Faut-il suivre l'exemple américain et taxer les voitures électriques importées de Chine  ?

OPINION. Dans leur guerre commerciale avec Pékin, les Etats-Unis imposent de nouvelles hausses de taxes sur les importations dans certains secteurs. Une stratégie qui répond notamment à la volonté de Washington d'accélérer le découplage économique avec le géant asiatique. Pour l'Union européenne, de telles mesures sont plus difficiles à mettre en œuvre en raison de sa plus grande dépendance commerciale à l'égard de la Chine. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

L'administration Biden vient de frapper un grand coup dans la guerre commerciale et industrielle qui oppose les Etats-Unis et la Chine depuis 2018, en augmentant une fois de plus les tarifs douaniers sur des produits importés de Chine. En l'espèce, le tarif sur les voitures électriques passe de 25% à 100%, le tarif sur l'acier et l'aluminium est triplé, les tarifs sur les panneaux solaires (passant de 25% à 50%), sur les batteries à lithium et sur les semiconducteurs sont doublés.

Quelles sont les motivations de ces actions protectionnistes de grande ampleur ? La motivation de l'administration Biden n'est pas différente de celle de l'administration Trump. Un premier motif est la déloyauté des stratégies mises en œuvre par la Chine, générant une compétitivité supérieure indue, obtenue grâce à des subventions et des aides publiques plus ou moins cachées. Un deuxième motif est de nature géopolitique. La Chine est le leader d'un groupe de pays qui s'insurgent contre ce qu'ils considèrent comme l'ordre politique international dominé par l'Occident et les Etats-Unis. Ce groupe inclut la Russie, la Corée du Nord, l'Iran et d'autres satellites de moindre envergure. La pression continue exercée par la Chine sur Taiwan et le soutien indirect qu'elle apporte à l'agression russe en Ukraine ont accéléré le processus, déjà engagé par les Etats-Unis, de découplage économique. Pour les Etats-Unis, augmenter leur indépendance productive par rapport à la Chine est un impératif stratégique, notamment dans la perspective d'une situation de conflit ouvert. C'est dans les technologies duales (civiles/militaires) comme les semiconducteurs que le découplage est impératif. Le troisième motif est plus classique et consiste à protéger une industrie, comme celle des panneaux solaires, des batteries et des véhicules électriques, face à une déferlante d'importations meilleur marché pour les empêcher de disparaître et leur permettre de revenir à niveau.

Motifs économiques, géopolitiques mais aussi électoraux

A côté de ces motifs économiques et géopolitiques, il ne faut pas oublier l'opportunisme liée à la situation électorale où Donald Trump et Joe Biden se font concurrence pour apparaitre comme le plus protecteur de l'ouvrier américain, notamment ceux vivant dans le Rusty Belt, à l'Est des Etats-Unis.

Est-il possible de raisonnablement anticiper à court et moyen terme l'impact des décisions de Joe Biden ? La Chine va vraisemblablement répliquer, en imposant des tarifs sur des importations américaines. Ils vont logiquement cibler les produits les plus sensibles dans le contexte de la course à l'élection présidentielle. Mais en l'espèce, tout tarif imposé par la Chine, même douloureux à court terme, fera avec le temps le jeu des Etats-Unis en termes de découplage économique.

C'est un fait bien établi, que le secteur chinois des véhicules électriques est en situation de surproduction avec des surcapacités importantes et un débouché possible à l'export. Très probablement, la Chine va redoubler d'effort pour pousser ses voitures électriques vers l'Europe. Si en 2023 les ventes de voitures électriques chinoises aux Etats-Unis sont encore très faibles, en revanche, elles sont significatives pour l'Europe. Les importations de véhicules électriques en provenance de Chine, y compris de fabricants non-chinois possédant des usines dans ce pays, sont passées de 1,6 milliard de dollars en 2020 à 11,5 milliards de dollars en 2023. L'UE s'est doté d'un instrument pour bloquer les importations de produits subventionnées mais les modalités de mise en œuvre du programme de protection industrielle sont d'une grande lourdeur et complexité administrative. Toute décision sera contestée et devra être jugée, avec des délais pouvant être très longs. Imposer la taxe carbone aux frontières peut constituer une option, mais ce mécanisme ne sera pas opérationnel avant 2026, et il n'est pas certain que la future taxe soit importante.

L'Europe n'a pas d'autre choix que de suivre la stratégie américaine

Dans ce jeu à trois acteurs majeurs, il nous semble que l'Europe n'a pas d'autre choix que suivre la stratégie américaine et augmenter les tarifs douaniers sur les voitures électriques. Ces tarifs, actuellement de 10%, sont largement insuffisants pour limiter ces importations. Selon plusieurs études, il faudrait le monter à 30%, voire 50%, pour être dissuasif. Ce faisant, l'UE s'expose à des mesures de rétorsion qui pourraient être beaucoup plus handicapantes que pour les Etats-Unis, du fait de l'intégration commerciale plus poussée de l'UE avec la Chine. En effet, de nombreux producteurs européens qui fabriquent leur véhicules électriques en Chine seraient pénalisés par un tarif plus élevé.

Le réalisme géopolitique est en train de s'imposer au libre-échangisme de l'UE qui va devoir avoir recours au protectionnisme qu'elle dénonce depuis sa création. Malheureusement, l'idéal de paix par le commerce, qui a résolu le conflit séculaire entre la France et l'Allemagne, trouve sa limite avec des pays à régime autocratique comme la Chine et la Russie. Il est temps pour l'UE de faire un aggiornamento réaliste sur ses postures et croyances, au moins jusqu'au retour au pouvoir du prochain Deng Xiaoping.

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Commentaires 4
à écrit le 16/05/2024 à 12:27
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Le problème n'est pas là, mais dans l'état des infrastructures routières et énergétiques qui vont recevoir ces dit véhicules, mais ont attend toujours le dernier moment pour agir afin d'attirer les pigeons que nous sommes ! ;-)

à écrit le 16/05/2024 à 10:00
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Les voitures chinoises vont être construites en UE, le problème ne se posera plus. C'est 'lourd' de faire venir des millions de voitures depuis la Chine, les batteries ça suffira. :-) Le SAV est géré par qui, où ? A quels tarifs les révisions ? A un...

le 17/05/2024 à 11:22
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Et il y avait Renault qui avait envoyé un lot de Renault 8 aux Etats Unis sans pièces détachées car la voiture était parfaite et elle ne devait de ce fait pas tomber en panne et donc inutile de dire qu'elle a généralement été la première et la derniè...

à écrit le 16/05/2024 à 9:55
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Sauf que l'UE a madame Van Leyen à sa tête visiblement et selon la somme inscrite sur le chèque ou bien dans les valises tout peut basculer ! Et oui ça se passe comme ça en UERSS empire prévu pour durer mille ans, d'abord et avant tout visiblement.

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