[Article publié le lundi 05 août 2024 à 09h49 et mis à jour à 14h37] Confronté aux pires émeutes au Royaume-Uni depuis 13 ans, le Premier ministre Keir Starmer a tenu ce lundi une réunion de crise à Downing Street après un week-end de violences de casseurs d'extrême droite visant mosquées et migrants.
A l'issue de cette réunion, le chef du gouvernement a érigé comme priorité la condamnation « rapide » des émeutiers impliqués dans les violents heurts. Devant les télévisions britanniques, le travailliste a souligné que sa priorité « absolue » était de mettre fin aux désordres et que « les sanctions pénales soient rapides ».
Pour rappel, les émeutes ont commencé après que trois fillettes ont été tuées dans une attaque au couteau lundi dernier à Southport (nord-ouest de l'Angleterre). Le drame a donné lieu à de multiples rumeurs et à de la désinformation sur les réseaux sociaux concernant le suspect, un adolescent de 17 ans, qui a depuis été inculpé et placé en détention.
« Je vous garantis que vous regretterez d'avoir participé à ces désordres », que ce soit directement ou indirectement, « en ayant provoqué ces actions en ligne », avait d'ores et déjà affirmé le chef du gouvernement travailliste arrivé il y a tout juste un mois au pouvoir, dimanche.
Keir Starmer a promis que son gouvernement ferait « tout ce qu'il faut pour traduire ces voyous en justice aussi vite que possible ». Il s'exprimait après que de nouveaux rassemblements ont eu lieu dimanche avec comme mot d'ordre « Enough is enough (Trop c'est trop) », en référence à l'arrivée au Royaume-Uni de migrants traversant la Manche sur des canots pneumatiques.
Les forces de l'ordre ont indiqué avoir procédé à près de 150 arrestations depuis samedi. Ces derniers jours, d'autres ont scandé le nom d'une figure toujours influente de la droite dure britannique, Tommy Robinson, fondateur et ancien dirigeant de l'English Defence League (EDL), un mouvement identitaire islamophobe, ainsi que celui du député Nigel Farage, chef du parti anti-immigration Reform UK.
Des hôtels attaqués
A Tamworth, près de Birmingham (centre), la police locale a indiqué être intervenue dimanche soir près d'un hôtel, pris pour cible par un « important groupe d'individus ». Ils ont « jeté des projectiles, brisé des vitres, allumé des feux et ciblé la police » et un policier a été blessé, a-t-elle détaillé.
Un peu plus tôt à Rotherham, dans le Nord, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant un hôtel hébergeant des demandeurs d'asile et des affrontements ont éclaté avec les forces de l'ordre. Au moins dix policiers ont été blessés, mais aucun personnel ou client de l'hôtel, a indiqué la police locale. Certains participants ont brisé des vitres de l'établissement, ont déclenché un feu, jeté des projectiles sur les policiers, quand d'autres ont crié des slogans comme « Mettez les dehors ». Certains sont parvenus à entrer dans l'hôtel, sans qu'il soit clair dans l'immédiat si des demandeurs d'asile étaient à l'intérieur ce jour.
La ministre de l'Intérieur, Yvette Cooper a qualifié sur X (ex-Twitter) ces actes de « tout à fait effroyables ». « La police du South Yorkshire bénéficie du soutien total du gouvernement pour prendre les mesures les plus fortes à l'encontre des responsables », a-t-elle complété.
Des manifestations dans tout le pays
Il s'agit du quatrième jour de violences au Royaume-Uni depuis le meurtre des trois fillettes. Des émeutes et affrontements entre police, manifestants, et parfois contre-manifestants anti-racistes, ont eu lieu dans une dizaine de villes, dont Liverpool (nord-ouest), Hull (nord-est), Belfast (Irlande du Nord), Leeds (nord), Sunderland (nord-est) ou encore à Southport mardi, où une mosquée a été prise pour cible.
D'autres manifestations ont eu lieu à Aldershot (sud-ouest), Bolton (nord) ou Weymouth (sud), dans un climat généralement tendu. A Middlesbrough (nord-est), des débordements ont également eu lieu dans le centre-ville. Une équipe de l'AFP a eu sa caméra cassée par des manifestants.
Le pays n'avait pas connu une telle flambée depuis 2011, après la mort d'un jeune homme métis, Mark Duggan, tué par la police au nord de Londres. Depuis lundi, Keir Starmer multiplie les messages de fermeté et de soutien aux forces de l'ordre contre ce qu'il a de nouveau décrit dimanche comme « des violences d'extrême droite ».
« Si vous ciblez des gens à cause de la couleur de leur peau ou de leur religion, c'est de l'extrême droite », a-t-il insisté.
Dimanche, des responsables religieux de Liverpool représentant différentes confessions ont publié un communiqué appelant à l'unité. Le gouvernement a annoncé renforcer la protection policière des mosquées.
Certains commentateurs et responsables politiques ont estimé que la montée d'un discours anti-immigration dans la classe politique a légitimé les manifestants. Pour rappel, lors des dernières législatives, le parti anti-immigration Reform UK a engrangé plus de 14% des voix.
Keir Starmer s'en prend aux réseaux sociaux
Le locataire du 10 Downing Street avait mis en cause jeudi dernier les dirigeants des réseaux sociaux dans le déclenchement des heurts.
« Laissez-moi dire aux grandes entreprises des réseaux sociaux, et ceux qui les dirigent : les violents désordres sont clairement attisés en ligne, et c'est aussi un délit. Ça se produit chez vous, et la loi doit s'appliquer partout », a-t-il prévenu lors d'une conférence de presse.
Des fausses informations ont notamment circulé sur les réseaux sociaux, relayées par des personnalités de la droite dure, concernant l'identité et la religion du suspect Axel Rudakubana, âgé de 17 ans, né au Pays de Galles. Selon les médias britanniques, sa famille est originaire du Rwanda. Ces spéculations ont ainsi rempli le vide laissé par la discrétion de la police, dans un contexte doublement sensible au Royaume-Uni d'augmentation du nombre des attaques à l'arme blanche.
Dès lundi soir dernier, l'influenceur masculiniste aux millions d'abonnés sur les réseaux sociaux Andrew Tate a avancé sur X que l'agresseur était un « migrant illégal », sans qu'aucun élément n'étaye cette allégation.
Marc Owen Jones, chercheur à Doha et expert du phénomène de la désinformation, a relevé l'impact de plusieurs autres influenceurs, qui ont relayé sur X des messages ciblant les immigrés ou les musulmans, comme le boxeur Anthony Fowler, la figure de la droite dure britannique Tommy Robinson ou encore un compte aux auteurs flous mais très suivi, baptisé « Europe Invasion ». « Ce qui s'est passé à Southport était juste l'étincelle qui a allumé des mois et des mois de désinformation » contre musulmans et immigrés, a expliqué le chercheur à l'AFP.
Selon Andrew Chadwick, un chercheur spécialisé dans la désinformation à l'université de Loughborough, les événements ont souligné la nécessité pour les plateformes d'adopter une « meilleure approche » face à la « désinformation patente ». « La méfiance est à un tel niveau dans la société britannique, que ce soit vis-à-vis des médias, du gouvernement et des responsables politiques, que cela crée cet environnement qui est vraiment, vraiment difficile à gérer », souligne-t-il.
(Avec AFP)