Guerre en Ukraine  : Berlin et Washington autorisent Kiev à frapper le sol russe

Par latribune.fr  |   |  1531  mots
Au lendemain de l'autorisation américaine, le gouvernement du chancelier Olaf Scholz a lui aussi donné son feu vert. (Crédits : JOHANNA GERON)
Pour la première fois, l'Allemagne et les Etats-Unis ont donné leur feu vert pour que l'Ukraine frappe des cibles sur le sol russe, sous certaines conditions. Une décision qui intervient après que la Pentagone a pu démontrer que la Russie emploie des missiles balistiques nord-coréens dans sa guerre.

[Article publié le vendredi 31 mai 2024 à 07h26 et mis à jour à 15h06] Un tournant dans la guerre en Ukraine ? Joe Biden, qui s'y refusait jusqu'ici, a donné son feu vert pour que Kiev frappe sous certaines conditions des cibles sur le sol russe, dans la région de Kharkiv, a indiqué jeudi un responsable américain.

« Le président a donné pour mission à son équipe de faire en sorte que l'Ukraine puisse utiliser des armes américaines afin de contre-attaquer dans la région de Kharkiv, de manière à riposter lorsque les forces russes les attaquent ou se préparent à les attaquer », a dit cette source anonyme jeudi soir.

Ce responsable, qui a requis l'anonymat, a toutefois ajouté que les Etats-Unis continuaient à s'opposer à des frappes ukrainiennes en profondeur sur le territoire russe. « Notre position d'interdiction de l'utilisation d'ATACMS ou de frappes en profondeur à l'intérieur de la Russie n'a pas changé ». Les ATACMS sont des missiles de longue portée fournis par les Américains à l'Ukraine, pouvant aller jusqu'à 300 km de distance.

Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken avait déjà laissé entendre mercredi que les Etats-Unis avaient infléchi leur position en termes de frappes ukrainiennes sur le sol russe. « Alors que les conditions ont changé, alors que le champ de bataille a changé, alors que la Russie a modifié la manière de conduire son agression, nous nous sommes adaptés et ajustés et je suis convaincu que nous continuerons de le faire », avait-il dit à la presse lors d'une visite en Moldavie, pays frontalier de l'Ukraine. « Cela renforcera significativement notre capacité à contrer les tentatives russes pour se masser des deux côtés de la frontière », s'est félicité ce vendredi Serguiï Nykyforov, le porte-parole du président ukrainien Volodymyr Zelensky, à un petit groupe de médias, dont l'AFP.

Berlin imite Washington

Au lendemain de l'autorisation américaine, le porte-parole du chancelier Olaf Scholz a lui aussi annoncé le feu vert allemand.

« L'Ukraine a le droit, garanti par la législation internationale, de se défendre contre ces attaques. Pour ce faire, elle peut également utiliser les armes fournies à cet effet (...) y compris celles que nous avons livrées », a déclaré Steffen Hebestreit dans un communiqué.

« Ces dernières semaines, la Russie a préparé, coordonné et exécuté des attaques, en particulier dans la région de Kharkiv, à partir de positions situées dans la zone frontalière russe immédiatement adjacente », a-t-il précisé. « Ensemble, nous sommes convaincus que l'Ukraine a le droit, garanti par le droit international, de se défendre contre ces attaques », a ajouté Steffen Hebestreit.

Tout comme les Etats-Unis et l'Allemagne, la France avait annoncé ne pas mettre de veto aux attaques ukrainiennes sur le territoire russe. Mais lors d'une conférence de presse commune en Allemagne avec Emmanuel Macron mardi, il était encore resté évasif, déclarant que l'Ukraine avait le droit de se défendre en vertu du droit international, sans spécifier si cela incluait l'emploi d'armes occidentales sur des sites militaires en Russie.

Contrer l'offensive russe à Kharkiv

Ces décisions doivent donc permettre à l'Ukraine de protéger Kharkiv, dans l'est de l'Ukraine, qui  est la cible quasi-quotidienne de bombardements venant principalement du territoire russe. Jeudi, c'est un immeuble de cinq étages dans lequel dormaient des civils qui a été frappé, dans le quartier de Novobavarsky, a précisé le maire de la deuxième ville d'Ukraine, Igor Terekhov,. Trois personnes ont été tuées et 23 blessées. Ce sont des missiles S-300 et S-400 qui ont été lancés depuis le territoire de la région de Belgorod, en Russie, frontalière de l'Ukraine, selon le bureau du procureur régional, qui fait état de cinq frappes.

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L'Otan pousse les capitales occidentales à lever des restrictions qui « lient les mains dans le dos des Ukrainiens », selon les termes de son secrétaire général, Jens Stoltenberg.« On doit leur permettre de neutraliser les sites militaires d'où sont tirés les missiles (...) les sites militaires depuis lesquels l'Ukraine est agressée », a déclaré mardi Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse aux côtés du chancelier Olaf Scholz.

