UN ÉTÉ FRANÇAIS (4/8) - « Si Léon Marchand gagne, je serai champion olympique » (par Philippe Ridet, écrivain)

Le journaliste et romancier relate son indéfectible lien d’intimité avec la natation, discipline qu’il pratiquait jeune homme, à Bourg-en-Bresse.
La piscine municipale de Bourg-en-Bresse (Ain) en 1969.
La piscine municipale de Bourg-en-Bresse (Ain) en 1969. (Crédits : © LTD / Cim/pommaud16/delcampe.net)

Des vainqueurs aux anges, des perdants en larmes... La voilà enfin cette fameuse « clarification » promise à la hâte et à l'aveugle par Emmanuel Macron, le 9 juin, en dissolvant l'Assemblée nationale. Depuis que les premières médailles des JO de Paris 2024 ont été distribuées, samedi à Châteauroux, les mots ont retrouvé un sens : aux premiers l'or, aux deuxièmes l'argent, aux troisièmes le bronze. Aux autres les regrets. Les Français - moi du moins - ont soif de records authentifiés, de médailles certifiées, de victoires tranchantes, de podiums incontestables, fussent-ils attribués au millième de seconde. Une fois passés les hymnes, vainqueurs et vaincus se rejoignent sur la plus haute marche, épaules soudées, breloques autour du cou.

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La clarification, tout le monde s'y met. Joe Biden donnait-il des signes évidents de fatigue aux États-Unis ? Hop, Kamala Harris le remplace dans la course à la présidentielle américaine. Cyril Hanouna avait-il poussé le bouchon un peu loin en laissant s'exprimer les opinions les plus nauséeuses sur C8 ? Hop, l'Arcom, l'autorité de régulation de l'audiovisuel, prive Baba et sa bande de pimpins d'un port d'attache sur la TNT. Il n'y a qu'en politique que ça coince un peu. Personne ne veut reconnaître sa défaite. Du coup le président de la République se met à jouer les coachs, surestimant sans doute le pouvoir qu'il lui reste. Il fixe l'objectif, dessine au tableau noir un schéma tactique sans s'embarrasser des questions d'intendance. Son système de jeu tient en quelques mots : un gouvernement de large union. Il a même décidé tout seul de la date de la reprise de l'entraînement, même s'il ne connaît pas les joueurs et joueuses qui composeront l'équipe : après le 15 août, quand les JO ne seront plus qu'un souvenir et que les médias auront retrouvé de l'espace disponible pour s'intéresser à autre chose qu'aux héros de l'Olympe.

Les JO écrasent tout. En comparaison, le Tour de France n'est qu'un critérium de village et les bisbilles politiques sont un pugilat de cour d'école. Vous le sentez ce rouleau compresseur ? Bientôt on en saura davantage sur les secrets du tir à l'arc coréen que sur les tractations au sein des partis politiques représentés au Palais-Bourbon. On s'est un peu échauffé en suivant les élections au sein de l'Assemblée nationale, comme on suivrait un match de hockey sur gazon sans bien comprendre les règles. Les chaînes de télé déstockent à flots continus tous les reportages emmagasinés depuis que la candidature de Paris a été retenue en 2017. Signe qui ne trompe pas : pendant quelques heures, mercredi 24 juillet, alors que la flamme olympique se baladait encore autour de Paris, les résultats des matchs de l'équipe de France de rugby à sept se sont hissés au sommet des pages d'accueil des sites Internet des médias. Même celui du Monde.

Bientôt on en saura davantage sur les secrets du tir à l'arc coréen que sur les tractations au sein des partis politiques au Palais-Bourbon

Des 43 disciplines qui font le menu des JO, la natation est la seule que j'ai pratiquée sérieusement. Entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, je m'astreignis à deux entraînements par jour l'été, dans le bassin olympique de la piscine municipale de Bourg-en-Bresse, et, l'hiver, une fois par semaine dans celui de 25 mètres d'un lycée. Mes idoles avaient pour nom Alain Mosconi, le champion français, Mark Spitz, l'Américain aux sept médailles d'or des JO de Munich en 1972, Zac Zorn, son compatriote, éphémère recordman du monde du 100 mètres nage libre, et Roland Matthes, un dossiste est-allemand taillé comme une planche à repasser.

