Ukraine : un sommet suisse pour une paix improbable

Environ 90 pays se réunissent ce week-end au pied des Alpes pour traiter du conflit en Ukraine. La Russie et la Chine boudent la réunion.
Volodymyr Zelensky avec Viola Amherd, la présidente de la Confédération helvétique, le 15 juin au Bürgenstock Resort.
Volodymyr Zelensky avec Viola Amherd, la présidente de la Confédération helvétique, le 15 juin au Bürgenstock Resort. (Crédits : © LTD / MICHAEL BUHOLZER / POOL / AFP)

À la verticale des eaux turquoise du lac des Quatre-Cantons, la vue est imprenable sur les montagnes de la Suisse centrale. Loin des problèmes du monde, à 2 500 kilomètres de la ligne de front, le complexe hôtelier de Bürgenstock, près de Lucerne, accueille ce week-end quelque 90 États et organisations internationales pour une « conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine ». Parfait pour une photo de famille, mais tous n'y figureront pas.

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La Russie n'a pas été invitée et a tout fait pour torpiller l'événement, qualifié de « cirque » par le Kremlin. La Chine a décliné l'invitation. L'Inde participe, de même que l'Arabie saoudite, mais le Brésil et l'Afrique du Sud se sont contentés d'envoyer des observateurs. Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, n'a pas jugé utile de faire le déplacement. Dans le camp occidental, Joe Biden s'est fait représenter par la vice-présidente, Kamala Harris, et le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Et quelques jours après la dissolution surprise de l'Assemblée nationale, de retour du sommet du G7 dans les Pouilles, Emmanuel Macron n'y fait qu'une apparition rapide.

À quelques heures de la réunion, le président russe, Vladimir Poutine, a dénoncé un « stratagème » destiné à « détourner l'attention de tout le monde » de ceux qu'il désigne comme les véritables responsables du conflit : les Occidentaux et les autorités de Kiev. L'homme fort du Kremlin se présente comme un artisan de la paix, tout en posant des conditions maximalistes pour une paix négociée : le retrait des troupes ukrainiennes des quatre régions annexées par la Russie (Donetsk, Louhansk, Kherson, Zaporijjia) et l'abandon par l'Ukraine de son projet d'adhésion à l'Otan.

Cette demande de reddition, aussitôt qualifiée d'« ultimatum à la Hitler » par Volodymyr Zelensky, s'inscrit dans une campagne visant à persuader les Occidentaux d'accepter des concessions sur l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Ukraine. « Ce que la Russie appelle la négociation n'est qu'une capitulation, affirme Oleh Rybachuk, ancien vice-Premier ministre ukrainien. Poutine bluffe en faisant croire que la Russie peut mener une guerre sans fin. Seules l'unité des Occidentaux et la pression économique et militaire peuvent l'amener à changer de position. »

Une opération de relations publiques

Grande absente de la réunion, la Chine s'est activée pour décourager la participation des pays du Sud. Avec le soutien de Moscou, Pékin a mis en avant, fin mai, un plan alternatif en six points, proposé conjointement avec le Brésil. Selon le ministre chinois des Affaires étrangères, 45 pays lui ont apporté leur soutien.

Dans ces conditions, l'exercice diplomatique organisé par la Confédération suisse se résume avant tout à une opération de relations publiques. L'idée initiale consistait à forger une position unifiée entre un maximum de pays pour un règlement du conflit sur la base de la « formule de paix » en dix points présentée par Volodymyr Zelensky au G20 de Bali en novembre 2022 et de la présenter ensuite à la Russie. Après une série de réunions préparatoires, Kiev a dû réviser ses ambitions à la baisse. De nombreux pays du « Sud global » refusent de choisir leur camp dans ce qu'ils voient comme un conflit entre l'Occident et la Russie, soutenue par la Chine. Le sommet de Bürgenstock se concentre donc sur les trois thèmes les plus consensuels : la sécurité des installations nucléaires ; la sécurité alimentaire et la liberté de navigation en mer Noire ; les prisonniers de guerre et le retour des enfants ukrainiens déportés en Russie.