De son côté, le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, avait aussi promis jeudi un nouveau paquet d'aide militaire d'une valeur de 500 millions d'euros à l'Ukraine. Il comporte des livraisons dans « l'artillerie, la défense aérienne, les drones, et la protection (...) » et notamment des drones pour la reconnaissance et le combat en mer Noire, a annoncé le ministre lors d'une visite non annoncée à Odessa, où il s'est entretenu avec son homologue Roustem Oumerov. Le Kremlin a pour sa part reproché à l'alliance atlantique de lancer « un nouveau cycle d'escalade ».

La Russie accusée d'employer des missiles balistiques nord-coréens

Les Etats-Unis seront sans doute confortés dans cette décision par les accusations du Pentagone qui affirme dans un nouveau rapport, dévoilé mercredi, que la Russie emploie des missiles balistiques nord-coréens en Ukraine. L'Agence de renseignement de la Défense (DIA) des Etats-Unis a eu recours à de l'imagerie en source ouverte pour confirmer que des débris retrouvés en janvier dans la région de Kharkiv provenaient d'un missile balistique de courte portée produit en Corée du Nord.

« L'analyse confirme que la Russie utilise des missiles balistiques produits en Corée du Nord dans sa guerre contre l'Ukraine », a indiqué l'agence américaine dans un communiqué diffusé mercredi avec le rapport en question. « Des débris de missile nord-coréen ont été retrouvés à travers l'Ukraine », d'après la même source.

Séoul accuse Pyongyang d'avoir acheminé des milliers de conteneurs d'armement en Russie au mépris de sanctions des Nations unies visant les deux pays : la Russie pour son invasion de l'Ukraine et la Corée du Nord pour son programme nucléaire. Kim Yo Jong, la sœur du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un et l'une des principales porte-parole du pouvoir, a réfuté et qualifié « d'absurdes » ces accusations en mai, déclarant que Pyongyang n'avait « aucune intention d'exporter ses capacités techniques militaires vers quelque pays que ce soit ».

Des experts soutiennent que la série récente d'essais nord-coréens, notamment de missiles de croisière et d'autres projectiles balistiques, pourrait être liée à l'envoi d'armement à destination des troupes russes en Ukraine. Pyongyang et Moscou ont renforcé leurs liens ces derniers mois. Kim Jong Un a effectué un rare voyage à l'étranger en se rendant en 2023 en Russie à l'occasion d'un sommet avec le président russe Vladimir Poutine. Une visite du dirigeant russe en Corée du Nord est en préparation, a indiqué le Kremlin en mai à des médias russes. En mars, Moscou a opposé son veto au Conseil de sécurité de l'ONU pour dissoudre le système de surveillance des sanctions des Nations unies contre Pyongyang.

Sur le plan diplomatique, la Russie n'a finalement pas été invitée aux célébrations du 80e anniversaire du Débarquement en Normandie, le 6 juin, en raison de sa « guerre d'agression » contre l'Ukraine, a annoncé jeudi la présidence française.

L'Otan écarte les menaces russes

Le Kremlin a accusé jeudi l'Otan de « provoquer » l'Ukraine pour prolonger « une guerre insensée » après un avertissement lancé mardi aux alliés de Kiev par le président russe sur de « graves conséquences » s'ils devaient donner leur feu vert. Mais le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg a écarté vendredi à Prague les menaces russes d'escalade après la décision américaine d'autoriser l'Ukraine à frapper la Russie avec ses armes.

« Il n'y a rien de nouveau (...) Cela fait partie des efforts du président (russe Vladimir) Poutine pour empêcher les alliés de l'Otan de soutenir l'Ukraine », a-t-il déclaré avant le début d'une réunion de l'Otan à Prague.

Favorable à la levée de ces restrictions, il a également minimisé la portée de la décision américaine en soulignant que des armes occidentales avaient déjà été livrées sans aucune restriction sur leur usage. « Le Royaume-Uni par exemple fournit déjà des missiles Storm Shadow depuis longtemps sans aucune restriction. C'est donc le cas depuis longtemps », a-t-il souligné.

Par ailleurs, l'aide militaire fournie par les pays de l'Otan doit au minimum atteindre les 40 milliards d'euros par an aussi longtemps que nécessaire, a déclaré le secrétaire général de l'Alliance.

« Depuis l'invasion russe de l'Ukraine en 2022, les Alliés ont fourni approximativement 40 milliards d'euros par an en aide militaire à l'Ukraine. Nous devons maintenir au minimum ce niveau de soutien chaque année, aussi longtemps que nécessaire », a-t-il souligné devant la presse, à l'issue de la réunion.

Il s'agit « d'argent nouveau », a-t-il précisé. Jens Stoltenberg avait d'abord suggéré aux Alliés de consacrer 100 milliards d'euros pour aider l'Ukraine dans sa guerre contre la Russie. Il propose cette fois de pérenniser l'aide actuelle, à un niveau minimum, en suggérant également aux Alliés « de partager le fardeau de manière équitable ».

(Avec AFP)