Ma carrière prit fin pitoyablement lors d'un 400 mètres nage libre des championnats de l'Ain. Les eaux s'ouvraient devant moi. Le titre m'était promis, mes adversaires se traînaient loin derrière. J'étais comme l'écrit joliment Gilles Bornais dans son livre Le Nageur éternel (Paulsen) « le passager de ma propre nage ». Mais soudain - acting out ou faiblesse en calcul mental ? - je m'arrêtai brusquement, levant les bras en signe de triomphe. Grisé par la perspective de ma victoire, je m'étais trompé dans le décompte de mes longueurs. Il manquait 100 mètres à mon heure de gloire. Le chronométreur m'encouragea à reprendre ma course. Vexé, je sortis de l'eau et m'enveloppai dans mon peignoir rouge comme un empereur romain dans sa toge. J'avais 18 ans. D'autres désirs m'aimantaient. Toute sortie est définitive, me fit-on savoir.

Malgré cet adieu à la compétition, j'ai gardé avec la natation et ceux qui la pratiquent un lien d'intimité indéfectible. Aussi, lorsque Léon Marchand s'alignera au départ tout à l'heure sur du 400 mètres quatre nages à la piscine de l'Arena Défense, je serai non pas avec lui, mais carrément à sa place. Je connais l'ordre des nages - papillon, dos, brasse, crawl -, la fraîcheur du plot de départ où il agrippera ses orteils, la brûlure dans les bras lors du dernier aller-retour. Dans mon souvenir, je maîtrise encore la technique des virages culbutes.

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Mark Spitz, le champion aux sept médailles d'or, pendant les JO de Munich en 1972. (Crédits : ©LTD / SVEN SIMON/PICTUREALLIANCE/ICON SPORT)

S'il gagne, je serai champion olympique ; s'il perd, je saurai le consoler : « Pas grave mon p'tit Léon, moi aussi, une fois, j'ai tutoyé les sommets. On s'en remet. » Avec tous les athlètes en bassin comme en eaux libres qui s'élanceront dans la piscine de l'Accor Arena ou dans la Seine, mon degré de séparation est quasi nul. Nous avons eu, malgré notre demi-siècle d'écart et l'ignorance où nous sommes de nos vies respectives, l'idée folle de nous prendre pour des poissons. Pourtant nous savions que la barrière des espèces était infranchissable.

Je connais la fraîcheur du plot de départ où il agrippera ses orteils, la brûlure dans les bras lors du dernier aller-retour

Alors que la France projetait en mondiovision la meilleure image d'elle-même lors de la cérémonie d'ouverture inclusive et pluvieuse, mon village de Tourouvre-au-Perche, à 130 kilomètres de l'épicentre de JO, peaufinait la sienne. La semaine dernière, le bourg s'est vu renouveler sa certification « Village-étape » pour un nouveau bail de cinq ans. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup. C'est une reconnaissance et un encouragement. Ce label distingue des communes de moins de 5 000 habitants distantes de 5 à 10 kilomètres d'un axe routier. En l'occurrence la nationale 12 qui file vers la Bretagne. Fastoche direz-vous. Pas tant que ça.

L'attractivité du territoire est une notion un peu floue vue depuis une grande ville. Pour un village, c'est un combat de chaque jour. Pour inciter les touristes à dévier de leur ligne droite, le village labellisé doit disposer de commerces de bouche ouverts toute l'année, de places d'hébergement, d'une pompe à essence, d'une station de recharge pour les véhicules électriques, de sanitaires publics et de places de stationnement ombragées. En plus, il doit être écologiquement vertueux et pas trop moche si possible. Tourouvre-au- Perche coche les cases. Nous avons même une aire de camping-cars et bientôt une gendarmerie toute neuve.

Certes, les visiteurs se comptent à l'unité et les gains se chiffrent à l'euro près. On est loin, très loin des retombées attendues pour les JO. Ici, des touristes qui s'arrêtent, ce sont quelques baguettes et des sandwichs en plus pour les boulangers, des tranches de jambon supplémentaires pour la charcuterie, des tickets pour le musée, un chariot au supermarché, une nuitée à l'hôtel ou au gîte communal. « Quand on travaille sur le tourisme, on le fait pour la population locale », insiste Virginie Djennadi-Meneghini, chargée du secteur dans l'équipe municipale. Mais tout reste fragile. Il faut aller chercher les visiteurs « avec les dents » comme disait Jacques Chirac en parlant des électeurs. Soixanteseize communes ont associé ce label à leur nom. Chacune d'elles se bat avec ses petits moyens et son gros cœur pour attraper, et si possible apprivoiser, les oiseaux de passage qui filent sur les nationales.

Un été français
La semaine prochaine, retrouvez le cinquième épisode de notre série.

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