À quelques semaines du sommet de l'Otan, qui se déroulera du 9 au 11 juillet à Washington, la conférence réaffirme le soutien occidental à l'Ukraine tout en montrant aux pays du Sud que, contrairement au narratif du Kremlin qui les présente comme des fauteurs de guerre, Kiev et ses alliés travaillent sur les paramètres d'une solution négociée. « Le sommet est une manière d'unifier le camp de la paix et celui de la justice, veut croire Alyona Getmanchuk, directrice du New Europe Center, un think tank établi à Kiev. Une paix juste et durable ne sera possible que sur la base des principes du droit international et de la charte de l'ONU : souveraineté, intégrité territoriale et non-agression. »

En attendant, la guerre continue. L'armée russe grignote du terrain face à des forces ukrainiennes en manque de soldats, de munitions et de défense aérienne. Du côté ukrainien, l'heure n'est pas à la négociation, mais à tenir la ligne de front. « Ni Kiev ni Moscou ne sont aujourd'hui prêts à négocier, mais chacun s'y prépare, décrypte un diplomate européen. Le moment et les conditions dépendront de la situation sur le champ de bataille et des élections américaines. Si l'Ukraine parvient à tenir face à l'offensive russe attendue cet été, elle se retrouvera dans une position de négociation plus forte. Des discussions ne commenceront pas avant la fin de l'année au plus tôt, et probablement beaucoup plus tard. »

Dans une récente interview à l'hebdomadaire britannique The Economist, le général Vadym Skibitsky, chef adjoint du service de renseignement militaire ukrainien, admet que la guerre se terminera par des pourparlers et évoque le milieu de l'année 2025 comme le moment où la Russie sera confrontée à de « sérieux vents contraires ». « Les Russes parient sur Trump, ajoute Alyona Getmanchuk, mais si l'Ukraine reprend l'initiative sur le champ de bataille d'ici à 2025, cette nouvelle dynamique peut conduire à de réelles négociations. » F.D'A

Olaf Scholz dénonce le diktat de Poutine

« Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas une paix dictée, mais une paix juste et équitable qui tienne compte de l'intégrité et de la souveraineté de l'Ukraine », a rappelé hier le chancelier allemand Olaf Scholz, en marge du sommet du G7 dans les Pouilles, en Italie, avant de se rendre en Suisse pour assister à la conférence sur la paix (lire ci-dessus). Il répondait ainsi à Vladimir Poutine, qui pose comme conditions pour débuter des pourparlers que l'Ukraine renonce à devenir membre de l'Otan et retire ses forces armées des régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia. « Ce qu'il propose, c'est en fin de compte de graver un raid impérialiste dans les textes », a pointé Olaf Scholz, considérant que la proposition du président russe vise à affaiblir le soutien des opinions publiques à l'aide à l'Ukraine dans différents pays. Vladimir Poutine « veut effacer et dissimuler le fait que c'est lui qui a commencé une guerre brutale et qui la poursuit sans faille », a rappelé le chancelier. (Robert Jules)

Commentaires 4
à écrit le 17/06/2024 à 3:01
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Les conférences de Teheran (1943), Yalta et Potsdam (1945) se sont bien passées en absence de l'Allemagne nazie. Cette absence du protagoniste de la guerre n'a pas posé des problèmes et les décisions prises lors de ces conférences ont été bien appliq...

à écrit le 16/06/2024 à 11:58
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Pratique d'être sur place ! ^^

à écrit le 16/06/2024 à 11:05
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[La Russie et la Chine boudent la réunion] Logique puisque la marque de fabrique de la Suisse était jusqu'alors sa neutralité. C'est-à-dire offrir un territoire neutre propre aux grandes discussions géopolitiques! Un privilège qu'elle a abandonné en ...

à écrit le 16/06/2024 à 10:20
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Faire la paix avec la russie absente

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