Le plongeon a démarré dès lundi, après l'annonce de la dissolution. Le CAC 40, l'indice phare de la Bourse de Paris, a chuté de 6,48 % en cinq jours (-2,66 % pour la seule journée de vendredi). Près de 160 milliards d'euros de capitalisation se sont évaporés, dans la pire semaine boursière enregistrée depuis mars 2022, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Si toutes les entreprises du CAC 40 ont subi les dégâts de cette tempête, ce sont les banques (qui détiennent 7,7 % de la dette publique nationale), BNP Paribas, Crédit Agricole, Société générale et BPCE, qui en ont été les premières victimes. La Société générale (-14,87 %), déjà fragilisée avant le scrutin européen, a été davantage sanctionnée que ses concurrentes. Les groupes spécialisés dans les infrastructures - plus exposés à leur marché domestique - ont également encaissé de fortes baisses, à l'image de Veolia (-9,89 %).
La perspective d'une arrivée au pouvoir du Rassemblement national, en début de semaine, ou du Nouveau Front populaire, à la veille du week-end, fait vaciller le marché français vers un autre monde. « On n'a encore rien vu », prévient le directeur d'un grand établissement financier. « Compte tenu de l'incertitude, il est impossible d'investir dans des actions françaises jusqu'au 7 juillet, on n'y touche plus. Mais dès le 8, ça risque de dégringoler. » La dirigeante d'une banque spécialisée dans la gestion patrimoniale confie : « On oriente nos clients vers les actions américaines. »
Sur les marchés où s'échangent les titres des États, les emprunts du Trésor français s'éloignent déjà de la référence allemande. L'écart (le « spread ») entre les taux d'intérêt tricolores et germaniques s'est spectaculairement creusé en quelques jours, passant de 0,49 % avant les élections européennes à 0,7 % cinq jours plus tard. Du jamais vu en un laps de temps aussi court, sauf au paroxysme de la crise des dettes souveraines, en décembre 2011.
De nouvelles dégradations de la note tricolore
La dette publique de la France, l'une des plus élevées d'Europe en pourcentage du PIB, fait figure de baril de poudre. Jusqu'ici, Bercy empruntait sans tracasser ses créanciers. Mais l'inquiétude née de la dissolution menace de faire grimper les taux d'intérêt, pour couvrir un risque de non-remboursement, donc de rendre les emprunts beaucoup plus chers. « Les programmes du RN comme du Nouveau Front populaire font redouter une explosion de la dette publique, déjà très élevée en France », souligne Éric Dor, directeur des études économiques à l'IÉSEG School of Management.
Les obligations françaises sont ainsi, depuis cette semaine, moins bien cotées que celles du Portugal, un pays pourtant noté trois crans au-dessous de la France par les agences financières. Les obligations à cinq ans de Lisbonne sont moins chères que celles de Paris. Et de nouvelles dégradations de la note tricolore, aujourd'hui AA-, ne sont pas exclues. Une perspective clairement énoncée par l'agence Moody's dès le 11 juin.
Les économistes échafaudent tous les scénarios
« Quelques expériences récentes ont montré que la sanction des marchés pouvait tomber sans délai », écrit Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo BHF, dans une note aux traders. Et de rappeler la mésaventure de l'ancienne Première ministre britannique Liz Truss, emportée en 2022 par la tornade financière après l'annonce de baisses d'impôts non financées, qui lui a aussi valu la marque infamante d'un avertissement du FMI.
En attendant de connaître un chiffrage précis des programmes et les intentions réelles des partis, les économistes échafaudent tous les scénarios. Aucun n'est rassurant. En cas de catastrophe, Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management, prévient : « Le FMI n'interviendra pas avant plusieurs mois, même si la situation budgétaire de la France inquiète depuis longtemps. En revanche, des sanctions de l'Union européenne pourraient se décider rapidement à Bruxelles, avec un gel des subventions. » Et de redouter par ailleurs l'abandon de projets industriels : « Une grande partie des investissements annoncés lors de la dernière édition du sommet Choose France pourraient être reportés, voire ne jamais voir le jour. »
Un analyste britannique s'alarme davantage encore : « La France est la deuxième économie de la zone euro. L'éventualité d'un dérapage économique majeur du pays effraie bien plus les investisseurs, qui détiennent 53 % de la dette française, que la défaillance de la Grèce en 2011. Ce serait une crise d'une telle ampleur qu'elle pourrait détruire l'euro. » La monnaie européenne a vécu sa pire semaine (-1,2 %) depuis deux mois, enregistrant sa plus forte baisse face au dollar le 14 juin.