![Raphaël Glucksmann, à Cestas Gironde, le 22 juin.](https://static.latribune.fr/full_width/2395808/glucksmann.jpg)
Ses traits sont tirés et Raphaël Glucksmann lui-même ne le cache pas, il est épuisé. « Je n'ai pas dormi depuis un an », glisse-t-il jeudi à une dame lors d'un déplacement à Clichy (Hauts-de-Seine). À des voisins qui sortent la tête de leur fenêtre, le député européen demande : « Vous allez bien ? » « Bof », « Oui on va tous moyennement ». La campagne qu'il mène depuis six mois devait s'arrêter le dimanche 9 juin au soir, mais une nouvelle ère politique s'est ouverte une heure plus tard. Le candidat europhile a eu quelques minutes pour savourer son score avant qu'un coup de fil sur son téléphone lui donne le vertige : le président s'apprête à dissoudre l'Assemblée nationale. Des proches le décrivent alors comme « sonné », tel un « boxeur qui descend du ring ». À la joie a vite succédé la stupéfaction, comme une accélération de l'Histoire. « Pendant quatre mois, Raphaël a mené une campagne de chien en créant un bel élan, relate un socialiste. En quarante-cinq minutes, il s'est fait liquider sa victoire. C'est un effet blast terrible. Humainement, c'est hyper violent. »
Mardi, Raphaël Glucksmann est allé à Bruxelles. Dans les couloirs du Parlement européen, les nouveaux élus des autres pays lui ont dit leur stupéfaction face au chaos politique français. L'ancien candidat a prévenu ses collègues qu'il faudrait faire sans lui les quinze prochains jours, alors que s'ouvre la bataille des top jobs, cette répartition des plus hauts postes de pouvoir des instances européennes. Le quadragénaire doit mener cette campagne des législatives pour le Nouveau Front populaire. Mercredi, il s'est rendu à Marseille pour soutenir Pascaline Lécorché, avec le maire de la ville, Benoît Payan. Jeudi, il était à Clichy avec Raphaël Pitti, médecin humanitaire de Moselle, candidat Place publique. Aujourd'hui, il sera à Massy avec Jérôme Guedj, qui a refusé d'approuver le Nouveau Front populaire, après avoir essuyé des mots violents de Jean-Luc Mélenchon. Lundi, il ira en Occitanie avant de participer à un meeting à Rouen, ville du socialiste Nicolas Mayer-Rossignol. Ses soutiens sont ciblés, il ne s'affiche qu'avec des candidats de son mouvement, Place Publique, ou du Parti socialiste, jamais des Insoumis.
Des attaques très violentes
L'essayiste mène sa campagne sur une ligne de crête. Ceux qu'ils croisent lui formulent des craintes que lui-même partage. « Je suis désolée de vous le dire mais je suis très inquiète de l'alliance que vous faites », lance jeudi à Clichy une dame membre d'une association d'aide à l'Ukraine. Raphaël Glucksmann ne fait pas semblant : « J'ai les mêmes préventions que vous. Mais ce qui fait le plus peur, c'est que le RN l'emporte. » C'est ce qu'il appelle « la hiérarchie des périls ». Mieux vaut s'allier avec les Insoumis que de voir l'extrême droite arriver au pouvoir.
Et pourtant, cette alliance, qu'il qualifie « d'unité d'action de résistance », lui est personnellement douloureuse. Raphaël Glucksmann a lui-même été la cible d'attaques très violentes de la part des Insoumis pendant toute la campagne des européennes et plus récemment encore. Le candidat en Seine-Saint-Denis investi par le Front populaire, Aly Diouara, l'a qualifié de « candidat sioniste ». Lui répète inlassablement que Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier ministre. Sa gauche n'est pas la sienne et ne le sera jamais. Alors, le député européen l'a déjà acté, il y aura une déperdition de ses électeurs, plus grande encore dans les 229 circonscriptions où un Insoumis se présente. Les sondages le disent aussi. Selon notre enquête Elabe, un tiers de son électorat ne votera pas pour le Nouveau Front populaire, 16 % se déporteront vers des députés macronistes, 6 % vers LR.
Peser dans le débat politique national
Jamais Glucksmann ne s'est assis à la table des négociations avec les Insoumis, comme pour mieux leur prouver que sa présence n'avait rien d'acquis. Trois émissaires le représentaient, dont Aurore Lalucq, numéro deux de Place publique, et son conseiller Pierre Natnaël Bussière. La tentation de dire niet aux Insoumis a parfois été grande, mais plusieurs fois Boris Vallaud, Olivier Faure et Pierre Jouvet l'ont rattrapé par la manche. « La négociation avec LFI n'est pas celle que Raphaël aurait menée ; Raphaël et Olivier ne font pas de la politique de la même manière », relate pourtant un socialiste qui lui est proche.
Au PS, le bruit court d'un sérieux rafraîchissement des relations entre Olivier Faure et Raphaël Glucksmann, ce que dément catégoriquement le premier secrétaire du PS, qui dit l'avoir encore eu au téléphone hier matin. « Je suis celui qui a fait le plus de kilomètres dans cette campagne pour défendre sa candidature. Quel est le reproche que l'on peut formuler à mon encontre ? » Une fois passée la bataille des législatives, Raphaël Glucksmann compte bien continuer à peser dans le débat politique national et réfléchit à une nouvelle organisation politique, histoire de ne pas délaisser ses 13,8 %, dont il dit dans un demi-sourire qu'ils appartiennent déjà « à la préhistoire ».