TikTok, l’outil militant préféré de Bardella

Le président du parti d’extrême droite affiche sur le réseau social chinois prisé par les plus jeunes électeurs un visage glamour et dépolitisé.
Université d’été du RN, à Beaucaire, le 16 septembre 2023.
Université d’été du RN, à Beaucaire, le 16 septembre 2023. (Crédits : © LTD / Pascal GUYOT / AFP)

« Attendez, il fait très chaud... » : le jeune homme retire sa veste de costume dans un effet de ralenti quasi sensuel, l'image se rosit, une musique de Britney Spears monte tandis que se succèdent les images flatteuses. Dans les commentaires, ponctué d'émojis « cœurs », on lit : « mon bebou », « il me rend folle ». Une star de K-pop ? Un acteur américain en vogue ? Non. Il s'agit d'un fan edit - un montage amateur posté sur le réseau social chinois TikTok - de... Jordan Bardella. Le président du Rassemblement national a obtenu près du tiers des votes des 18-24 ans aux élections européennes. C'est davantage que chez les plus de 70 ans. Sur Internet, la jeunesse n'« emmerde » pas le « Front national ». Des vidéos ainsi réalisées par des adolescents accros à leur smartphone, il y en a des dizaines, et elles cumulent des milliers de vues.

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Jordan Bardella, 28 ans, est devenu une star de ces réseaux sociaux, et il est désormais normal de l'adouber quand on est un utilisateur de TikTok. Sur son compte personnel, le numéro un du RN affiche 1,3 million d'abonnés. Il est le troisième homme politique le plus suivi en France, après Emmanuel Macron (4,5 millions) et Jean-Luc Mélenchon (2,4 millions), adepte de la plateforme depuis 2020, année de l'avènement du réseau social. Sauf que Bardella bénéficie de ce que Mélenchon a perdu : sa jeunesse. Et d'une plastique qui lui permet d'être mythifié comme une vedette pop. Certaines des vidéos sont réalisées par des internautes qui avouent ne pas adhérer aux idées du Rassemblement national, mais voient en son chef de file un objet de fantasme.

Ni programme ni opinions

Son compte personnel, Bardella le nourrit lui-même de vidéos aux cadrages avantageux. Ni son programme politique ni ses opinions n'y sont clairement énoncés. Ces images permettent de le faire exister là où sont les jeunes. Un espace dont Raphaël Glucksmann s'est privé en se retirant de la plateforme en février. « C'est une question de cohérence. Ce réseau social, c'est une pompe [à fric ] à donner au service du Parti communiste chinois. Donc, je ne me voyais pas faire le mariole sur TikTok tout en dénonçant les ingérences étrangères », a-t-il déclaré. Une erreur pour Véronique Reille-Soult, experte en stratégie de réputation, en communication de crise et spécialiste de l'opinion. Selon celle qui est aussi autrice de L'Ultime Pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux : « Laisser un espace vide, ce n'est jamais une bonne idée. Si vous voulez parler aux gens, il faut aller là où ils sont. »

Si vous voulez aller parler aux gens, il faut aller là où ils sont

Véronique Reille-Soult, experte en stratégie de réputation

En France, parmi les 15 millions d'utilisateurs actifs mensuels de la plateforme de partage de vidéos, 72 % ont moins de 24 ans. Autre chiffre clé : 70 % de jeunes s'informent sur les réseaux sociaux, d'après Médiamétrie. Cela aurait-il joué sur la victoire de l'extrême droite ? Difficile à dire pour Véronique Reille-Soult : « C'est aussi impossible à quantifier que l'impact d'un meeting. Ce qu'on peut noter, en revanche, c'est la perméabilité des communautés. Pendant la dernière campagne, le camp de Zemmour faisait beaucoup de bruit en ligne, mais les militants parlaient entre eux. Ce n'était pas poreux. On note que le RN a réussi à avoir une meilleure action de porosité, plus que les autres partis très présents en ligne, comme LFI, car leur contenu a fini par sortir de leur sphère naturelle. Les algorithmes ont fini par afficher leurs vidéos dans le fil de personnes non politisées. C'est là que Jordan Bardella a été malin. »

Une bataille de publications

Le patron du RN n'a pas de diplôme, mais c'est un communicant hors pair qui a réussi à occuper l'espace numérique, terrain de jeu de ceux qui ont le même âge que lui ou presque. En s'inspirant des codes de communication des célébrités, du langage des lycéens, en comprenant ce qui fonctionne sur Internet, il a mis en place une stratégie qui a indéniablement contribué à dédiaboliser l'image du parti d'extrême droite. « Le RN a utilisé les bonnes techniques pour exister sur TikTok au début, et la suite a eu un effet de buzz, poursuit Véronique Reille-Soult. Cela a donné l'impression que Bardella était incontournable. Mais dire que c'est ça qui fait voter, ce n'est pas si évident. Même si on ne vote pas pour quelqu'un que l'on ne connaît pas. » Face à la force du vote RN aux européennes chez les jeunes, dimanche dernier, les internautes ont été nombreux à utiliser le montage amateur comme une arme de persuasion. Un outil comme un autre pour ces militants en herbe. Lors de la dernière semaine de campagne a eu lieu une offensive improbable, une bataille de publications Instagram, Twitter et TikTok, où les militants ont créé du contenu politique « starifiant ».

À gauche, les députés sortants Louis Boyard, Rima Hassan et Sébastien Delogu ont droit à ces films de groupies. Ce dernier a même lancé un concours de vidéos avec à la clé, pour le premier prix, la possibilité de partager un repas avec lui à Marseille. Les militants se sont tellement démenés pour propager leurs montages sur la Toile que l'une des vidéos du député des Bouches-du-Rhône a fini par être diffusée quinze secondes sur un écran géant de Times Square, à New York, aux États-Unis, grâce à quelques cotisations qui ont atteint les 40 dollars (seulement) que coûte la diffusion d'un spot. Elle a cumulé des centaines de milliers de vues.

Ce vendredi, le youtubeur Squeezie est sorti de sa réserve et a appelé ses abonnés à ne pas soutenir le Rassemblement national aux législatives du 30 juin et du 7 juillet. « Je pense que s'opposer fermement à une idéologie extrême qui prône la haine et la discrimination va au-delà d'une quelconque prise de position politique. » La réponse du lepéniste ne s'est pas fait attendre, fustigeant ces « multimillionnaires » qui s'engagent « apolitiquement contre des millions de Français ».

Commentaire 1
à écrit le 16/06/2024 à 9:00
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Ah tout ces jeunes aux esprits délavés par leurs parents ! Heureusement que la grande majorité des jeunes s’abstiennent d'abord et avant tout ! Un signe d'évolution évident.

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