![Depuis 2017, les ménages soumis à l’impôt sur la fortune immobilière
(IFI) sont ceux qui possèdent plus d’1,3 million d’euros de patrimoine immobilier.](https://static.latribune.fr/full_width/2385269/real-estate-immeuble.jpg)
Les inégalités économiques ont été très peu abordées pendant la campagne électorale des élections européennes. Pressés par les manifestations des agriculteurs au coeur de l'hiver, les candidats au Parlement de Strasbourg se sont déchirés sur les normes jugées « pesantes » du Pacte vert et les sujets explosifs de migration. Les écarts de richesse sont pourtant un sujet brûlant au coeur du Vieux continent. En France, les réformes fiscales sur le capital (suppression de l'impôt sur la fortune, mise en place de l'impôt sur la fortune immobilière) menées au pas de charge sous le premier mandat d'Emmanuel Macron ont ravivé les débats sur les inégalités de patrimoine.
Dans ce contexte, l'observatoire des inégalités a dressé un bilan particulièrement exhaustif des disparités de patrimoine dans un rapport consacré aux riches dévoilé ce mercredi. «On constate une progression sensible et continue des inégalités de patrimoine en France », a ainsi résumé Anne Brunner, directrice des études à l'observatoire, lors d'un point presse. Pour rappel, le patrimoine peut comprendre les propriétés immobilières, les actifs financiers (comptes en banques, épargne, actions) et les biens professionnels (entreprises, fonds de commerce).
Patrimoine : 5,1 millions de personnes considérées comme riches
Le premier enseignement de ce rapport est que 5,1 millions de personnes sont considérées comme riches, selon des critères établis par l'observatoire. L'organisme considère qu'un ménage est riche sur le plan patrimonial lorsqu'il possède trois fois la valeur du patrimoine médian, soit 531.000 euros. Ce qui représente 17% de la population. À l'intérieur de cette catégorie, le 1% (300.000 ménages) possède un patrimoine égal ou supérieur à 2,2 millions d'euros. Enfin, les ménages imposés à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) sont environ 160.000.
Sans surprise, les écarts entre les jeunes et les personnes âgées sont vertigineux. « Les 60-69 ans sont à la tête d'un patrimoine médian quatorze fois plus élevé que les ménages de moins de 30 ans », soulignent les auteurs du rapport. « Par définition, quand on est très jeune, on a très peu de patrimoine. C'est un phénomène cumulatif », rappelle Louis Maurin, directeur de l'observatoire.
Les revenus du patrimoine ont augmenté trois fois plus vite que les revenus d'activité en 2023
Sur les trois dernières années, l'observatoire n'a pas pu s'appuyer sur les chiffres de l'Insee, faute de données récentes. En revanche, certains indicateurs montrent que les revenus du patrimoine ont augmenté bien plus vite que les revenus d'activité. « C'est la fête des revenus du patrimoine en 2022 et 2023 », souligne Louis Maurin. En 2022 (+7,5%) et 2023 (15%), les revenus du patrimoine ont accéléré bien plus vite que l'indice des prix à la consommation (5,2% en 2022 et 4,9% en 2023).
À l'opposé, les salaires désindexés de l'indice des prix, à l'exception du salaire minimum, ont ralenti, voire reculé pour de nombreuses catégories professionnelles. «Depuis 2017, cette population bénéficie d'une fiscalité particulièrement avantageuse », ajoute Louis Maurin. Hormis les résidences secondaires, la suppression quasi-complète de la taxe d'habitation « peut représenter plusieurs milliers d'euros par an. Ce n'est pas négligeable». Dans les années à venir, « on peut s'attendre à une augmentation des inégalités de patrimoine », indique-t-il.
Le patrimoine des 10% les plus riches a bondi de 50% en dix ans
Le second enseignement important de cet état des lieux est que le patrimoine des 10% les plus riches a bondi de 53% entre 2009 et 2021. Le top 10% a ainsi vu la valeur de son patrimoine passer de 1,7 million d'euros par ménage à 2,5 millions sur l'ensemble de cette période.
En face, les 50% les plus pauvres ont connu aussi une hausse, passant de 55.000 euros à 80.000 euros mais moins importante que le sommet de la pyramide (+45%). «Les écarts entre les plus fortunés et la moitié la moins dotée de la population ont augmenté », souligne l'observatoire. Enfin, l'institution rappelle que les 1% en bas de la pyramide ne possède quasiment rien (0,1% du patrimoine total).
Composition de patrimoines et financiarisation de l'économie
Comment la hausse de ces écarts s'explique-t-elle ? Le patrimoine des plus fortunés n'est pas composé de la même manière que celui du reste de la population. Au sommet de la pyramide, les plus riches possèdent davantage de produits financiers que de propriétés immobilières. Or, les prix dans l'immobilier ont augmenté en moyenne moins vite que le patrimoine financier sur les dernières décennies.
Sur les 40 dernières années, la hausse des inégalités de patrimoine peut aussi s'expliquer par « la financiarisation de l'économie et l'évolution de l'immobilier », explique Louis Maurin, interrogé par La Tribune. « Il y a aussi eu des chiffres d'astronomiques sur l'enrichissement dans l'immobilier ». Quant aux revenus financiers, « ils ont beaucoup progressé à l'exception des périodes de krach boursier », poursuit-il. Pour le directeur, «la fiscalité a pu jouer pour les grandes fortunes, mais à un niveau inférieur ».
La hausse des écarts entre les 10% les plus riches et le reste de la population est d'autant plus spectaculaire que la crise financière de 2008 et la crise des dettes souveraines de 2012 a frappé durement l'Europe et la France.
Un patrimoine plus concentré
L'autre enseignement spectaculaire de ce travail est que la concentration du patrimoine s'est accrue au cours de la dernière décennie. Entre 2021, les 10% les mieux dotés possédaient 47% du patrimoine total brut des Français contre 40% dix ans plus tôt. Sur la même période, la part détenue par les 10% les plus pauvres est passée de 9,4% à 7%.
Dans l'Hexagone, le patrimoine est très concentré, car les 50% des ménages les moins bien dotés possèdent seulement 7,5% du patrimoine alors que les 50% les mieux lotis possèdent le reste (92,5%). « Les revenus du patrimoine financier sont très concentrés sur le haut de la pyramide », déclare Anne Brunner. Un phénomène loin d'être surprenant au vu de la progression vertigineuse des patrimoines des plus grandes fortunes.
L'observatoire des inégalités a recensé 4,7 millions de personnes dites « riches » dans l'Hexagone. Pour parvenir à ce chiffre, les experts ont retenu un seuil de richesse fixé à deux fois le revenu médian (1.930 euros) en France, à 3.900 euros de revenus par mois. C'est une méthode utilisée par l'OCDE et le gouvernement allemand, mais l'Insee se refuse encore à fixer un tel seuil au grand dam de l'observatoire. En rapportant le nombre de personnes riches à la population totale, leur part a baissé en dix ans (-1,5 point). « Cela représente 800.000 personnes en moins sur les dix dernières années. On observe en revanche un enrichissement des plus riches. Le niveau de vie des riches a augmenté », complète Anne Brunner.Des riches moins nombreux, mais plus riches