Voitures électriques : l'Europe menace d'augmenter fortement les droits de douane (+38%) sur les modèles chinois importés

Par Marie Nidiau  |   |  1323  mots
Si l'UE décide d'imposer ces surtaxes, elle se lance dans un périlleux exercice d'équilibriste entre défense de ses intérêts économiques et volonté d'éviter une guerre commerciale avec Pékin. (Crédits : DR)
L'Union européenne a menacé ce mercredi d’augmenter les droits de douane des véhicules électriques importés depuis la Chine, à hauteur de 38% pour certains groupes, auxquels s'ajoutent les 10% déjà existants. Une mesure qui irrite Pékin, qui la considère comme du « protectionnisme ». Elle estime par ailleurs qu’elle serait « nuisible » aux intérêts européens.

[Article publié le mercredi 12 juin 2024 à 12h25, mis à jour à 16h15]

Les tensions entre l'Union européenne et la Chine au sujet des voitures électriques ne risquent pas de s'apaiser. Pour rappel, accusant Pékin de doper illégalement ses constructeurs sur ce marché d'avenir et de fausser la concurrence, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a lancé en septembre 2023 une enquête antisubventions sur ces voitures. Neuf mois plus tard, Bruxelles « a provisoirement conclu que la chaîne de valeur des véhicules électriques à batterie en Chine bénéficiait de subventions déloyales, ce qui représente une menace de préjudice économique pour les producteurs de l'UE », a expliqué l'exécutif européen, dans un communiqué publié ce mercredi.

En conséquence, la Commission prévoit notamment d'augmenter les droits de douane sur les véhicules fabriqués dans les usines chinoises. Ainsi, le fabricant chinois BYD se verrait appliquer des droits de douane de 17,4%, 20% pour Geely et 38,1% pour SAIC qui détient notamment la marque MG. Ces montants diffèrent selon les subventions publiques perçues dans le pays. A ces droits de douane s'ajoutent ceux de 10% déjà appliqués sur l'ensemble des véhicules neufs. Pour les autres constructeurs, un droit moyen de 21% devrait s'appliquer à ceux qui décident de coopérer et 38,1% pour les autres. Enfin, Tesla a fait une demande pour un droit de douane particulier, de fait de son statut indépendant des entreprises chinoises. Ces taux seront également appliqués à tous les constructeurs européens, dans la mesure où elles sont toutes associées en coentreprise avec des sociétés chinoises, a précisé un haut fonctionnaire de la Commission européenne.

Les entreprises chinoises concernées n'ont pas encore fait de commentaires officiels sur ces mesures. Mais déjà, en OFF, certains constructeurs assurent que l'augmentation de ces droits de douane aura un impact important sur le prix des véhicules importés, affectant un peu plus le pouvoir d'achat des ménages.

Droits appliqués à partir du 4 juillet

Ces taux provisoires ont pour l'heure été communiqués aux différentes entreprises concernées et aux autorités chinoises pour « étudier les moyens de résoudre les problèmes recensés », explique l'institution.

« Si les discussions avec les autorités chinoises n'aboutissaient pas à une solution efficace, ces droits compensateurs provisoires seraient introduits à partir du 4 juillet » mais ils « ne seraient perçus que si des droits définitifs sont institués », a-t-elle précisé.

Bruxelles aura ensuite quatre mois, après l'institution de droits provisoires, pour imposer des droits définitifs. Mais les pays membres pourront les écarter si au moins 15 d'entre eux, représentant au moins 65% de la population de l'UE, s'y opposent. « Notre objectif n'est pas de fermer le marché de l'UE aux véhicules électriques chinois, mais de veiller à ce que la concurrence soit loyale », a commenté le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, sur le réseau social X.

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La Chine menace

En imposant ces surtaxes, l'UE se lance dans un périlleux exercice d'équilibriste entre défense de ses intérêts économiques et volonté d'éviter une guerre commerciale avec Pékin. Avant même cette annonce, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a prévenu que « la Chine prendra toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder fermement ses droits et intérêts légitimes », a indiqué Lin Jian.

