contre. » Mylena n'a pas pu prendre part à cette réunion mais a annoncé sur les réseaux sociaux sa volonté d'alliance. Le lendemain, elle a reçu un SMS d'un membre du parti de Jordan Bardella : « À quand une soirée Jeunes LR/RNJ ? »

« Aujourd'hui, je ne comprends pas pourquoi le RN fait peurs'interroge cette étudiante en fac de droit. Je milite depuis des années pour que la France reste la France, pour qu'on conserve notre héritage judéo-chrétien. Je n'ai pas l'impression de renoncer à mes valeurs. Et puis de toute façon, même chez LR, je me faisais déjà traiter de facho à la fac. » La Niçoise d'origine estime qu'on a perdu le sens du dialogue, que les réseaux sociaux mettent de l'huile sur le feu. « Comment va évoluer notre génération ? Je dois dire que ça m'effraie, il faut savoir se parler. »

Sur la place de la République, Charlotte, 18 ans, brandit une pancarte sur laquelle on peut lire : « La jeunesse du RN, vos rappeurs préférés vous détestent ». Symbole d'une génération fracturée qui ne veut rien partager.

Dans les rues, un élan populaire contre le RN

« Vous imaginez, même la Bretagne a mis Bardella en tête ? C'est flippant... », s'époumone Lily, 22 ans, croisée dans le cortège parisien. Cette étudiante en géographie habite Concarneau, dans le Finistère, et pour elle c'était impensable de ne pas venir. « On a pris le train avec mes parents pour être là aujourd'hui, j'espère que ça pourra avoir un impact. J'ai l'impression qu'il y a un vrai élan. » Vingt-deux ans après le 1er mai 2002, manifestation historique contre Jean-Marie Le Pen et le Front national au second tour de la présidentielle, ils étaient 75 000 à Paris, selon la préfecture, 250 000 selon la CGT, à dire non au RN. « On était là en 2002 », racontent Christelle et Pierre, deux parents quadragénaires. « Je me souviens qu'à l'époque c'était la surprise », se souvient Christelle. Aujourd'hui, ce n'est plus un choc, c'est qu'on a merdé quelque chose mais il faut le réparer, et très vite. » Sur le visage des manifestants et sur les pancartes se lit la crainte d'un recul des libertés publiques, de la montée de la haine et des discriminations. « Les idées sont toujours les mêmes qu'en 2002, seul le nom a changé », explique-t-elle. Dans le cortège, de nombreux jeunes, des familles, beaucoup de moins jeunes également. Une population qui rappelle la mobilisation contre la réforme des retraites l'année dernière. Hier, ils étaient nombreux à parler de leurs manières de convaincre les abstentionnistes, d'aller chercher les hésitants. « Je fais chauffer les boucles WhatsApp depuis dimanche », raconte Sarah, 44 ans, qui a emmené ses deux enfants manifester. Pour vous dire, j'ai voté écolo dimanche dernier et je me suis dit : c'est bien de voter mais ça suffit pas, donc j'ai pris ma carte au parti il y a quelques jours. » L'éventualité de voir Jordan Bardella à la tête d'un gouvernement composé de membres du RN donne des sueurs froides à Christelle. « Vous imaginez, Marion Maréchal ministre de la Famille ou des Droits des femmes ? » « Tu dis comme Glucksmann, maman », réplique son fils d'une dizaine d'années. « Parfois il a raison, Glucksmann. » Si l'idée du Nouveau Front populaire semblait faire l'unanimité parmi les manifestants, nombreux sont ceux à s'être réveillés avec la gueule de bois samedi matin, voyant que les députés sortants Garrido, Corbière et Simonnet n'avaient pas été investi par LFI. « Y avait un truc à faire, c'était l'unité, franchement ils sont débiles, ça me déprime », s'emporte Jérémy, la trentaine. « Ça peut mettre en péril le front, ce genre de décisions, c'est hyper décevant. On se bouge, nous, qu'ils fassent leur job. » Sur la photo de famille, Faure, Tondelier, Brossat et Panot tentent de faire bonne figure. Plusieurs manifestants s'approchent d'eux et leur crient : « Unissez- vous au lieu de virer les gens ! » Interrogée par La Tribune Dimanche sur ces anciens collègues de l'Assemblée, Mathilde Panot botte en touche : « On est dans une manifestation historique, ça n'est pas le sujet du jour. » Dans cette campagne éclair pourtant, chaque détail, chaque histoire et chaque voix comptera. En 2002, selon des chercheurs de l'Université libre de Bruxelles, les manifestations contre Jean-Marie Le Pen lui avaient fait perdre entre 1,1 et 2,4 points au second tour.

Commentaires 4
à écrit le 17/06/2024 à 2:40
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L'ego de cette jeunesse est sans bornes. Chacun n'a qu'une idee: Sa situation ses prebendes. Ils ont besoin d'apprendre la vie. C'est pour bientot, qu'ils se rassurent. Traverser la rue va devenir complexe.

à écrit le 16/06/2024 à 11:21
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Il fut une époque, pas si lointaine, où quelqu' un ( Georges Pompidou ) affirmait ( avec raison ) que " la France s' ennuyait ". Aujourd' hui elle déborde de vitalité je veux dire par là qu' elle DÉBORDE de VIOLENCES ( PHYSIQUES et VERBALES ) ?...

à écrit le 16/06/2024 à 8:57
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Non c'est l'abstention qui est ultra majoritaire chez les jeunes électeurs mais l'abstention ça ne profite à aucun parti, aucun lobby, aucun financement politicard alors on fait d'un mensonge récurrent une vérité crasse. Vous êtes pénibles tous.

à écrit le 16/06/2024 à 6:38
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Article grossièrement à charge. Ce n'est pas parce que vous supportez Macron que vous devez publier des articles aussi biaisés. Pensez à vos lecteurs SVP.

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