À quoi ressembleront les 100 premiers jours des travaillistes à la tête du Royaume-Uni ?

ANALYSE - Si le programme du Labour se veut consensuel et fiscalement responsable, il promet des réponses fortes aux principaux problèmes que traverse le pays, des dysfonctionnements du NHS à la crise du logement, en passant par la transition énergétique et l’immigration illégale.
Dans la foulée du résultat des élections ce vendredi, le chef des travaillistes britanniques Keir Starmer a été nommé Premier ministre par le roi Charles III.
Dans la foulée du résultat des élections ce vendredi, le chef des travaillistes britanniques Keir Starmer a été nommé Premier ministre par le roi Charles III. (Crédits : Suzanne Plunkett)

Les travaillistes viennent de remporter haut la main les élections britanniques, s'assurant une confortable majorité parlementaire qui va leur permettre de gouverner à leur guise. Le chef du parti, Keir Starmer, a opté pour une campagne de centre-gauche, avec des propositions susceptibles de rassembler un électorat assez large, par contraste avec la plateforme de son prédécesseur, Jeremy Corbyn, solidement ancrée à gauche.

Le leader travailliste a aussi pris soin de proposer un programme fiscalement raisonnable, par crainte de réitérer le fâcheux épisode Liz Truss, alors que les finances du royaume sont dans une situation délicate. La politique des travaillistes promet toutefois aussi un certain nombre de ruptures avec celle des conservateurs. Voici les principales.

Réparer le NHS

C'était la priorité des électeurs travaillistes lors de cette élection : remédier aux dysfonctionnements du National Health Service (NHS), le système de santé public britannique. Jadis un motif de fierté nationale, celui-ci, après des années de coupes budgétaires décidées par le gouvernement conservateur, est sorti exsangue de la pandémie. L'actualité britannique est régulièrement émaillée par des histoires de listes d'attente interminables, d'aberrations bureaucratiques dignes d'un roman de Franz Kafka, et même de tragiques récits de patients qui meurent faute d'avoir pu accéder aux soins.

Le désormais nouveau Premier ministre travailliste avait promis durant sa campagne de raccourcir rapidement les listes d'attente en permettant 40 000 visites médicales, scanners et opérations supplémentaires par semaine, en mobilisant davantage de personnel le weekend, et en développant des synergies avec le secteur privé. Un renflouement que Keir Starmer entend financer en luttant contre l'évasion fiscale pour augmenter les recettes de l'État.

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Résoudre la crise du logement

Le Royaume-Uni fait également depuis plusieurs années face à une importante crise du logement, générée par un déséquilibre entre l'offre et la demande : trop peu de nouveaux appartements et maisons sont construits alors que la population continue d'augmenter. Conséquence : les prix explosent, empêchant les ménages d'accéder à la propriété, diminuant le niveau de vie des locataires et faisant exploser le nombre de sans-abris.

Pour y répondre, le Labour a promis la construction de 300 000 nouveaux logements par an au cours des cinq prochaines années. Le défi s'avère de taille : le rythme moyen est actuellement de 150 000 logements construits chaque année, et atteindre l'objectif que s'est fixé le Parti travailliste nécessiterait de retrouver un rythme de construction inédit depuis les années 1960.

Pour atteindre son but, le Labour prévoit notamment d'assouplir les règles encadrant la construction de nouveaux logements et de limiter au maximum la bureaucratie afin d'inciter les promoteurs immobiliers à investir.

Créer une entreprise publique de l'énergie

Autre promesse de Keir Starmer : investir 1,7 milliard de livres sterling par an pour créer et faire fonctionner GB Energy, une entreprise publique qui sera chargée d'investir dans les énergies propres, dans le double objectif de décarboner l'économie du pays et d'abaisser les coûts de l'énergie qui pèsent sur le budget des ménages et les finances des entreprises, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

« Cette nouvelle structure aura pour mission de co-investir avec le secteur privé dans les énergies renouvelables, les batteries, etc. On n'est pas sur la même taille qu'EDF, mais le principe est similaire, et le budget attribué demeure conséquent », affirme Michael Jacob, professeur de Politique et relations internationales à l'Université de Sheffield.

Le Labour entend créer 650 000 emplois dans les énergies renouvelables d'ici à 2030. 1,1 milliard de livres par an sont également prévus pour accroître l'efficacité énergétique des logements britanniques, qui sont nombreux à accuser le poids des années.