La Chambre de commerce chinoise auprès de l'UE (CCCEU) a précédemment indiqué que Pékin a « préparé de nombreuses contre-mesures ». Cet organisme a fait référence à un « expert juridique », cité dans les médias chinois, selon qui « le vin et les produits laitiers européens » pourraient être ciblés, « compte tenu des subventions substantielles dans le secteur agricole de l'UE ». Elle a d'ailleurs déjà répliqué, en janvier, avec une enquête visant toutes les eaux-de-vie de vin importées de l'Union européenne, dont notamment le cognac.

Pour Lin Jian, « cette enquête antisubventions est un cas typique de protectionnisme ». « L'UE s'en sert comme excuse pour imposer des droits de douane sur les véhicules électriques importés de Chine », a déploré Lin Jian lors d'un point presse régulier. « Cela va à l'encontre des principes de l'économie de marché et des règles du commerce international, compromet la coopération économique et commerciale entre la Chine et l'UE, tout comme la stabilité de la production automobile mondiale et des chaînes d'approvisionnement. Au final, cela serait nuisible aux propres intérêts de l'Union européenne », a-t-il ajouté. Il a également déclaré que son pays demande « instamment à l'UE d'honorer son engagement à soutenir le libre-échange et à s'opposer au protectionnisme ».

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En outre, la Chine se défend des accusations à son encontre. Le géant asiatique affirme que ses entreprises ont gagné leurs parts de marchés mondiales principalement grâce à la qualité de leur offre et à leurs innovations technologiques. Il faut dire que le pays, qui a doublé le Japon l'an dernier comme premier exportateur automobile mondial, a investi très tôt dans les batteries, cœur technologique des véhicules électriques dont elle a fait sa spécialité. Ainsi, en Europe, les marques chinoises progressent vite grâce à des tarifs compétitifs. Elles y sont passées de moins de 2% du marché des voitures électriques fin 2021 à près de 8% fin 2023, selon l'institut Jato. Les véhicules chinois ont notamment profité de l'interdiction, décidée par l'UE, des ventes de moteurs essence et diesel à l'horizon 2035 pour lutter contre le réchauffement climatique.

L'Europe divisée sur la question

Reste que le secteur automobile européen s'affiche divisé sur l'imposition potentielle de surtaxes sur les véhicules électriques chinois. Car celles-ci peuvent créer une inflation en Europe dans le secteur et accentuer le retard technologique des constructeurs européens, selon des analystes.

L'Allemagne a « pesé pour minimiser les droits de douane car ses constructeurs sont très engagés en Chine », a indiqué fin mai Elvire Fabry de l'Institut Jacques Delors. Audi, BMW, Mercedes et Volkswagen y réalisent en effet près de 40% de leurs ventes. « Les risques d'un conflit commercial majeur sont évidents et ses conséquences doivent être prises en compte », s'inquiète un porte-parole de la fédération de l'industrie automobile allemande VDA, appelant à « une politique qui renonce aux hausses de taxes ». Un avis partagé notamment par la Hongrie et Suède. « C'est une mauvaise idée (...) de démanteler le commerce mondial », a déclaré mi-mai le Premier ministre suédois Ulf Kristersson. Le constructeur suédois Volvo Cars, propriété du groupe chinois Geely, vend 42% de sa production en Europe et 24% en Chine.

Du côté des pays qui défendent la mesure de Bruxelles se trouvent la France et l'Espagne. « Seul le maintien de règles du jeu équitables permet de garantir la libre concurrence », a souligné Luc Chatel, président de la Plateforme automobile (PFA) qui représente la filière française après les conclusion de la Commission européenne. Il faut dire que, côté français, les constructeurs Renault, Peugeot et Citroën sont absents du premier marché mondial. Paris y a donc peu d'intérêt et pousse pour protéger la filière européenne qui emploie 14,6 millions de salariés.

Les États-Unis, de leur côté, sont en tout cas déjà passés à l'action à ce sujet. L'administration Biden a annoncé, le mois dernier, une hausse des droits de douane sur les véhicules électriques chinois à 100%, contre 25% précédemment, transformant le marché américain en forteresse où le champion national Tesla règne sans partage.

(Avec AFP)