« Attiser et banaliser les discriminations : voilà le vrai danger du RN » (Anthony Babkine, Diversidays)

Par Marine Protais  |   |  913  mots
Anthony Babkine, cofondateur et délégué général de Diversidays. (Crédits : Pap Mor Ndiaye)
ENTRETIEN. Anthony Babkine, cofondateur et délégué général de Diversidays, association qui œuvre en faveur des personnes sous-représentés dans l’emploi et l’entrepreneuriat dans la tech, appelle fortement à faire barrage à l'extrême-droite pour éviter une augmentation des violences et discriminations. Il rappelle que le RN s'est régulièrement abstenu ou prononcé contre les lois visant à plus d'égalité.

Faut-il rappeler l'évidence ? Si le Rassemblement national remporte la majorité à l'Assemblée nationale, les discriminations et les violences risquent de progresser. Et notamment dans le monde du travail, où elles restent courantes. En 2023, la moitié des réclamations reçues en matière de discriminations liées à l'origine se sont déroulées au travail selon la défenseure des droits. Fin 2023, le collectif #Stope révélait que 8 femmes sur 10 rapportent être victimes de sexisme. Anthony Babkine, cofondateur avec Mounira Hamdi de Diversidays, une association nationale d'égalité des chances dans le numérique, fait part de ses craintes et de celles des personnes issues des minorités que son association accompagne.

LA TRIBUNE - Quelle a été votre réaction à l'annonce des résultats des européennes, et dans la foulée celle de la dissolution de l'Assemblée nationale et l'organisation des législatives ?

ANTHONY BABKINE - D'abord la stupéfaction : cette décision politique représente le risque de faire monter un parti d'extrême-droite au pouvoir en trois semaines à peine. Ensuite, la crainte de voir un tel parti, dont les valeurs sont aux antipodes des nôtres, revenir en arrière sur des acquis et des libertés et droits fondamentaux concernant l'ensemble de la population. Car nous ne voyons pas la France comme un ensemble de communautés monolithiques mais comme la représentation du vivre-ensemble avec les singularités de chacun. Puis, le sentiment que pendant que nous - acteurs associatifs, travaillons à réparer les problèmes que de nombreuses personnes rencontrent sur le terrain, et à créer des ponts, le politique continue de jouer avec les règles sans se préoccuper des conséquences.

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Qu'est-ce qui vous inquiète particulièrement en cas de majorité RN à l'Assemblée (sur le programme, les valeurs...) ?

Ce scénario est inquiétant pour plusieurs raisons. D'une part, un parti qui se construit dans l'opposition aux droits fondamentaux des femmes, minorités ethniques, personnes LGBT, personnes binationales... C'est-à-dire finalement presque tout le monde, peut obtenir le pouvoir de remettre en cause ces droits. D'autre part, la stigmatisation et les discriminations ordinaires risquent de s'exercer de façon plus décomplexée, voire institutionnalisée. Sous couvert de s'adresser aux personnes les plus touchées par le contexte de crise économique, le RN propose un programme discriminant. Cela en prétendant défendre les droits des femmes, des plus précaires, des seniors, sans le faire vraiment.

En 2023, les députés européens du Rassemblement national se sont abstenus pour ratifier la « Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique ». En mai 2023, le RN s'est abstenu sur la « Directive européenne sur la transparence et l'égalité des rémunérations » qui vise à appliquer l'égalité de salaires entre femmes et hommes pour un travail identique ou de même valeur. En 2022, le programme présidentiel de Marine Le Pen prévoyait d'empêcher les personnes binationales d'accéder à des emplois dans la fonction publique ou à certains postes du service public. A titre personnel, sous un tel régime, je n'aurais pas eu le droit de travailler au ministère de la Transition écologique pour améliorer nos services publics. Comment ne pas combattre un parti qui cherche à ostraciser une partie de la population alors que la pluralité de nos origines représente l'une de nos plus belles richesses ?

Quelles sont les réactions parmi les communautés LGBTQ, racisées et autres minorités au sein des entreprises ?

Nous travaillons avec des publics très différents, qui ne forment pas des blocs monolithiques. Il n'y a donc pas une réaction spécifique, mais une inquiétude partagée par toutes et tous. La crainte la plus exprimée est que les comportements discriminatoires deviennent monnaie courante et se diffusent dans l'ensemble de la société. On ressent également de la crispation, et le besoin d'être d'autant plus solidaires. C'est une élection historique qui se présente, et avec elle, un choix de société dont le résultat influencera non seulement le travail d'associations, mais aussi le quotidien des personnes que nous accompagnons dans nos actions de lutte contre les discriminations.

Pour certaines communautés, notamment LGBT et racisées, on assiste déjà à une montée de la violence, avec des agressions dans la rue, des propos homophobes, transphobes, racistes. On a pu observer le résultat de la stratégie des partis d'extrême-droite aux Etats-Unis : jouer sur les peurs pour dresser les personnes les unes contre les autres, et attiser, voire banaliser, par conséquent, les discriminations et les violences. C'est cela, le vrai danger.

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⁠Diversidays étant en partie financée par le gouvernement, un tel changement peut-il menacer votre activité ?

Quelques financements publics récents sont particulièrement à risque. Mais nous gardons espoir. Quels que soient les résultats de cette élection, nous serons là le 8 juillet au matin et tous les jours qui suivront pour continuer de véhiculer des valeurs d'entraide, de solidarité et d'inclusion.

Appelez-vous à un vote en particulier ?

C'est à chaque personne de faire son choix en son âme et conscience. Mais nous appelons fortement à faire barrage à l'extrême-droite.