Comment Strasbourg a perdu son éclat pro-européen

40 % des électeurs ont exprimé un vote contestataire, aux deux extrémités de l'échiquier politique, lors des élections européennes le 9 juin. Les Strasbourgeois infligent par ailleurs un rude avertissement à leur municipalité écologiste. Malgré tout, le Rassemblement National ne part pas favori pour les législatives dans les trois circonscriptions strasbourgeoises.
A Strasbourg, dans le quartier des institutions européennes.
A Strasbourg, dans le quartier des institutions européennes. (Crédits : Olivier Mirguet)

Avec 72 % de votes favorables à la ratification du traité de Maastricht, contre 51 % à l'échelle française, Strasbourg incarnait depuis 1992 l'image d'une métropole résolument pro-européenne. Un caractère enthousiaste établi sur le souvenir de la réconciliation franco-allemande, et sur la présence dans la capitale du Grand Est de deux institutions majeures de la construction européenne (Conseil de l'Europe, siège du parlement européen).

Dimanche 9 juin, aux élections européennes, cette image s'est brouillée. Dans une Alsace gagnée par l'extrême droite, les électeurs strasbourgeois ont manifesté leur contestation en accordant leurs faveurs inédites à l'extrême gauche. La victoire locale des Insoumis (21,3 % des voix) marque une évolution inédite dans cette ville restée fidèle à la social-démocratie, et où la voix de l'ancienne maire (PS) Catherine Trautmann continue de peser dans le débat public. L'addition des votes LFI, RN (14,1 %), Reconquête (4,6 %) et des petites listes d'extrême droite et d'extrême gauche indique que plus de 40 % des strasbourgeois n'accordent plus la priorité aux idéaux de la construction européenne, que Strasbourg prétendait incarner.

Une mutation sociologique

« Ce recul du vote pro-européen traduit des transformations sociologiques fortes », estime le sociologie Philippe Breton, qui anime à Strasbourg un « Observatoire de la vie politique en Alsace » (Ovipal). « La population a changé. Les électeurs pro-européens des années 1990 sont partis vivre ailleurs. Le vote LFI du 9 juin est porté par des Strasbourgeois issus de l'immigration, dans des quartiers qui n'existaient pas encore il y a trente ans », observe Philippe Breton.

« La jeune génération ne possède pas la culture pro-européenne de ceux qui ont grandi dans les années soixante », confirme la députée bas-rhinoise (Renaissance) Françoise Buffet. « Aujourd'hui, on enseigne l'Europe à l'école de la même manière qu'on enseignerait l'histoire de Louis XIV. Cet aspect particulier de notre histoire n'a plus aucun attrait pour les jeunes », regrette cette élue de la circonscription périphérique du Kochersberg, à l'est de l'agglomération strasbourgeoise. Arrivée en 2022 au Palais Bourbon, Françoise Buffet vient d'entrer en campagne en vue des élections législatives du 30 juin et du 7 juillet.

Trois députés sortants candidats

En attendant d'accueillir le 16 juillet ses nouveaux députés européens, élus des 27 pays de l'Union, Strasbourg devra désigner ses trois futurs représentants (première, deuxième et troisième circonscriptions du Bas-Rhin) à l'assemblée nationale. Les trois élus sortants, Sandra Regol (EELV), Emmanuel Fernandes (LFI) et Bruno Studer (Renaisance), ont déjà annoncé leur candidature. « Le Rassemblement National a peu de chances de passer à Strasbourg. Les seules poches d'électorat frontiste se trouvent dans le quartiers ouvriers. Et il n'y a quasiment plus de quartiers ouvriers à Strasbourg, à part dans le vieux Neuhof », analyse Philippe Breton.

Le parti présidentiel pourra-t-il faire mieux que les 14,99 % de la liste Hayer, le 9 juin ? Chez les Macronistes, on espère reconquérir la première circonscription avec l'universitaire Nicolas Matt, conseiller municipal d'opposition. La novice Céline Breitman, ex-suppléante du vice -président MoDem (2017-2022) de l'Assemblée Nationale Sylvain Waserman, devrait représenter la majorité présidentielle face à Emmanuel Fernandes.

Les Verts en position délicate

Et les Verts ? A Strasbourg, leur situation apparaît fragile. Avec 7.266 voix (sur 143.720 inscrits), en cinquième position, le parti écologiste a subi le 9 juin un échec significatif. Parmi les grandes villes françaises (Strasbourg, Lyon, Grenoble, Bordeaux) dirigées par un maire écologiste, c'est Strasbourg qui enregistre le plus faible score (9 %).

« Les écologistes devront tirer les leçons de ce score qui est extrêmement décevant », a réagi la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian, dans une interview aux Dernières Nouvelles d'Alsace.

« Une partie de l'électorat social-démocrate, issu des quartiers centraux de Strasbourg, avait porté les Verts à la mairie en 2020. Ces électeurs ont été échaudés par des décisions jugées autoritaires ou punitives prises par la municipalité, qui affectent leur vie quotidienne. Ces électeurs sont retournés chez Raphaël Glucksmann aux européennes. Ils se retrouvent un peu perdus à la veille des législatives », estime Philippe Breton.

Dans son bureau à l'Université de Strasbourg, Nicolas Matt attendait ce jeudi après-midi l'annonce officielle de son investiture. « L'électorat de Strasbourg n'attend qu'une chose : que nous fassions preuve d'humilité, que nous expliquions l'action européenne dans la proximité », estime-t-il. Dans sa circonscription qui tangente le quartier des institutions européennes, la candidate frontiste Hombeline du Parc ne bénéficie pas du même ancrage local que ses concurrents. Les chances du RN apparaissent en-deçà de la moyenne alsacienne, et loin de leur niveau national.

Commentaire 1
à écrit le 14/06/2024 à 7:31
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Ne prenez vous pas le problème à l'envers, est-ce que ce n'est pas justement le manque d'éclat de l'UE qui tue Strasbourg ?

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