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Lutter contre l'immigration illégale

Keir Starmer a promis d'abroger la loi phare passée par Rishi Sunak, afin de dissuader les migrants d'entrer illégalement au Royaume-Uni. Celle-ci prévoit, notamment, d'envoyer les demandeurs d'asile au Rwanda le temps que leur demande y soit traitée. Mais la volonté de torpiller ce plan est davantage dictée par le pragmatisme que par des questions morales. « Je ne vais pas continuer à mettre en œuvre une politique qui, de mon point de vue, ne marchera pas et va coûter une fortune », déclarait ainsi récemment Keir Starmer, lors d'une conférence de presse.

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Les travaillistes ont bel et bien l'intention de lutter contre l'immigration illégale, la question migratoire étant l'une des priorités pour les électeurs britanniques, et pas seulement les plus à droite. Ils comptent en revanche procéder différemment.

L'argent économisé sur le (très coûteux) plan Rwanda sera redirigé vers la création d'une direction centrale de la police aux frontières, l'embauche de professionnels du contre-terrorisme pour repérer et arrêter les gangs qui organisent le passage des clandestins à travers la Manche sur des esquifs de fortune, ainsi que sur le recrutement d'effectifs de police supplémentaires pour patrouiller cette zone.

Keir Starmer a également annoncé qu'il étendrait les pouvoirs du Terrorism Act, passé sous Tony Blair, pour surveiller de près les passeurs suspectés. Il compte enfin négocier l'accès à la base de données Eurodac de l'UE, qui enregistre les empreintes digitales des individus âgés de 14 ans ou plus, entrés dans l'UE sans permission.

Recruter davantage de professeurs

Le parti travailliste souhaite remédier au manque d'effectifs dans l'éducation publique en recrutant 6 500 professeurs supplémentaires. Pour financer cette mesure, le gouvernement mise sur une TVA de 20 % prélevée sur les frais de scolarité des écoles privées, qui étaient jusqu'à présent exemptées de cette taxe.

Environ 7 % des élèves britanniques fréquentent de telles écoles, qui, pour les plus prestigieuses, facturent jusqu'à 50 000 livres sterling à l'année. Cette mesure devrait permettre de dégager 1,5 milliard de revenus annuels pour l'État, selon l'Institute for Fiscal Studies (IFS), un institut de recherche situé à Londres, spécialisé dans l'évaluation des politiques publiques et l'analyse de la fiscalité.

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Reforger des liens avec l'UE

S'il ne propose nullement de revenir sur le Brexit, le nouveau Premier ministre entend renégocier avec l'UE pour obtenir des accords commerciaux au cas par cas, ainsi que des coopérations sur la recherche et la sécurité. Il juge que le Royaume-Uni et l'UE pourraient ainsi tisser des accords mutuellement plus bénéfiques que ceux forgés à la hâte par Boris Johnson, lors de la mise en œuvre expédiée du Brexit. Il a en revanche affirmé à plusieurs reprises que le retour du Royaume-Uni dans le marché commun n'était pas au programme.

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« Keir Starmer s'est engagé à négocier un large accord de sécurité avec Bruxelles et à redémarrer les relations avec l'Europe. Il y a là une opportunité pour forger une nouvelle relation embrassant les différentes dimensions que revêt la sécurité au XXIe siècle, des données aux chaînes de valeur, en passant par l'énergie et la sécurité. Ce redémarrage est dans l'intérêt de toutes les parties dans la mesure où le monde, l'Europe et le Royaume-Uni ont fondamentalement changé depuis le référendum de 2016 », affirme Mark Leonard, directeur de l'European Council on Foreign Relations (ECFR), un laboratoire d'idées pan-européen.

Si le Labour a fait campagne au centre, il est probable que sa politique marque une rupture plus radicale qu'il n'y paraît au premier abord, selon Michael Jacob. « En temps normal, les politiques tendent à trop promettre durant la campagne et à faire moins que prévu une fois au pouvoir. Cette fois-ci, ce pourrait bien être l'inverse. En effet, les travaillistes ont dû se montrer rassembleurs lors de la campagne, mais s'ils veulent avoir une chance d'être réélus, ils doivent désormais prouver qu'ils sont différents des conservateurs, donc prendre des mesures fortes. »

Commentaires 2
à écrit le 05/07/2024 à 22:34
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Bon courage et bonne chance aux britanniques. En Normandie ces derniers jours je constate le soin apporté aux tombes de leurs soldats qui ont donné leur vie sur notre sol pour empécher de nuire les barbares hitlériens. Nous avons une longue coopérati...

à écrit le 05/07/2024 à 14:51
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Sur l'immigration, le "Labour" sera qualifié en France "d'extrême droite"... En France, n'est qu'on veut réduire un peu le flux migratoire, on en appelle aux "heures sombres de l'Histoire".;

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